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Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774 pages.


Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p.


 

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Conclusion du Chapitre 2
Observations comparatives

 

  

Nous venons de voir le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Allemagne, en Autriche, aux Etats‑Unis, en France et en Turquie. Maintenant nous allons essayer de faire une comparaison entre ces pays sur les points suivants :

1. La réglementation constitutionnelle

2. La déclaration de compétence      

3. La date de la première décision sur la validité d'une loi constitutionnelle

4. Le nombre des décisions

5. Le nombre des décisions d'annulation

6. L'étendue du contrôle (contrôle de forme / contrôle de fond)

7. Les règles de référence (celles inscrites ou celles non inscrites dans le texte de la Constitution)

8. L'interprétation large ou restrictive

9. Les comportements des organes de contrôle de la constitutionnalité : judicial self restraint / judicial activism

10. La réaction du pouvoir constituant

11. Le modèle du contrôle de la constitutionnalité : le modèle « décentralisé » et le modèle « centralisé »

12. L'existence du contrôle concret des normes (voie d'exception)

13. La possibilité de la saisine de la cour constitutionnelle par les individus : le recours constitutionnel

14. La difficulté de la saisine dans le contrôle abstrait des normes

15. Conclusion : dans quels pays, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est-il possible ?

1. La réglementation constitutionnelle

Notre premier point de comparaison consiste à savoir si dans le pays choisi, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution. Car, selon notre cadre théorique, la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles peut être apportée par la constitution elle‑même.

Parmi les pays étudiés, seule la Constitution turque réglemente expressément le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. La Constitution de 1961 (avec la révision constitutionnelle de 1971) et la Constitution de 1982 contiennent des dispositions expresses sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Par contre les constitutions des autres pays étudiés ne contiennent aucune disposition expresse sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans les constitutions de ces pays, l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité est habilité essentiellement à statuer sur la constitutionnalité des « lois »[1]. En d'autres termes, les dispositions constitutionnelles qui déterminent la compétence de cet organe ne mentionnent pas spécialement les « lois constitutionnelles ».

2. La déclaration de compétence

Notre deuxième point de comparaison est de savoir si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles. Car, selon notre cadre théorique, dans un système où le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé par la constitution, la solution de ce problème dépend de la jurisprudence de l'organe de contrôle de la constitutionnalité.

La Cour suprême des Etats‑Unis, les Cours constitutionnelles allemande, autrichienne et turque se sont déjà déclarées compétentes pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Quant au Conseil constitutionnel français, il faut faire une distinction entre les lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum et les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement. En ce qui concerne les premières, le Conseil constitutionnel français s'est déjà déclaré incompétent pour se prononcer sur leur validité. Par contre concernant les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, le Conseil constitutionnel n'a pas jusqu'à ce jour eu l'occasion de se prononcer sur sa compétence.

3. La date de la première décision sur la validité d'une loi constitutionnelle

La première décision sur la validité d'une loi constitutionnelle vient de la Cour suprême des Etats‑Unis. Cette Cour a examiné pour la première fois la régularité formelle d'un amendement constitutionnel en 1798 dans l'affaire Hollingsworth v. Virginia. Cette décision eut lieu cinq ans avant de fameuse décision Marbury v. Madison établissant le contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires. Ainsi, dans un sens, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles a une histoire plus ancienne que le contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires.

En revanche, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans les pays d'Europe est plus tardif. Parmi les pays européens étudiés, la première décision sur la validité d'une loi constitutionnelle vient de la Cour constitutionnelle autrichienne et date du 12 décembre 1952, la deuxième décision vient de la Cour constitutionnelle turque et date du 16 juin 1970. En effet, avant la Cour constitutionnelle turque, en 1962, une occasion de statuer sur la validité d'une loi constitutionnelle s'est présentée au Conseil constitutionnel français. Cependant le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur la validité des lois [constitutionnelles] adoptées par le peuple à la suite d'un référendum.

L'avance de la Cour suprême des Etats‑Unis peut s'expliquer probablement par le caractère « décentralisé » du système américain. En effet, dans un tel système, les requérants n'hésitent pas à invoquer les moyens tendant à montrer l'invalidité des amendements constitutionnels qui seront appliqués dans leur procès. Par exemple, en 1798, le requérant Hollingsworth a prétendu que l'onzième amendement qui s'appliquait dans son affaire n'était pas valide, parce qu'il n'avait pas été soumis au Président des Etats‑Unis pour sa signature (approbation ou veto) comme le prévoit l'article 1er de la Constitution. C'est ainsi que pour la première fois, la validité d'un amendement constitutionnel a été contrôlée.

Le retard des pays d'Europe peut s'expliquer également par les particularités du modèle européen du contrôle de la constitutionnalité. Mais avant même cela, il faut naturellement noter que le contrôle de la constitutionnalité des lois a été établi dans les pays d'Europe (en dehors de l'Autriche) après la Deuxième Guerre mondiale. Il faut également prendre en compte les raisons historiques, politiques et culturelles dans l'Europe continentale qui ne favorisent pas même le contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires[2]. Nous n'allons pas étudier ici ces facteurs, car nous estimons qu'ils restent en dehors de notre travail.

