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Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774 pages.


Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p.


 

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Première partie
les limites à la révision constitutionnelle

 

 

 

 

Après avoir montré, dans le titre préliminaire, que le pouvoir de révision constitutionnelle est susceptible d'être limité, dans cette partie, nous nous poserons la question de savoir quelles sont les limites qui s'imposent à l'exercice de ce pouvoir.

D'abord, si l'on regarde les textes constitutionnels, on découvre tout de suite que les constitutions elles-mêmes prévoient des limites à leur révision ; c'est-à-dire qu'il y a des limites à la révision constitutionnelle qui figurent expressément dans les textes constitutionnels. Ces limites feront l'objet du titre premier de cette partie.

Cependant, quand il s'agit de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, certains auteurs ne se contentent pas d'énumérer les limites à la révision constitutionnelle prévues expressément par la constitution, allant encore plus loin, ils proposent d'autres limites à l'exercice de ce pouvoir. C'est pourquoi, nous avons réservé le deuxième titre de cette première partie à l'étude de la question de savoir s'il y a des limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans les textes constitutionnels.

 


 

 

 

 

 

Titre 1
les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les Textes constitutionnels

 

 

 

 

Les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels font l'objet de ce titre. Ainsi nous allons d'abord voir l'inventaire de ces limites (Chapitre 1) et ensuite la question de leur valeur juridique (Chapitre 2).

 

 

 

 

Chapitre 1
L'inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels

 

 

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Dans cette section nous nous efforcerons d'énumérer et de décrire les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels. Mais il est évident qu'un tel travail d'inventaire ne peut pas porter sur l'ensemble des pays du monde, à moins d'y réserver une étude monographique tout entière. Or, notre thèse a pour objet de rechercher la validité des limites à la révision constitutionnelle, et non pas de faire une étude descriptive de ces limites. Cependant sans les connaître, on ne peut pas étudier leur validité. C'est pourquoi, nous avons procédé à l'inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels seulement dans deux pays : la France et la Turquie.

Mais, avant de procéder à l'inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution française de 1958 et dans celui de la Constitution turque de 1982, il convient de faire une typologie générale de ces limites.

La typologie générale des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels

Si l'on regarde les textes constitutionnels, on trouve plusieurs dispositions qui réglementent la révision constitutionnelle. Une partie de ces dispositions organise l'organe chargé de la révision constitutionnelle, d'autres parties déterminent la procédure suivant laquelle cet organe peut adopter une loi constitutionnelle. Enfin une autre partie de ces dispositions imposent des limites à la révision constitutionnelle. Ainsi, les constitutions interdisent leurs révisions pendant un certain délai ou sur tel ou tel point. Par conséquent il y a principalement deux types de limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels : les limites matérielles et les limites temporelles.

A. Les limites matérielles

Si l'on examine les textes, on voit que quelques constitutions interdisent la révision de certaines de leurs dispositions. On appelle ces interdictions les limites matérielles, les limites de fond ou les limites relatives à l'objet de la révision. En d'autres termes, quelques constitutions contiennent des dispositions intangibles, autrement dit des clauses irréformables. On entend par là les dispositions constitutionnelles qui ne peuvent pas être révisées par la procédure de révision constitutionnelle[1]. Ainsi si la constitution prévoit une telle intangibilité, la révision de la constitution ne peut pas porter sur toutes les matières.

Pourquoi une constitution exclut de toute révision certaines de ses dispositions ? Comme nous allons le voir plus tard, les constitutions déclarent intangibles en général les principes qu'elles jugent essentiels pour l'existence du régime politique qu'elles ont établi. Le but de ces interdictions est donc de protéger les bases fondamentales du système étatique.

On trouve les limites matérielles dans les plusieurs constitutions. En 1985, parmi les 142 constitutions écrites, Marie-Françoise Rigaux dénombre 38 constitutions qui consacrent le principe de l'immutabilité de certaines matières constitutionnelles[2].

1. La limite matérielle la plus rencontrée est celle de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement. En France depuis la loi du 14 août 1884, les Constitutions interdisent de réviser la forme républicaine du gouvernement. La même interdiction figure aussi dans les Constitutions italienne (art.139)[3], portugaise (art.288, al.3) et turque (art.4). L'intangibilité de la forme républicaine du gouvernement se retrouve également dans les pays africains : l'Algérie (art.195), le Cameroun (art.37), la Côte-d'Ivoire (art.73), la République centrafricaine (art.42), la Guinée équatoriale (art.59), le Gabon (art.85), le Madagascar (art.108), le Mali (art.76), le Sénégal (art.89), et le Togo (art.53).

2. Avec le même souci, mais dans le sens inverse, certaines constitutions monarchiques déclarent intangibles la forme monarchique de l'Etat. Ainsi au Maroc (art.101) et au Koweït (art.175) ce sont les dispositions constitutionnelles relatives au régime monarchique qui ne peuvent faire l'objet d'une révision. De même autrefois, les Constitutions iranienne de 1906 et grecque de 1952 interdisaient la révision de la forme monarchique de l'Etat.

3. D'autre part, dans certains Etats fédéraux, c'est la structure fédérale de l'Etat qui est intangible. Par exemple, selon la Constitution allemande (art.79, al.3) « toute révision de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l'organisation de la Fédération en Länder, au principe de la participation des Länder à la législation... est interdite ». La Constitution brésilienne du 5 octobre 1988, elle aussi, interdit de réviser la forme fédérative de l'Etat (art.60).

4. Par contre, en Turquie, c'est le caractère unitaire de l'Etat qui est intangible (art.3). De même, la Constitution portugaise prévoit que « les lois de révision constitutionnelle doivent respecter... l'unité de l'Etat » (art.288, al.1, a).

5. Une autre interdiction qui l'on rencontre dans divers Etats est assez intéressante : c'est l'interdiction de réviser les fondements idéologiques de l'Etat[4]. Par exemple, la Constitution algérienne (art.195) consacre l'inaltérabilité de son organisation socialiste. La Constitution turque affirme l'intangibilité du nationalisme d'Atatürk (art.2). De même en Algérie (art.195), aux Comores (art.45), en Iran (non seulement la Constitution de 1979, mais aussi celle de 1906) et au Maroc (art.101), le caractère islamique de l'Etat est déclaré intangible.

6. Dans divers pays ce sont les droits de l'homme qui sont déclarés intangibles. (l'Algérie, art.195; l'Allemagne, art.1 en vertu de l'article 79 et le Portugal, art.288).

7. Une autre immutabilité prévue dans les diverses constitutions, c'est l'intégrité du territoire de l'Etat. Par exemple en Algérie (art.195), au Cameroun (art.37), au Portugal (art.288) et en Turquie (art.3) les constitutions interdisent la révision des dispositions constitutionnelles qui touchent à l'intégrité de leur territoire.

8. Nous venons d'énumérer les principales clauses irréformables rencontrées dans les différentes constitutions. Cependant il faut signaler qu'il est presque impossible de faire une liste exhaustive des limites matérielles à la révision constitutionnelle. Car, ces limites sont parfois formulées très largement.

Par exemple en Allemagne selon l'article 79, alinéa 3, les articles 1 et 20 sont intangibles. Et selon l'article 1,

 

        (1) La dignité de l'être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l'obligation de la respecter et de la protéger.

        (2) En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l'être humain des droits inviolables et inaliénables comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde.

        (3) Les droits fondamentaux énoncés ci-après lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable[5].

 

Quant à l'article 20, il précise que

        (1) La République fédérale d'Allemagne est un Etat fédéral démocratique et social.

        (2) Tout pouvoir d'Etat émane du peuple. Le peuple l'exerce au moyen d'élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

        (3) Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit.

        (4) Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre, s'il n'y a pas d'autre remède possible[6].

Enfin il faut souligner que dans le domaine des limites matérielles, le record appartient à la Constitution portugaise qui prévoit 18 limites matérielles. Selon l'article 288, les principes suivants sont intangibles :

- l'indépendance nationale ;

- l'unité de l'Etat ;

- la forme républicaine du gouvernement ;

- la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- les droits, les libertés et les garanties des citoyens ;

- les droits des travailleurs, des commissions des travailleurs et des associations syndicales ;

- la coexistence du secteur public, du secteur privé et du secteur coopératif et social de propriété des moyens de production ;

- l'existence des plans économiques dans le cadre d'une économie mixte ;

- le suffrage universel, direct, secret et périodique ;

- le système de la représentation proportionnelle ;

- le pluralisme de l'expression et de l'organisation politique ;

- le pluralisme des partis politiques ;

- le droit d'opposition démocratique ;

- la séparation et l'interdépendance des organes de souveraineté ;

- le contrôle de la constitutionnalité ;

- l'indépendance des tribunaux ;

- l'autonomie des collectivités locales ;

- l'autonomie politique et administrative des archipels des Açores et de Madère.

B. Les limites temporelles

Les constitutions limitent parfois le pouvoir de révision constitutionnelle dans le temps. En d'autres termes, certaines constitutions interdisent leur révision pendant un certain laps de temps. Dans de tels cas, on parle des limites de temps du pouvoir de révision constitutionnelle.

Ces limites apparaissent de deux façons : la constitution interdit sa révision avant l'écoulement d'un certain délai à partir de sa mise en vigueur[7]. Ou bien elle exclut sa révision dans certaines circonstances. Voyons d'abord le premier cas.

1. L'interdiction de réviser la constitution avant l'écoulement d'un certain délai à partir de sa mise en vigueur

Dans ce cas, la question de révision de la constitution ne peut être posée pour la première fois qu'un certain temps après sa mise en vigueur[8]. En d'autres termes, la possibilité de révision n'est permise qu'après un certain délai[9].

Dans ce but, soit les constitutions interdisent leur révision jusqu'à une date précise, soit elles déterminent un certain délai à partir de son entrée en vigueur.

Par exemple la Constitution des Etats-Unis (art.5) interdisait la révision de la première et de la quatrième clause de la neuvième section du premier article avant l'année 1808 (art.5).

L'exemple le plus classique de l'interdiction de réviser la constitution avant l'expiration d'un certain délai est fourni par la Constitution française de 1791. Cette Constitution interdisait toute proposition de révision aux deux premières législatures, c'est‑à‑dire pendant quatre ans. De même la Constitution de Paraguay de 1967 interdit sa révision totale avant l'écoulement de dix ans, et sa révision partielle avant cinq ans à partir de sa publication (art.219).

Il faut encore signaler que certaines constitutions prévoient un laps de temps après la dernière révision. Par exemple, la Constitution portugaise de 1976 (art.284, al.1) précise que « l'Assemblée de la République peut réviser la Constitution cinq ans révolus après la date de la publication de la dernière loi de révision constitutionnelle ». Il en va de même pour la Constitution grecque de 1975 (art.110, al.6).

Enfin, une autre sorte de limitation du pouvoir de révision constitutionnelle dans le temps consiste à prévoir deux délibérations successives séparées par un intervalle de temps pour l'adoption des lois constitutionnelles. Par exemple, la Constitution italienne de 1947 (art 138, al.1) prévoit un intervalle de trois mois au moins entre deux délibérations. De même, la Constitution française de 1946 (art.90) obligeait l'Assemblée nationale à adopter la résolution de révision en deux lectures séparées d'au moins trois mois. Enfin la Constitution de 1791 introduisait un délai assez long pour allonger la procédure. Le voeu de révision devait être émis par trois législatures consécutives (titre VII, art.2) et c'est seulement au cours de la quatrième législature que la révision pouvait être réalisée (titre VII, art.2). La Constitution de l'an III (art.338) et la Constitution de 1848 (art.111) prévoyaient des délais assez longs pour aboutir à une révision constitutionnelle.