4. Le nombre de décisions

Du point de vue de la quantité des décisions rendues sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, le record appartient à la Cour constitutionnelle turque. Elle a rendu neuf décisions sur la validité des lois constitutionnelles (huit sous la Constitution de 1961 et une sous la Constitution de 1982). La Cour constitutionnelle turque est suivie par la Cour suprême des Etats‑Unis. Elle a rendu huit décisions. Alors que la Cour constitutionnelle autrichienne en a rendu trois, et la Cour constitutionnelle allemande deux (Elle vient d'être saisie de la révision constitutionnelle de 1993 sur le droit d'asile).

Sans doute le nombre absolu des décisions ne signifie pas grande chose. Il faut au moins prendre en compte la période étudiée. La Cour constitutionnelle turque a rendu neuf décisions pendant 34 ans (taux moyen annuel : 0,26 décision/an). Alors que la Cour suprême des Etats‑Unis a rendu 8 décisions pendant 205 ans (taux moyen annuel : 0,039 décision/an). La Cour constitutionnelle allemande 2 décisions pendant 46 ans (taux moyen annuel : 0,043 décision/an). Mais le taux moyen annuel lui-même est trompeur, car il dépend de la fréquence des révisions constitutionnelles[3]. S'il y a plus de révisions constitutionnelles, il y a plus de possibilité de décisions. En effet, le nombre d'occasions qui se présentent à la cour constitutionnelle de statuer sur une loi constitutionnelle dépendrait du nombre de révisions constitutionnelles. Par conséquent, on peut attendre une relation positive entre le nombre de révisions constitutionnelles et celui de décisions de la cour constitutionnelle sur les lois constitutionnelles. Cependant cette relation n'est pas confirmée dans nos pays étudiés. Par exemple, aux Etats‑Unis, les amendements à la Constitution fédérale sont relativement rares : il n'y a eu que 27[4] amendements pendant 205 ans (le nombre de décisions : 8). En Autriche, la Constitution a été révisée 670 fois depuis 1945[5], alors qu'il y a eu trois décisions sur les lois constitutionnelles. En Allemagne, il y a eu plus de 40 révisions constitutionnelles depuis 1949[6] (le nombre de décisions : 2). Quant au cas de la Turquie, la Constitution de 1961 a été révisée cinq fois, alors que sous cette Constitution, la Cour constitutionnelle turque a rendu huit décisions sur la validité des lois constitutionnelles.

Tout au moins, on peut affirmer que s'il n'y a pas de révision constitutionnelle, il n'y aura pas de décision de la cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

5. Le nombre des décisions d'annulation

Même si la Cour suprême des Etats‑Unis et les Cours constitutionnelles allemande et autrichienne ont déjà contrôlé la constitutionnalité des lois constitutionnelles, elles n'ont jamais jusqu'à ce jour prononcé l'annulation d'une loi constitutionnelle. La Cour constitutionnelle turque est la seule cour constitutionnelle qui a annulé une loi constitutionnelle. Pour la première fois, elle a prononcé l'annulation de la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969 par sa décision du 16 juin 1970. Elle a également annulé certaines dispositions de différentes lois constitutionnelles dans ces quatre décisions suivantes : les décisions des 15 avril 1975, 12 octobre 1976, 27 janvier 1977, 27 septembre 1977. L'audace de cette Cour constitutionnelle peut s'expliquer probablement par son judicial activism[7].

6. L'étendue du contrôle (contrôle de forme / contrôle de fond)

Notre sixième point de comparaison consiste à déterminer l'étendue du contrôle de la constitutionnalité exercé sur les lois constitutionnelles. En d'autres termes, l'organe de contrôle se considère-t-il comme compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles non seulement du point de vue de leur régularité formelle, mais aussi de leur contenu ?

Le contrôle exercé par la Cour suprême des Etats‑Unis a une étendue la plus restreinte. La Cour suprême contrôle seulement la régularité formelle des amendements constitutionnels. Elle n'a jamais exprimé une quelconque opinion favorable à un contrôle de fond des amendements constitutionnels.

La Cour constitutionnelle allemande se déclare compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que leur contenu.

La Cour constitutionnelle autrichienne n'exerce qu'un contrôle de forme sur les lois constitutionnelles. Cependant en ce qui concerne les lois constitutionnelles adoptées sous forme de révision partielle, c'est‑à‑dire sans référendum, le contrôle de forme de la Cour constitutionnelle autrichienne implique en réalité un contrôle de fond de ces lois, car cette Cour a défini la révision totale comme un « changement de telle nature que l'un des principes directeurs de la Constitution en est affecté ».

Quant à la Cour constitutionnelle turque, avant 1971, elle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu. Après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971 qui interdisait expressément à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles, la Cour constitutionnelle s'est déclarée formellement incompétente pour contrôler la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles. Cependant elle a défini le contrôle de la constitutionnalité quant à la forme d'une façon très extensive. Par conséquent en réalité elle a continué à contrôler la constitutionnalité tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu. Enfin la Constitution de 1982, non seulement, a interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité matérielle des lois constitutionnelles, mais aussi a défini expressément en quoi consiste un contrôle de forme des lois constitutionnelles. Par conséquent sous cette Constitution, la Cour constitutionnelle n'a plus contrôlé le contenu des lois constitutionnelles.