Le but des limitations dans le temps est de permettre au régime nouvellement institué de se mettre en place et de s'affermir[10]. En retardant le moment où l'on pourra effectuer une révision constitutionnelle, on essaye d'assurer une certaine stabilité aux institutions nouvellement créées[11]. En d'autres termes, les limites de temps ont pour objet de permettre à une constitution nouvelle de se consolider[12]. Ainsi la constitution, en limitant le pouvoir de révision constitutionnelle dans le temps, favorise son enracinement[13].

Quant au procédé qui consiste à introduire un délai dans la procédure de révision constitutionnelle, le but est d'éviter les révisions brusques[14]. Ainsi l'on exige que « les modifications qui seront apportées à la constitution le soient après la réflexion »[15].

2. L'interdiction de réviser la constitution dans certaines circonstances

Parfois les constitutions interdisent leur révision dans certaines hypothèses. A cette occasion, on parle de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle dans les circonstances. Paolo Biscaretti di Ruffia parle des « périodes particulièrement délicates de la vie de l'Etat »[16]. Le but de ces limitations « est d'interdire la révision à certaines époques en raison des circonstances, afin d'éviter toute révision sous la pression des événements »[17].

1. Ainsi certaines constitutions interdisent leur révision lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire. Par exemple la Constitution française de 1946, instruite par l'expérience du 10 juillet 1940, interdisait sa révision « au cas d'occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères » (art.94). La même interdiction se retrouve dans la Constitution de 1958 (art.89, al.4). Une interdiction analogue est également adoptée par certains Etats africains (le Mali, art.76 ; la Côte-d'Ivoire, art.73 ; le Gabon, art.84 ; le Togo, art.53).

2. D'autre part, on trouve dans certaines constitutions monarchiques l'interdiction de réviser la constitution en période de régence. Par exemple, selon la Constitution belge, « pendant une régence aucun changement ne peut être apporté à la Constitution en ce qui concerne les pouvoirs constitutionnels du Roi et les articles 85 à 88, 91 à 95, 106 et 197 de la Constitution » (art.197 de la nouvelle Constitution belge du 17 février 1994, art.84 de la Constitution du 7 février 1831).

3. Dans le même sens, certaines constitutions républicaines interdisent leur révision pendant l'intérim de la présidence de la république. Par exemple, selon la Constitution française de 1958, la révision de la Constitution ne peut pas intervenir « durant la vacance de la Présidence de la République ou durant la période qui s'écoule entre la déclaration du caractère définitif de l'empêchement du Président de la République et l'élection de son successeur » (art.7, dernier alinéa).

4. Une autre limite circonstancielle qui se rencontre dans plusieurs constitutions, c'est l'interdiction de réviser la constitution pendant les états exceptionnels. Par exemple, selon la Constitution espagnole, la révision de la Constitution est interdite en temps de guerre ou lorsque l'état d'urgence, ou l'état d'exception, ou l'état de siège est en vigueur (art.169). De même, l'article 289 de la Constitution portugaise précise qu'« aucun acte de révision constitutionnelle ne peut être accompli pendant l'état de siège ou l'état d'urgence ». La Constitution belge interdit la révision de la Constitution en temps de guerre (art.196 de la nouvelle Constitution belge du 17 février 1994; art. 131bis de la Constitution de 1831). Egalement la Constitution brésilienne du 5 octobre 1988 exclut la révision de la Constitution pendant l'état de défense ou l'état de siège (art.60). En France, selon la décision du Conseil constitutionnel du 2 septembre 1992, la révision de la Constitution est interdite lorsque l'article 16 est en application. Ces interdictions ont pour objet d'éviter les révisions constitutionnelles dans une phase où les conditions de légalité démocratique sont fragiles.

C. Les conditions de forme

Après avoir vu les limites de fond et celles de temps, nous allons voir à présent les conditions de forme de la révision constitutionnelle. Nous entendons par « conditions de forme », les conditions qui sont exigées pour la proposition, l'adoption et la ratification des lois de révision constitutionnelle, comme la proposition par un certain nombre de parlementaires, comme la condition de deux délibérations, comme celle de dissolution de l'assemblée qui a proposé la révision, comme la condition de l'adoption par les majorités qualifiées, ou la présence d'un quorum spécial lors des votes du Parlement. Par exemple, comme nous allons le voir plus tard, la Constitution française de 1958 n'impose pas seulement des limites à la révision constitutionnelle, mais elle détermine aussi des conditions de forme dans la procédure de révision constitutionnelle. Ainsi selon l'article 89, l'initiative de la révision du président de la République ne peut s'exercer que sur proposition du Premier ministre. De même « le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques » (art.89, al.2).

Soulignons que nous utilisons l'expression des « conditions » de forme, et non pas celle des « limites » de forme. Car, à notre avis les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de forme de la révision constitutionnelle ne sont pas tout à fait la même chose.

Pour montrer cette différence, commençons d'abord par la définition des termes « limite » et « condition ». Le dictionnaire Petit Robert définit le terme limite comme « point que ne peut ou ne doit pas dépasser une activité, une influence ». Ainsi nous pouvons définir les limites à la révision constitutionnelle comme les points que ne doit pas dépasser le pouvoir de révision constitutionnelle. Le même dictionnaire définit le terme condition (dans le sens de circonstance), comme « état, situation, fait dont l'existence est indispensable pour qu'un autre état, un autre fait existe ». Alors, les conditions de la procédure de révision constitutionnelle sont des états, des situations, des faits dont l'existence est indispensable pour qu'une loi de révision constitutionnelle existe.

Recherchons ainsi la différence entre les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de la procédure de révision constitutionnelle. Posons aussi cette question : si le pouvoir de révision constitutionnelle a dépassé ses limites, quelles en seront les conséquences ? De même si le pouvoir de révision constitutionnelle n'a pas rempli les conditions exigées pour son exercice, quelles en seront les conséquences ? En d'autres termes, y a-t-il des différences entre les conséquences de la violation des limites à la révision constitutionnelle et les conséquences de la violation des conditions de procédure de révision constitutionnelle ?

Supposons que le pouvoir de révision constitutionnelle ait adopté une loi de révision constitutionnelle en dépassant une limite à la révision constitutionnelle. En théorie, la conséquence du dépassement de cette limite est l'invalidité de la partie de la loi constitutionnelle qui a dépassé cette limite. En d'autres termes, le dépassement d'une limite n'entraîne pas en principe l'invalidité complète de la loi constitutionnelle en question. Ainsi s'il y a d'autres parties de la loi constitutionnelle qui ne sont pas contraires à cette limite, elles restent valables. Maintenant supposons que le pouvoir de révision constitutionnelle ait adopté la même loi constitutionnelle, sans remplir une condition de forme exigée pour l'adoption de cette loi, par exemple qu'il ait adopté cette loi à la majorité simple, au lieu d'une majorité qualifiée. La conséquence de la violation de cette condition est l'invalidité complète de la loi de révision constitutionnelle. Car cette condition, c'est‑à‑dire l'adoption de cette loi à la majorité qualifiée, est indispensable pour l'existence de cette loi constitutionnelle. En d'autres termes, le fait que le pouvoir de révision constitutionnelle n'a pas rempli les conditions de la procédure de révision constitutionnelle signifie qu'il n'existe pas une activité du pouvoir de révision constitutionnelle. C'est-à-dire qu'une loi constitutionnelle adoptée en violation des conditions de procédure n'est pas du tout une loi constitutionnelle. Autrement dit, une loi constitutionnelle ne peut être adoptée que dans le cadre déterminé par la constitution. Car, le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut exprimer sa volonté qu'en respectant les conditions de procédure de révision constitutionnelle. Le fait que la révision constitutionnelle est faite contrairement aux conditions de procédure signifie qu'il n'existe pas de volonté valablement exprimée du pouvoir de révision constitutionnelle.

En conséquence, il y a une différence théorique entre la conséquence de la violation d'une limite à la révision constitutionnelle et celle de la violation d'une condition de procédure de révision constitutionnelle. La première n'affecte pas l'existence de la loi constitutionnelle en tant que telle, mais elle entraîne seulement l'invalidité de la partie de la loi constitutionnelle qui a dépassé la limite. Par contre la deuxième entraîne l'invalidité totale de la loi constitutionnelle en question. C'est pourquoi, les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure de révision constitutionnelle sont deux choses différentes.

Cependant, à notre avis, il faut ici examiner non seulement les limites à la révision constitutionnelle, mais aussi les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle ; car, il n'existe pas de différence entre les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure de révision constitutionnelle du point de vue du juge constitutionnel. En effet, la différence théorique qui existe entre les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure n'entraînerait pas des conséquences différentes dans un éventuel contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Parce que, si le juge constitutionnel est compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il peut censurer une loi constitutionnelle en raison du fait que, soit elle a dépassé ses limites, soit elle n'a pas rempli les conditions de procédure exigées. En effet, les limites à la révision constitutionnelle ou les conditions de procédure de révision constitutionnelle ne sont pas d'autres choses que des dispositions de la constitution qui règlent la révision constitutionnelle. La violation de ces règles peut entraîner l'annulation de la loi constitutionnelle par le juge constitutionnel, si ce dernier est compétent pour contrôler la constitutionnalité des ces lois. En d'autres termes, les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure de révision constitutionnelle, toutes ensemble, constituent des règles de référence dans le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est-à-dire que le juge constitutionnel, s'il se considère comme compétent, peut annuler une loi constitutionnelle pour cause de violation d'une condition de procédure de révision constitutionnelle, aussi bien que pour le motif du dépassement d'une limite à la révision constitutionnelle. Par exemple, si un jour le Conseil constitutionnel français se déclare compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il peut censurer une loi constitutionnelle non seulement pour le non-respect des limitations découlant des articles 7, 16, 89, al.4 et 5, mais aussi pour le non-respect des prescriptions des alinéas 1, 2 et 3 de l'article 89 de la Constitution.

Ainsi le juge constitutionnel peut se référer non seulement aux limites à la révision constitutionnelle, mais aussi aux conditions de forme dans la procédure de révision constitutionnelle pour censurer une loi constitutionnelle. Par conséquent à cet égard, il n'y a pas de différence entre les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure de révision constitutionnelle. Quand il s'agit du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, les conditions de procédure peuvent jouer le même rôle que celui des limites qui s'imposent à la révision constitutionnelle. Elles peuvent être traitées à coté des limites de fond et celles de temps. En conséquence, selon cette réponse, il y a trois types de règles de références dans le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles : les limites de fond, les limites de temps et les conditions de forme.

Toutes les trois peuvent entraîner l'annulation des lois constitutionnelles, si le juge constitutionnel se considère comme compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des ces lois. Par conséquent, dans notre travail, nous devons examiner non seulement les limites à la révision constitutionnelle, mais aussi les conditions de forme. En effet comme on l'a déjà dit, les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de forme ne sont pas autres choses que des dispositions de la constitution qui déterminent la compétence du pouvoir de révision[18]. C'est pourquoi, après avoir vu les limites de fond et celles de temps, nous allons voir ici brièvement les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle.

Comme on l'a déjà dit, le pouvoir de révision constitutionnelle est un pouvoir qui s'exerce dans le cadre déterminé par les constitutions. Ce cadre est appelé communément la « procédure de révision constitutionnelle ». Les constitutions déterminent ordinairement – mais pas nécessairement – la procédure de révision constitutionnelle en trois phases : l'initiative, l'élaboration et la ratification de la loi de révision constitutionnelle[19].

1. L'initiative de la révision

Le pouvoir de l'initiative de la révision constitutionnelle peut être conféré exclusivement à l'organe exécutif, ou exclusivement à l'organe législatif, ou bien il peut être partagé entre l'exécutif et le législatif. Il peut même être accordé au peuple.