Comme on le voit, même si dans les pays européens, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est apparu plus tard qu'aux Etats‑Unis, les cours constitutionnelles européennes sont plus audacieuses que la Cour suprême des Etats‑Unis quant à l'étendue du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Car, une fois qu'elles se sont déclarées compétentes pour se prononcer sur les lois constitutionnelles, elles se reconnaissent la compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, non seulement du point de vue de leur régularité formelle, mais aussi du point de vue de leur contenu.

7. Les règles de référence : celles inscrites ou celles non inscrites dans le texte de la constitution

Le septième point de comparaison consiste à savoir si l'organe de contrôle fait référence non seulement aux règles inscrites, mais aussi à celles non inscrites dans le texte constitutionnel dans l'exercice de leur contrôle sur les lois constitutionnelles.

La Cour suprême des Etats‑Unis n'a jamais fait référence aux règles ou principes qui ne sont pas inscrits dans le texte de Constitution. Elle a examiné la conformité des amendements constitutionnels seulement aux dispositions de l'article 5 de la Constitution.

La Cour constitutionnelle allemande, dans sa décision du 23 avril 1991, a fait référence aux « postulats fondamentaux de la justice ». Or ces postulats ne figurent pas dans le texte de la Loi fondamentale.

La Cour constitutionnelle autrichienne a considéré le principe démocratique, le principe de l'Etat de droit, certains autres principes comme intangibles à l'égard des lois constitutionnelles sous forme de révision partielle. Or, dans la Constitution autrichienne il n'y a aucune limite matérielle à la révision constitutionnelle.

La Cour constitutionnelle turque, sous la Constitution de 1961, dans sa décision du 3 avril 1971, a fait référence aux « nécessités de la civilisation contemporaine », à l'« esprit de la Constitution », à la « cohérence et à la systématique de l'ordre constitutionnel ». Alors que la Constitution de 1961 déclarait que seule la forme républicaine de l'Etat est intangible.

Alors, on peut encore constater que même si en Europe, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est apparu plus tard, une fois que les Cours constitutionnelles européennes se sont déclarées compétentes, elles sont allées trop loin dans la détermination des règles de référence. Elles ont fait référence non seulement aux limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel, mais aussi aux notions ou aux principes qui ne figurent pas du tout dans la constitution, comme « postulats fondamentaux de la justice » (Cour constitutionnelle allemande), aux « nécessités de la civilisation contemporaine » (Cour constitutionnelle turque).

La référence à ces principes ou notions est tout à fait critiquable. Car, le pouvoir de révision constitutionnelle est soumis aux limites prévues par le pouvoir constituant originaire, et non pas aux limitations envisagées par la cour constitutionnelle qui est elle-même un organe constitué. Si une cour constitutionnelle contrôlait la conformité des lois constitutionnelles aux principes non inscrites dans le texte constitutionnel, elle deviendrait le véritable créateur des limites à la révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire le véritable pouvoir constituant originaire.

8. L'interprétation large ou restrictive

Notre huitième point de comparaison consiste à déterminer le caractère « large » ou « restrictif » des interprétations données aux règles de référence par les organes de contrôle.

La Cour suprême des Etats‑Unis interprète restrictivement les normes de référence inscrites dans le texte constitutionnel, c'est‑à‑dire les dispositions de l'article 5 de la Constitution. Elle remplit les lacunes de l'article 5 toujours par les interprétations en faveur du Congrès. En d'autres termes, en cas d'un problème de l'application de l'article 5, elle choisit toujours une solution favorisant les pouvoirs du Congrès. Par exemple, elle a dit que le choix de la méthode pour la ratification de l'amendement proposé (par les législatures ou par les conventions) appartient exclusivement à l'appréciation du Congrès. De même, la Cour suprême a affirmé que le pouvoir de fixer un délai de ratification, ainsi que l'appréciation du caractère raisonnable de ce délai appartient exclusivement au Congrès. De plus dans l'affaire Coleman v. Miller, la Cour suprême a considéré les questions qui lui ont été posées comme politiques, et par conséquent comme appartenant à l'appréciation du Congrès et non pas à elle. Ainsi la Cour applique sa doctrine des political questions et du judicial self restraint en matière du contrôle de la constitutionnalité des amendements constitutionnels[8].

La Cour constitutionnelle allemande, dans sa décision du 15 décembre 1970, a fait une interprétation restrictive des règles de référence, c'est‑à‑dire les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 79 de la Loi fondamentale. Par contre dans sa décision du 23 avril 1991, la Cour a donné une interprétation plus extensive aux limitations matérielles prévues par l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale. Elle a inclus dans le domaine non révisable le principe de l'Etat de droit et le principe d'égalité qui ne sont pas expressément mentionnés dans les articles 1 et 20 auxquelles fait référence l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale.

La Cour constitutionnelle turque, sous la Constitution de 1961, a interprété très extensivement la seule limite matérielle qui existait dans le texte de la Constitution de 1961 : l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat. Selon elle, le principe d'intangibilité ne protège pas seulement la « république » , mais aussi les caractéristiques de cette république exprimées dans l'article 2 de la Constitution. Ainsi elle a inclus dans le domaine non révisable le principe de l'Etat de droit, le principe d'Etat démocratique, le principe d'Etat social, le principe d'Etat laïque, et le principe d'Etat basé sur les droits de l'homme.