L'initiative accordée exclusivement à l'exécutif.- Par exemple, selon la Constitution française de 1852 (art.31), la proposition de révision du Sénat devait être adoptée par le Pouvoir exécutif. De même le Sénatus-consulte fixant la Constitution de l'Empire du 21 mars 1870 précisait que « la Constitution ne peut être modifiée que par le peuple sur la proposition de l'empereur » (art.44).

L'initiative accordée exclusivement au législatif.- L'exemple le plus connu est celui de la Constitution des Etats-Unis. Cette Constitution accorde le pouvoir de proposer les amendements à la Constitution exclusivement au Congrès ou aux législatures des Etats (art.5). Ainsi aux Etats-Unis, l'exécutif n'a pas le pouvoir de proposer les amendements constitutionnels. De même selon la Constitution des Philippines, le pouvoir de proposer la révision constitutionnelle appartient exclusivement au Congrès. La Constitution turque, quant à elle, attribue ce pouvoir à seul un tiers de membres de l'Assemblée nationale (art.175).

L'initiative accordée à l'exécutif et au législatif.- C'est la formule qui est la plus répandue. Par exemple en France, l'initiative de la révision de la Constitution est partagée entre les membres du Parlement et le président de la République (art.89, al.1). En Espagne aussi, l'initiative de la révision appartient au Gouvernement, au Congrès, et au Sénat (art.166, art.87).

L'initiative accordée aussi au peuple.- Lorsque le peuple a aussi le pouvoir de proposer une révision constitutionnelle on parle de l'initiative populaire. C'est le cas en Suisse, au Liechtenstein, en Corée du Sud et en Uruguay.

Voyons maintenant les conditions de forme dans la phase de l'initiative de la révision.

Les initiatives venant de l'exécutif ne sont pas en général soumises à des conditions particulières. Cependant, en France, le pouvoir de l'initiative du président de la République est soumise à une condition : il s'exerce sur la proposition du Premier ministre.

Quant aux initiatives parlementaires, dans certaines constitutions elles n'obéissent pas à des conditions particulières. Par exemple en France, un membre du Sénat ou de l'Assemblée nationale peut déposer une proposition de révision. Par contre dans d'autres constitutions, les initiatives parlementaires sont soumises à des conditions particulières, comme la signature de la proposition par un certain nombre des parlementaires. Par exemple selon la Constitution grecque de 1975, la proposition de révision doit être faite par au moins cinquante députés (art.110, al.2). Dans d'autres pays cette condition est déterminée comme un taux des membres du parlement. Par exemple selon l'article 175, al.1, de la Constitution turque, « les révisions constitutionnelles peuvent être proposées par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande assemblée nationale ». Il en va de même pour, le Brésil, le Cameroun, la Corée du Sud, la République centrafricaine, la Mauritanie. Parmi les pays qui exigent cette condition, le Burundi et le Maroc se contentent de la signature de la proposition par un quart au moins des membres du parlement. En Algérie, en Libye, en Tunisie, au Gabon et en Uruguay les révisions peuvent être proposées par la majorité absolue des parlementaires. La condition la plus lourde en ce domaine est sans doute celle qui exige la signature de la proposition par les deux tiers au moins des membres du parlement. L'Argentine, la Bolivie, le Guatemala, Monaco et le Rwanda exigent une telle majorité pour la proposer une révision de la constitution. De même l'article 5 de la Constitution des Etats-Unis prévoit que la proposition de révision constitutionnelle doit être faite par les deux tiers des chambres ou par les législatures des deux tiers des Etats.

Les initiatives populaires sont soumises à une condition semblable : la proposition de la révision constitutionnelle doit être signée par un certain nombre d'électeurs. Ce nombre est fixé parfois comme un chiffre absolu, parfois comme un pourcentage du nombre total des électeurs. Par exemple en Suisse la proposition de révision constitutionnelle doit être signée par 100 000 électeurs au moins. Au Liechtenstein ce chiffre est de 900, en Corée du Sud de 500 000. En Uruguay, c'est 10 % des électeurs.  

2. L'élaboration de la révision

Dans cette deuxième phase de la procédure de révision, on décide si l'on doit prendre l'initiative en considération et lui donner suite. Cette décision est prise tantôt par une assemblée réunie à cette fin, tantôt par les assemblées ordinaires.

Dans le premier cas, on parle d'assemblée constituante ou de convention. Par exemple, selon la Constitution des Etats-Unis, l'une des procédures de ratification est la ratification des amendements constitutionnels par les trois quarts des conventions réunies à cet effet dans chacun des Etats (art.5). Aux Philippines (art.XV), au Guatemala (art.269) et en Uruguay (art.331) le principe de révision par une assemblée constituante est prévu.

La forte majorité des constitutions donne ce pouvoir aux organes législatifs ordinaires. Cependant pour assurer la rigidité de la constitution, ces constitutions exigent les conditions plus solennelles que celles prévues pour l'adoption des lois ordinaires. Nous allons citer ici quelques unes de ces conditions.

(1) Tout d'abord, il convient de préciser que certaines constitutions prévoient la dissolution du parlement qui a proposé la révision constitutionnelle. Par exemple les Constitutions belge (art.195, al.2), danoise (art.88), hollandaise (art.137, al.3), islandaise et luxembourgeoise (art.114) prévoient la dissolution des assemblées législatives qui ont proposé la révision constitutionnelle. En Espagne la dissolution des Cortès est prévue pour la révision complète de la Constitution ou pour une révision qui affecte le titre préliminaire, le deuxième chapitre, section 1 du titre I ou le titre II (art.168, al.1).

(2) Dans certains pays dont les parlements sont bicaméraux, pour assurer l'égalité des assemblées en matière de révision constitutionnelle, la constitution prévoit l'adoption de la proposition de la révision en termes identiques. Par exemple en France, « le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques ». Ainsi, aucune révision de la Constitution ne peut être valablement réalisée par la voie de l'article 89 sans l'accord des deux chambres. La Constitution allemande donne aussi des pouvoirs égaux au Bundestag et au Bundesrat. Selon l'article 79, alinéa 2, la loi de révision constitutionnelle « doit être approuvée par les deux tiers des membres du Bundestag et les deux tiers des voix du Bundesrat ».

(3) Une autre condition dans cette phase de la procédure de révision constitutionnelle est l'exigence d'une double délibération. Par exemple l'Italie, le Danemark, la Finlande, la Suède, la Turquie, le Brésil, l'Algérie, la Colombie, le Nicaragua, le Pérou, et la Tunisie prévoient deux délibérations successives pour l'adoption du texte de la proposition des lois de révision constitutionnelle. Certaines constitutions, allant encore plus loin, exigent trois délibérations : le Kenya, Cuba, la Malaisie, l'Ouganda. Dans ce domaine, le record appartient au Costa-Rica. La Constitution du Costa-Rica du 7 novembre 1949 (art.195) prévoit six délibérations.

(4) D'autre part certaines constitutions introduisent des délais spéciaux dans la procédure de révision constitutionnelle. Les exemples en sont fournis par les anciennes Constitutions françaises. La Constitution de 1791 introduisait un délai assez long dans la procédure. Le voeu de révision devait être émis par trois législatures consécutives (titre VII, art.2) et c'est seulement au cours de la quatrième législature que la révision pouvait être réalisée (titre VII, art.2). La Constitution de l'an III (art.338) et la Constitution de 1848 (art.111) prévoyaient des délais assez longs pour aboutir à une révision constitutionnelle. De même la Constitution de 1946 (art.90) obligeait l'Assemblée nationale à adopter la résolution de révision en deux lectures séparées d'au moins trois mois. Les exemples contemporains sont nombreux : la Constitution italienne de 1947 (art 138, al.1) prévoit un intervalle de trois mois au moins entre deux délibérations. Il en va de même pour la Tunisie. Cette durée est de deux mois pour l'Algérie. La Constitution de la Corée du Sud prévoit un délai d'un mois entre la proposition et la première délibération, non pas entre deux délibérations.

(5) Sans doute la condition la plus importante exigée dans cette phase est celle de majorité. Les constitutions prévoient différentes majorités pour l'adoption de la proposition de la révision constitutionnelle en fonction de leur rigidité. Celles-ci varient de la majorité relative à la majorité des quatre cinquièmes.

(a) Les constitutions les moins rigides se contentent de prévoir l'adoption de la proposition à la majorité relative. Par exemple en France, comme pour les lois ordinaires, les projets ou les propositions de révision constitutionnelle sont votés à la majorité relative, c'est‑à‑dire à la majorité absolue des suffrages exprimés sans prise en compte des absences ou des abstentions. Il faut signaler toutefois que le projet ou la proposition adopté à la majorité relative doit être approuvé par référendum (art.89, al.2) ou le projet doit être approuvé par les trois cinquièmes des suffrages exprimés au Parlement réuni en Congrès (art.89, al.3).

(b) Certaines constitutions exigent la majorité absolue des membres du parlement, et non pas celle des suffrages exprimés. Par exemple, la Constitution italienne exige « la majorité absolue des membres de chacune des Chambres lors du second vote » pour l'adoption des lois de révision constitutionnelle (art.138, al.1). Il en va de même pour le Cameroun, l'Algérie, le Maroc, l'Equateur, le Nicaragua, le Pérou, et l'Australie.

(c) D'autre part, il y a des constitutions qui prévoient l'adoption des lois de révision constitutionnelle à la majorité des trois cinquièmes. Par exemple, selon la Constitution espagnole (art.167, al.1), « les projets de révision constitutionnelle devront être adoptés par une majorité des trois cinquièmes dans chacune des Chambres ». De même en Turquie, selon l'une des deux voies possibles, la proposition de révision doit être adoptée à la majorité des trois cinquièmes du nombre total des membres de l'Assemblée nationale (art.175).

(d) En effet, parmi les conditions d'adoption par les majorités qualifiées, la solution la plus répandue est celle de la majorité des deux tiers. Plusieurs constitutions exigent l'adoption de la proposition ou du projet de révision à la majorité des deux tiers. Par exemple selon l'article 79, al.2 de la Constitution allemande, la loi de révision constitutionnelle « doit être approuvée par les deux tiers des membres du Bundestag et les deux tiers des voix du Bundesrat ». L'adoption par la majorité des deux tiers est également exigée par les Constitutions autrichienne (art.44: des voix exprimées), italienne (art.138, al.3 : des membres, selon une des hypothèses envisagées), espagnole (art.167, al.2 : si le projet a été adopté par la majorité absolue du Sénat. Ou dans la procédure renforcée prévue par l'article 168), portugaise (art.286, al.1 : des députés effectivement en fonction) et turque (art.175, al.3 : du nombre total des membres de l'Assemblée, selon une des voies possibles).

(e) Une solution encore plus rigide consiste à exiger l'adoption des propositions par une majorité des trois quarts. Par exemple le Tchad, l'Ethiopie, la Côte d'Ivoire, les Philippines et le Kenya prévoient les majorités des trois quarts des membres du parlement pour l'adoption des lois de révision constitutionnelle.

(f) Enfin la solution la plus rigide est choisie par la Constitution du Dahomey du 11 février 1964 (art.99, al.3) et celle du Rwanda du 24 novembre 1962 (art.107, al.3). Ces Constitutions exigent l'adoption de la proposition de révision par une majorité des quatre cinquièmes des membres de leur parlement. Il faut signaler que la Constitution portugaise prévoit « la majorité des quatre cinquièmes des députés effectivement en fonction » pour réviser à tout moment la Constitution (art.284, al.2) ; sinon, pour réviser la Constitution à la majorité des deux tiers des députés, il faut attendre que cinq ans soient révolus après la date de la publication de la dernière loi de révision ordinaire (art.284, al.1).