L'interprétation extensive des principes intangibles inscrits dans le texte constitutionnel par les Cours constitutionnelles allemande et turque n'est pas fondée. Car, les principes intangibles prévus expressément dans le texte constitutionnel constituent des exceptions à la règle générale qui est la révisabilité de toutes les dispositions constitutionnelles. Par leur interprétation extensive, la Cour constitutionnelle allemande et la Cour constitutionnelle turque ont inclus dans le domaine non révisable les principes qui ne sont pas prévus comme intangibles par le pouvoir constituant originaire.

L'interprétation extensive des règles de référence inscrites dans le texte constitutionnel par les cours constitutionnelles européennes elle aussi confirme notre observation ci-dessus, selon laquelle les cours constitutionnelles européennes sont plus audacieuses que la Cour suprême des Etats‑Unis. A notre avis, cette attitude des cours européennes aussi est tout à fait critiquable. Car, le pouvoir de révision constitutionnelle est limité par les principes intangibles prévus expressément par le pouvoir constituant originaire. Si une cour constitutionnelle contrôle aussi la conformité des lois constitutionnelles aux principes autres que ceux-ci, elle spolie une compétence qui ne lui est pas attribuée. Elle devient ainsi un véritable pouvoir constituant originaire.

Nous déterminons ici le caractère large ou restrictif des interprétations données par les cours constitutionnelles aux règles de référence dans un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel français, dans sa décision du 6 novembre 1962, s'est déclaré incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, c'est pourquoi pour le Conseil constitutionnel français, cette question ne se pose pas. Cependant on peut noter que le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent dans cette décision précitée en interprétant restrictivement l'alinéa 2 de l'article 61 de la Constitution française qui déterminent la compétence du Conseil.

9. Les attitudes générales des juges constitutionnels : judicial self restraint / judicial activism

Le neuvième point de comparaison consiste à déterminer les attitudes générales des organes du contrôle à l'égard du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. A cet égard, un judicial self restraint donne plus de liberté au pouvoir de révision constitutionnelle, alors que un judicial activism limite l'exercice de ce pouvoir[9].

La déclaration de compétence d'une cour constitutionnelle pour se prononcer sur les lois constitutionnelles est un facteur important pour la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle. Alors si une cour se déclare incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, on peut considérer son attitude comme un judicial self restraint. L'exemple qui illustre cette hypothèse est fourni par le Conseil constitutionnel français. Il s'est déclaré incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum.

La déclaration de compétence est un facteur important, mais non décisif pour la limitation efficace du pouvoir de révision constitutionnelle. Car, tout en se déclarant compétente, une cour constitutionnelle peut s'abstenir de prononcer une décision d'annulation. C'est le cas des juges constitutionnels allemand, autrichien et américain. Même s'ils se sont déclarés compétents pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ils n'ont jamais prononcé une décision d'annulation. Alors les attitudes des juges constitutionnels allemand, autrichien et américain ne peuvent pas être considérées comme un judicial activism.

A cet égard, la jurisprudence de la Cour suprême des Etats‑Unis est typique. Elle illustre parfaitement une politique de judicial self restraint en matière de contrôle de la constitutionnalité des amendements constitutionnels. Comme on l'a expliqué, cette Cour, d'une part, ne contrôle que la régularité formelle des amendements constitutionnels ; d'autre part, elle ne fait jamais référence aux règles autres que celles inscrites dans le texte constitutionnel. D'ailleurs, elle interprète très restrictivement les dispositions de cet article. Elle considère certaines questions surgies de l'application de l'article 5 comme des political questions, c'est‑à‑dire des questions échappant à sa compétence.

Cependant, la détermination des attitudes des Cours constitutionnelles allemande et autrichienne n'est pas simple. Il est vrai qu'elles n'ont jamais prononcé une décision d'annulation en matière du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Néanmoins, leur jurisprudence est loin d'un judicial self restraint. Car, la Cour constitutionnelle allemande, d'une part, a interprété très largement les limites matérielles à la révision constitutionnelle (art. 79, al. 3) et d'autre part elle a fait référence aux principes qui ne figurent pas dans le texte constitutionnel. Quant à la Cour constitutionnelle autrichienne, elle a défini la « révision totale » de la Constitution par le critère matériel et ainsi elle a rendu intangibles les « principes directeurs de la Constitution » à l'égard des lois constitutionnelles sous forme de révision constitutionnelle partielle, alors que la Constitution autrichienne ne contient aucune limite matérielle. Alors, la jurisprudence des Cours constitutionnelles allemande et autrichienne ne peut être considérée ni comme étant un judicial self restraint, car elles n'ont jamais prononcé une décision d'annulation, ni comme un judicial activism, car elles sont trop audacieuses dans leurs interprétations et dans leurs références. C'est pourquoi, nous ne donnerons pas de réponse dans le tableau récapitulatif sur ce point concernant l'Allemagne et l'Autriche.

Parmi les pays étudiés, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sous la Constitution de 1961 illustre parfaitement la politique du judicial activism. Comme on l'a vu, cette Cour a prononcé une décision d'annulation dès sa première occasion de statuer sur une loi constitutionnelle, et ceci seulement neuf ans après sa fondation. Elle a prononcé également quatre autres décisions d'annulation entre le 15 avril 1975 et le 27 septembre 1977. Sous la Constitution de 1961, sur huit décisions rendues sur la validité des lois constitutionnelles, cinq étaient des décisions d'annulation. D'ailleurs, cette Cour a fait référence non seulement aux limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel, mais aussi aux quelques principes qui ne trouvent pas leur source dans le texte constitutionnel. De même, cette Cour, a donné une interprétation très extensive à la seule limite matérielle qui existe dans le texte de la Constitution de 1961. Cette attitude de la Cour constitutionnelle turque montre son judicial activism.