Comme on peut le remarquer, les constitutions déterminent non seulement les majorités qualifiées exigées, mais aussi la base du calcul de cette majorité. Par exemple les Constitutions allemande (au Bundesrat), italienne, portugaise et turque imposent le calcul de la majorité sur le nombre total des membres des parlements. Par contre les Constitutions française (art.89, al.3) et autrichienne (art.44, al.1 et 2) décident de calculer la majorité sur le nombre des suffrages exprimés. Enfin, une autre partie des constitutions ne précise pas la base du calcul. Dans ce cas, on peut penser que la majorité sera calculée selon la base du calcul déterminée dans la procédure législative ordinaire. Par exemple, l'alinéa 2 de l'article 89 de la Constitution française ne précise pas la base du calcul. Il dit simplement que « le projet ou la proposition de révision doit être votée par les deux assemblées en termes identiques ». Il en résulte que le projet ou la proposition de révision doit être voté conformément à la procédure législative ordinaire, c'est‑à‑dire à la majorité relative, à savoir à la majorité des suffrages exprimés sans prise en compte des absences ou des abstentions[20].

(6) Une autre condition exigée dans la phase d'adoption des propositions est la présence d'un quorum lors des votes du parlement. Par exemple la Constitution autrichienne exige la présence de la moitié au moins des membres du Nationalrat, (art.44).

(7) Dans certaines constitutions la procédure de révision varie selon l'objet de la révision constitutionnelle. Pour la révision totale de la constitution ou celle de certaines dispositions constitutionnelles jugées essentielles, certaines constitutions prévoient une procédure spéciale dans laquelle les conditions d'adoption sont renforcées. A cet égard les constitutions exigent en général une majorité plus élevée, le recours au référendum, ou encore la dissolution des chambres. Par exemple, en Espagne, pour la révision complète de la Constitution ou une révision qui affecte le titre préliminaire, le chapitre deuxième, section 1 du titre I ou le titre II, le vote à la majorité des deux tiers dans chaque Chambre, et la dissolution des Cortès sont exigés (art.168, al.1). La Constitution autrichienne prévoit le référendum obligatoire pour la révision totale de la Constitution (art.44, al.3).

(8) Dans les Etats fédéraux, les Etats fédérés sont associés à la procédure de révision de la Constitution fédérale. Ainsi aux Etats-Unis, l'adoption de la proposition de révision par le Congrès doit être suivie de la ratification des trois quarts des Etats fédérés. De même en Suisse, les révisions constitutionnelles ne doivent pas seulement être approuvées par référendum, mais aussi être acceptées par la majorité des Cantons. La participation des Etats fédérés à la procédure de la révision de la Constitution fédérale est une règle classique du fédéralisme.

(9) En outre, dans les Etats fédéraux, il existe des conditions de forme pour protéger les Etats fédérés. Par exemple, selon la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, « aucun Etat ne pourra être privé, sans son consentement, de l'égalité de suffrage au Sénat » (art.5). De même en Australie, la révision de la Constitution prévoyant une réduction du pourcentage de sièges détenu par un Etat dans l'une ou l'autre chambre, doit être approuvée par les électeurs de l'Etat fédéré concerné. En Autriche, les dispositions de la Constitution concernant la composition et les attributions du Conseil fédéral ne peuvent être modifiées que si, au Conseil fédéral la majorité des représentants de quatre Länder au moins s'est prononcée en faveur de la modification proposée (art.35, al.4). En Inde, les textes concernant les relations entre les Etats et l'Union doivent être ratifiés par les Parlements d'au moins la moitié des Etats.

2. La ratification de la révision

C'est la dernière phase de la procédure de révision constitutionnelle. Il s'agit d'un dernier obstacle que doivent surmonter les propositions et les projets des lois constitutionnelles adoptés par les organes compétents avant d'entrer en vigueur. Ainsi les constitutions donnent une dernière occasion de réflexion sur la révision constitutionnelle, avant qu'elle devienne définitive. C'est le droit de la ratification des lois constitutionnelles. Les constitutions, en général, attribuent ce droit au chef de l'Etat ou bien au peuple.

Avant de les exposer, il convient de noter que plupart des constitutions ne prévoient pas la ratification des lois constitutionnelles par le peuple. De plus certaines de ces constitutions ne prévoient pas non plus la ratification des lois constitutionnelles par le chef de l'Etat. Par exemple, selon la Constitution portugaise, les révisions constitutionnelles sont définitives si elles sont approuvées à la majorité des deux tiers des députés effectivement en fonction (art.286). Cette Constitution ne prévoit pas la ratification des lois constitutionnelles par référendum. De plus elle précise que « le président de la République ne peut refuser de promulguer la loi de révision » (art.286). Enfin, il faut citer comme une solution intéressante la Constitution brésilienne du 5 octobre 1988 qui prévoit la promulgation des amendements à la Constitution par le Bureau de la Chambre des Députés, et non pas par le président de la République (art.60).

Cependant certaines constitutions comportent ce dernier obstacle.

a. La ratification par le chef de l'Etat : le veto du chef de l'Etat

Ainsi certaines constitutions prévoient la ratification de la loi de révision constitutionnelle par le chef de l'Etat avant qu'elle entre en vigueur. Puisque le pouvoir de ratification contient également celui de ne pas ratifier la loi constitutionnelle, ce pouvoir peut s'analyser en effet comme un droit de veto accordé au chef de l'Etat en matière de révision constitutionnelle.

(1) La façon la plus souple de ce veto consiste en une demande d'une nouvelle délibération. Dans ce cas, le chef de l'Etat peut retarder la promulgation de la loi constitutionnelle en demandant au Parlement de procéder à une seconde délibération; mais si le Parlement adopte la même loi constitutionnelle à nouveau et avec la même majorité, le chef de l'Etat doit promulguer la loi constitutionnelle. Ce pouvoir est donc une sorte de veto suspensif accordé au chef de l'Etat en matière de révision constitutionnelle. Par exemple, en Tunisie, le président de la République peut renvoyer la loi constitutionnelle au Parlement pour une nouvelle délibération. Si l'Assemblée nationale adopte à nouveau la loi constitutionnelle par la même majorité (2/3 des membres), le président de la République doit promulguer la loi constitutionnelle en question (art.62 et 44, al.2 de la Constitution tunisienne du 1 juin 1959). Par conséquent le veto suspensif du chef de l'Etat n'est pas très efficace : il peut être levé par la même majorité du Parlement.