Cependant, la Cour constitutionnelle turque sous la Constitution de 1982 a renoncé à son judicial activism en matière de son contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans la seule décision rendue sous cette Constitution, elle a déclaré irrecevable la demande en annulation qui nécessitait un contrôle de fond de la loi constitutionnelle pour lequel la compétence de la Cour constitutionnelle a été exclue expressément par la Constitution. Néanmoins, à partir de cette décision, on ne peut pas affirmer que la Cour constitutionnelle turque a suivi un politique de judicial self restraint en matière du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1982. En effet, elle n'a affirmé que son incompétence de contrôle de fond qui résultait de la Constitution. Elle n'est pas allée plus loin dans la restriction de ses compétences. C'est pourquoi, nous ne donnerons pas de réponse sur ce point concernant la Cour constitutionnelle turque sous la Constitution de 1982 dans le tableau récapitulatif.

En résumé sur ce point, la jurisprudence de la Cour suprême des Etats‑Unis et celle du Conseil constitutionnel français illustrent une attitude de judicial self restraint et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sous la Constitution de 1961 une attitude de judicial activism en matière du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre la jurisprudence des Cours constitutionnelles allemande, autrichienne et turque (sous la Constitution de 1982) ne peut être qualifiée ni de judicial self restraint, ni de judicial activisme.

 

10. La réaction du pouvoir de révision constitutionnelle

Le dixième point de comparaison consiste à savoir si le pouvoir constituant a réagi contre la décision de l'organe de contrôle sur la validité des lois constitutionnelles.

Un organe chargé du contrôle de la constitutionnalité n'est pas à l'abri de réactions de la part du pouvoir de révision constitutionnelle, et à plus forte raison, du pouvoir constituant originaire. Le pouvoir de révision en modifiant la constitution, peut exclure la compétence de la cour constitutionnelle à l'encontre des lois constitutionnelles.

Parmi les pays étudiés, une telle réaction s'est produite seulement en Turquie. En 1971, le pouvoir de révision constitutionnelle a exclu expressément la compétence de la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. C'était une réaction aux décisions de la Cour constitutionnelle. Egalement le pouvoir constituant originaire de 1982, lui aussi a réagi contre l'interprétation extensive par la Cour constitutionnelle des règles de référence de forme en définissant expressément en quoi consiste le contrôle de forme des lois constitutionnelles. D'ailleurs le pouvoir constituant originaire de 1982 a prévu quelques règles de procédure dans le même sens.

Dans d'autres pays, il n'y a pas eu de réaction du pouvoir de révision constitutionnelle ni du pouvoir constituant originaire à l'égard des décisions de l'organe de contrôle de constitutionnalité sur les lois constitutionnelles. En effet, puisque ces cours n'ont jamais prononcé de décision d'annulation des lois constitutionnelles, il n'y a pas de raison effective à une telle réaction.

* * *

Nous avons vu plus haut le nombre des décisions sur la validité des lois constitutionnelles. La quantité de ces décisions pourraient s'expliquer probablement par plusieurs facteurs, comme le modèle de la justice constitutionnelle, comme l'existence de la voie d'exception, comme la difficulté de la saisine parlementaire etc. C'est pourquoi, il convient de voir brièvement les facteurs favorisant ou défavorisant la production des décisions sur la validité des lois constitutionnelles.

11. Le modèle du contrôle de la constitutionnalité : le modèle « décentralisé » et le modèle « centralisé »

Parmi les pays étudiés, seul les Etats‑Unis ont un modèle « décentralisé » du contrôle de la constitutionnalité, les autres pays ont un modèle « centralisé ».

Comme le montre l'exemple américain, le modèle « décentralisé » du contrôle de la constitutionnalité est susceptible de produire plusieurs litiges dans lesquels la question de la validité d'une révision constitutionnelle peut se poser aux tribunaux. Dans ce modèle, on peut estimer que les requérants n'hésiteront pas à invoquer les moyens tendant à prouver l'invalidité des lois constitutionnelles qui s'appliquent dans leur affaires. Par exemple, aux Etats‑Unis, le dix-huitième amendement, à lui seul, a suscité quatre décisions de la Cour suprême sur la validité cet amendement.

Quant au modèle « centralisé », il faut prendre en compte la difficulté/facilité de déclencher un tel contrôle. A cet égard, deux facteurs sont importants : l'existence du contrôle concret des normes (voie d'exception) et le nombre des titulaires du droit de saisine dans le contrôle abstrait des normes (voie d'action).

12. L'existence du contrôle concret des normes (voie d'exception)

Parmi les pays étudiés, en Allemagne et en Autriche et en Turquie (sous la Constitution de 1961), le contrôle concret des normes est possible. Par contre en France, un tel contrôle n'existe pas.

On peut penser que dans les pays où il y a un tel contrôle, la cour constitutionnelle peut avoir plus d'occasion de statuer sur une loi constitutionnelle que dans un pays où il n'y en a pas. Par exemple, en Turquie, sous la Constitution de 1961, s'il n'avait pas existé de contrôle concret des normes (voie d'exception), sur huit décisions relatives aux lois constitutionnelles, cinq n'auraient pas été rendues. Probablement pour cette raison, la Constitution de 1982 a exclu la voie d'exception à l'encontre des lois constitutionnelles.

13. La possibilité de saisine de la cour constitutionnelle par les individus : le recours constitutionnel

Parmi les pays étudiés, la possibilité de saisine de la cour constitutionnelle par les individus existe seulement en Allemagne (Verfassusbeschwerde)[10] et depuis 1975 en Autriche[11]. Même si la saisine par les individus est soumise aux conditions particulières[12], on peut penser que la possibilité d'une telle saisine multiplie les chances de voir le contentieux de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Effectivement, en Allemagne, la décision du 15 décembre 1970[13] et la décision du 23 avril 1991 ont été rendues à la suite de recours constitutionnels à l'initiative des individus.

14. La difficulté de la saisine dans la voie d'action

Quant au contrôle abstrait des normes (voie d'action), dans l'explication du nombre des décisions sur les lois constitutionnelles, il faut prendre en compte la difficulté de la saisine de la cour constitutionnelle. En effet si la saisine de la cour constitutionnelle était plus facile, la cour constitutionnelle aurait plus d'occasions de statuer sur les lois constitutionnelles. La facilité de la saisine dépend du nombre des titulaires du droit de saisine, ainsi que de leur appartenance à différentes tendances politiques.

A cet égard, en Allemagne, la saisine de la Cour constitutionnelle dans le contrôle abstrait des normes est difficile. En effet ce contrôle peut être déclenché sur demande du gouvernement fédéral, d'un gouvernement de Länder, ou d'un tiers des membres du Bundestag[14]. Le gouvernement fédéral et la plupart des gouvernements des Länder seraient naturellement de la majorité qui a voté la loi constitutionnelle. C'est pourquoi, ils ne saisiront pas la Cour constitutionnelle à l'encontre d'une loi constitutionnelle que leur majorité a votée. D'autre part, puisque la Constitution ne peut être révisée qu'à la majorité des deux tiers du Bundestag, la saisine parlementaire (un tiers du Bundestag) est par hypothèse même inopérante pour déclencher le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles[15].

En Autriche aussi la saisine de la Cour constitutionnelle par les parlementaires peut être considérée comme difficile, car pour la saisine de la Cour constitutionnelle, un tiers des députés du Conseil national est nécessaire[16].

Quant à la Cour constitutionnelle turque, sous la Constitution de 1961, la saisine de la Cour constitutionnelle par voie d'action était facile. Les titulaires du droit de saisine étaient les suivants : le président de la République, les partis politiques ayant obtenu au moins dix pour-cent des voix dans les dernières élections, les partis politiques représentés dans la Grande Assemblée nationale, un sixième des membres de chaque assemblée. Alors que dans la Constitution de 1982, une telle saisine est relativement difficile. Les titulaires du droit de saisine en ce qui concerne les lois constitutionnelles sont limités au président de la République et à un cinquième des membres de la Grande Assemblée nationale (= 90 députés). Signalons que les deux premières décisions de la Cour constitutionnelle turque ont été rendues à la suite de saisines effectuées par le Parti travailliste de Turquie en tant que Parti représenté dans l'Assemblée nationale, alors que ce Parti n'avait qu'une dizaine de députés. Une telle saisine n'est pas possible sous la Constitution de 1982.

En France, les titulaires du droit de saisine sont les suivants : le président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, depuis 1974, soixante députés ou soixante sénateurs. Nous considérerons la saisine du Conseil constitutionnel comme difficile avant 1974 et facile après cette date. La décision du 6 novembre du 1962 est rendue à la suite de la saisine du président du Sénat. On peut estimer qu'à cette époque, si la saisine parlementaire avait été possible, le Conseil aurait pu être saisi encore par les soixante députés ou soixante sénateurs. Le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi jusqu'ici à l'encontre d'une loi constitutionnelle votée par le Congrès du Parlement. Une saisine du Conseil constitutionnel à l'encontre de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 (votée par le Congrès du Parlement) a failli se produire en juin 1992 (sur l'initiative de M. Mazeaud et des députés R.P.R.)[17].

En partant de ces exemples on peut constater que la facilité de la saisine de la cour constitutionnelle est un facteur favorisant dans la production du contentieux constitutionnel sur les lois constitutionnelles.

15. Conclusion : le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est-il possible ?

Il convient de terminer ces observations comparatives en déterminant dans quels pays le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible.

Parmi les pays étudiés, la Turquie occupe une place à part. Car, seule la Constitution turque réglemente expressément le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. La Constitution de 1961 (après la révision constitutionnelle de 1971) et la Constitution de 1982 contiennent des dispositions expresses sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Ainsi le cas de la Turquie, à partir de la révision constitutionnelle de 1971, illustre un des modèles que nous avons envisagés dans le cadre théorique : celui dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution[18]. Selon la conclusion du cadre théorique, dans un tel système le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle. Selon la réglementation constitutionnelle turque, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme est possible, mais quant au fond ce contrôle est impossible.

Par contre les constitutions des autres pays étudiés ne contiennent aucune disposition expresse sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans les constitutions de ces pays, la cour constitutionnelle est habilitée essentiellement à statuer sur la constitutionnalité des « lois »[19]. En d'autres
termes, les dispositions constitutionnelles qui déterminent la compétence de la cour constitutionnelle ne mentionnent pas spécialement les « lois constitutionnelles ». Alors tous les autres pays étudiés illustrent le deuxième modèle envisagé dans la cadre théorique : celui dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas expressément réglementé par la constitution
[20].

Selon les conclusions du cadre théorique, dans un tel modèle, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si l'organe chargé de contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles. Par contre si cet organe s'est déjà déclaré incompétent pour statuer sur les lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible. Enfin, si cet organe ne s'est pas encore prononcé sur ce point, la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles ne se pose pas du point de vue du droit positif.

Nous avons vu qu'aux Etats-Unis, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme est possible, car la Cour suprême a déjà contrôlé la régularité formelle des amendements constitutionnels.

En Allemagne et en Autriche le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible car, les cours constitutionnelles de ces pays se sont déjà déclarées compétentes pour statuer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu.

Quant à la France, il faut faire une distinction entre les lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum et les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement. En ce qui concerne les premières, le contrôle de la constitutionnalité est impossible, car le Conseil constitutionnel français s'est déjà déclaré incompétent pour se prononcer sur leur validité. Par contre concernant les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, du point de vue du droit positif, la question de leur contrôle ne se pose pas encore, car le Conseil constitutionnel n'a pas été invité encore à statuer sur une telle loi.

* * *

Pour illustrer de façon synthétique l'ensemble des observations comparatives ci‑dessus, nous proposons ici un tableau récapitulatif. On peut trouver dans ce tableau, la situation dans les pays étudiés (l'Allemagne, l'Autriche, les Etats‑Unis, la France et la Turquie) sur 15 points de comparaison que l'on vient de voir. Pour la Turquie, nous avons réservé deux colonnes, car la situation sous la Constitution de 1961 et celle sous la Constitution de 1982 sont totalement différentes. Les données pour la France ne concernent que les lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum.

 


 

[1]. Comme on l'a noté plus haut (ce chapitre, Section 1, Sous-section 1), le contrôle de la constitutionnalité aux Etats‑Unis est de type « décentralisé », c'est‑à‑dire que ce contrôle n'est pas exercé par un organe spécial. Cependant notre observation ci‑dessus est valable à plus forte raison pour les Etats‑Unis. Car, dans la Constitution de ce pays, il n'y a pas de dispositions expresses qui habilitent un organe spécial à statuer sur la constitutionnalité des « lois ». Ce contrôle est établi par le célèbre arrêt Marbury v. Madison (1803).

[2]. Pour ces conditions voir Favoreu, Les cours constitutionnelles, op. cit., p.6-16.

[3]. A ce propos voir l'étude de Donald S. Lutz, « Toward a Theory of Constitutional Amendment », American Political Science Review, vol. 88, n° 2, juin 1994, p.356-370. Le professeur Lutz examine la question de la difficulté de la révision constitutionnelle dans les 32 pays choisis. Il donne le taux (nombre moyen par an) et l'index de difficulté des révisions constitutionnelles dans ces pays. Aux Etats‑Unis (1789-1992), le taux d'amendement est de 0,13 et l'index de difficulté est de 5,10 ; en Allemagne (1949-1992) le taux de révision constitutionnelle est de 2,91, l'index de difficulté est de 1,60 ; en Autriche (1975-1992) le taux de révision constitutionnelle est de 6,30, l'index de difficulté est de 0,80 ; en France (1968-1992) le taux de révision constitutionnelle est de 0.19, l'index de difficulté est de 2,50 (Ibid., p.369, Table  C-1).

[4]. Le 27e amendement a été ratifié le 7 mai 1992 (Toinet, op. cit., p.609-610.)

[5]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.29.

[6]Ibid.

[7]. Voir le point de comparaison n° 9 (Infra, p.702-704).

[8]. Pour une critique de la jurisprudence Coleman v. Miller à cet égard, voir Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.386-432. Par contre pour la défense de cette jurisprudence voir Laurence H. Tribe, « A Constitution We Are Amending : In Defence of a Restrained Judicial Role », Harvard Law Review, vol.97, 1983, p.433-444. Pour la réponse du professeur Dellinger au professeur Tribe, voir Walter Dellinger, « Constitutional Politics : A Rejoinder », Harvard Law Review, Vol. 97, 1983, p.446-450.

[9]. Comment peut-on définir une politique de judicial activism ? Sans entrer dans le débat doctrinal, nous allons la définir à partir des éléments que nous venons d'utiliser. Ces éléments sont les suivants (avec les numéros des intitulés ci-dessus) : « 2. La déclaration de compétence », « 5. Le nombre des décisions d'annulation », « 6. L'étendue du contrôle », « 7. La référence aux principes non-inscrits dans le texte constitutionnel », « 8. L'interprétation extensive ». Ainsi notre neuvième point de comparaison est constitué à partir de certains des autres points de comparaison.

Notons que nous cherchons la présence cumulative de ces éléments pour dire que la cour constitutionnelle en question applique un judicial activism. En d'autres termes, si la jurisprudence d'une cour constitutionnelle ne remplit pas une de ces conditions, elle ne peut être qualifiée de judicial activism. De même nous cherchons l'inexistence cumulative de ces conditions pour considérer comme judicial self restraint la jurisprudence d'une cour constitutionnelle.

[10]. Béguin, op. cit., p.105 et s.

[11]. Peyrou-Pistouley, op. cit., p.300 et s.

[12]. Pour l'Allemagne voir Béguin, op. cit., p.123-155 et pour Autriche, Peyrou-Pistouley, op. cit., p.306-318.

[13]. Egalement par la saisine du gouvernement de Land de Hesse.

[14]. Art. 93 de la Loi fondamentale allemande.

[15]. Pour la difficulté relative de la saisine de la Cour constitutionnelle dans la voie du contrôle abstrait des normes voir Béguin, op. cit., p.64-66. Il note que « la procédure du contrôle abstrait des normes a été utilisée avec modération puisqu'on dénombre 63 saisines entre 1951 et 1975 » (Ibid., p.66).

[16]. Article 140 de la Constitution autrichienne. La saisine parlementaire est possible depuis la révision constitutionnelle de 1975 (Peyrou-Pistouley, op. cit., p.272). Le total des sièges au Conseil national étant de 183, la Cour constitutionnelle ne peut être saisie que par 61 députés au moins. Suite aux élections législatives du 7 octobre 1990, un seul parti (qui est d'ailleurs au gouvernement) disposait d'une telle majorité. Il semblerait que 3 recours seulement aient été effectués par un tiers des membres du Conseil national entre 1976 et 1989 (Peyrou-Pistouley, op. cit., p.274-275).

[17]. Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.187.

[18]Supra, ce titre, Chapitre 1, § 1.

[19]. Pour la particularité des Etats-Unis, voir supra, note 1.

[20]Supra, ce titre, Chapitre 1, § 2.

 

 

Tableau récapitulatif : Le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans les pays étudiés
 

 

 

 

Allemagne

 

 

 

Autriche

 

 

Etats-Unis

 

 

France1

 


Turquie

(1961)

 

 

Turquie

(1982)

 

 

1. Réglementation constitutionnelle

 

 

 

Non

 

 

Non

 

 

Non

 

 

Non

 

 

Oui2

 

 

Oui

 

 

2. Déclaration de compétence

 

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

Non

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

3. Date de la première décision

 

 

 

15.12.1970

 

 

12.12.1952
 

 

 

1798

 

 

6.11.19623

 

 

16.6.1970

 

 

18.6.1987

 

 

4. Nombre des décisions sur les lois constitutionnelle

 

 

 

2

 

 

3

 

 

8

 

 

13

 

 

8

 

 

1

 

 

5. Nombre des décisions d'annulation

 

 

 

0

 

 

0

 

 

0

 

 

0

 

 

5

 

 

0

 

 

6. Etendue du contrôle
(Contrôle de forme / Contrôle de fond)

 

 

Forme+Fond

 

 

 

Forme+Fond

 

 

Forme

 

 

 

 

Forme+Fond

 

 

 

Forme

 

 

7. Référence aux principes
non inscrits dans la constitution

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

 

Non

 

 

 

 

Oui

 

 

Non

 

 

8. Interprétation de la Cour
(Extensive / Restrictive)

 

 

Restrictive(1970)
Extensive(1991)

 

 

 

Extensive

 

 

Restrictive

 

 

Restrictive

 

 

Extensive

 

 

Restrictive

 

 

9. Politique de la Cour
(
Judicial self restraint /
Judicial activism)

 

 

 

 

 

 

Judicial self

restraint

 

 

 

 

Judicial

activism

 

 

 

 

10. Réaction du pouvoir de révision

 

 

 

Non

 

 

Non

 

 

Non

 

 

Non

 

 

Oui

 

 

Non

 

 

11. Modèle de la justice constitutionnelle (centralisé / décentralisé)

 

 

Centralisé

 

 

Centralisé

 

 

Décentralisé

 

 

Centralisé

 

 

Centralisé

 

 

 

Centralisé

 

 

12. Existence de la voie d'exception

 

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

 

 

Non

 

 

Oui

 

 

Non

 

 

13. Possibilité de saisine par les individus

 

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

 

 

Non

 

 

Non

 

 

Non

 

 

14. La difficulté de la saisine dans la voie d'action

 

 

 

Difficile

 

 

Difficile

 

 

 

 

 

Difficile(av.'74)

Facile (ap.'74)

 

 

Facile

 

 

Difficile

 

 

15. Le contrôle de la consti- tutionnalité des lois consti- tutionnelles est-il possible ?

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

Non

 

 

Oui

 

 

Oui

 

 

 

   Légende :  « — »  La question ne se pose pas ou il n'y a pas de réponse claire à la question posée.

 

    Notes :   Seulement pour les lois constitutionnelles référendaires.

Après 1971.

3 Décision d'incompétence.

 

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(c) Kemal Gözler, 1995 (Theèse), 1997 (Livre), 2004 (Version d'internet). Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le present ouvrage sans autorisation da l'auteur. Cependant vous pouvez imprimer une copie en papier de ce livre, pour votre usage strictement personnel et non commercial. Vous pouvez également enregistrer ce livre sur votre PC pour le lire offline plus tard.

 

Cet ouvrage peut être citée sous les formes suivantes:

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 Volumes, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

ou

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

 


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Date de création: 4 april 2004

Dernière mise à jour: 27 octobre 2020, v2.