(2) Par contre, si le veto du chef de l'Etat ne peut être levé que par une majorité plus élevée que celle de la première délibération, le veto du chef de l'Etat en matière de révision constitutionnelle devient très efficace. Dans ce cas, le chef de l'Etat peut non seulement retarder, mais aussi empêcher l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle. Ainsi certaines constitutions exigent une majorité plus élevée dans la seconde délibération que celle la première délibération pour l'adoption de la loi constitutionnelle renvoyée au Parlement par le chef de l'Etat. Par exemple, selon la Constitution turque (art.175, al.3), le président de la République peut renvoyer à l'Assemblée nationale les lois constitutionnelles adoptées à la majorité des trois cinquièmes pour une nouvelle délibération. Dans cette nouvelle délibération, pour lever le veto présidentiel, l'Assemblée nationale doit adopter la même loi constitutionnelle à la majorité des deux tiers. Comme on le voit, le veto présidentiel alourdit la condition d'adoption de la loi constitutionnelle. Ainsi, s'il n'existe pas une majorité exigée au parlement, le chef de l'Etat peut empêcher la révision constitutionnelle par son veto.

(3) Enfin dans certains pays, le chef de l'Etat peut empêcher la révision de la constitution en toutes circonstances. Dans ce cas, on parle du veto absolu du chef de l'Etat en matière de révision constitutionnelle. Par exemple à Cuba, la Constitution ne peut être révisée que par la ratification du président de la République (art.229 de la Constitution de 1959). De même la Constitution indienne de 1949 (art.368) prévoit la ratification des lois de révision constitutionnelle par le Président. D'autre part, dans les monarchies, les rois ont le droit absolu du veto des lois constitutionnelles comme des lois ordinaires. Par exemple, en Jordanie, la loi constitutionnelle ne peut pas entrer en vigueur sans la ratification du Roi (art.126 de la Constitution de 1952). De même dans les monarchies constitutionnelles, théoriquement, les lois constitutionnelles doivent être ratifiées par les monarques. Par exemple au Danemark (art.88), aux Pays-Bas (art.139), au Luxembourg (art.114), les lois constitutionnelles doivent être sanctionnées par le Roi. Il est évident que dans les monarchies constitutionnelles européennes le droit de veto des rois reste symbolique.

b. La ratification par le peuple : le référendum constituant

Certaines constitutions prévoient la ratification de la loi de révision constitutionnelle par le peuple. Ainsi le peuple a la faculté d'empêcher la révision constitutionnelle par le moyen du référendum.

Du point de vue du recours au référendum, on distingue deux sortes de référendum : le référendum obligatoire et le référendum facultatif.

(1) Le référendum obligatoire est celui qui est applicable de plein de droit en vertu de la constitution. Il est donc automatique. Par exemple, en Suisse, le référendum est obligatoire en matière de révision constitutionnelle (art.121). En Australie, le projet ou la proposition de révision constitutionnelle adopté à la majorité absolue par chacune des chambres doit être approuvé par référendum par les électeurs de chacun des Etats (art.128, al.2). De même, selon la Constitution danoise, le projet de révision constitutionnelle adopté par le Folketing, « sera présenté, dans les six mois qui suivent le vote définitif, aux électeurs du Folketing, pour être approuvé ou rejeté au scrutin direct » (art.88). En Irlande aussi, le référendum est obligatoire en matière de révision constitutionnelle (art.46).

Comme on le voit, dans ces pays, le référendum est obligatoire pour la révision de toutes les dispositions de la constitution. Par contre dans certains pays, comme l'Autriche (art.44, al.3), le référendum est obligatoire seulement pour la révision totale de la constitution. Enfin dans d'autres constitutions, le référendum est obligatoire seulement pour la révision de certaines dispositions constitutionnelles jugées essentielles. Par exemple, selon la Constitution islandaise (art.79, al.2), le référendum est prévu seulement pour les révisions concernant l'Eglise. A Malte le référendum est obligatoire seulement pour la révision des dispositions de la Constitution mentionnées dans l'article 67, al.3. de la Constitution.

(2) Par contre le référendum facultatif est celui qui est déclenché sur la demande de certains organes de l'Etat. Dans la détermination de cet ou ces organes, les solutions adoptées varient d'un régime à l'autre. Ainsi le référendum est organisé soit sur la demande du chef de l'Etat, soit sur la demande d'un certain nombre des parlementaires, soit sur la demande d'une partie des électeurs, soit sur la demande des organes régionaux ou locaux.

(a) Le référendum à l'initiative du chef de l'Etat.- Par exemple selon la Constitution turque, le président de la République peut soumettre la loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale à référendum.

(b) Le référendum à l'initiative d'un certain nombre des parlementaires.- Par exemple, en Autriche le référendum est organisé sur le demande d'un tiers des membres du Conseil national ou fédéral (art.44, al.3). En Italie cette demande pourrait être faite par un cinquième des membres de l'une des deux Chambres (art.138, al.2), en Espagne par un dixième des membres de l'une quelconque des deux Chambres (art.167, al.3).

(c) Le référendum à l'initiative des Conseils régionaux.- En Italie, le référendum peut également intervenir sur la demande de cinq Conseils régionaux (art.138, al.2).

(d) Le référendum à l'initiative populaire.- Dans certains pays le référendum est déclenché sur la demande d'un certain nombre d'électeurs. Dans un tel cas, on parle de veto populaire. Par exemple en Italie, les lois constitutionnelles adoptées à la majorité absolue des membres de chacune des Chambres « sont soumises à référendum populaire lorsque, dans un délai de trois mois après leur publication, demande en est faite... par 500 000 électeurs » (art.138, al.2).

En principe, le résultat du référendum constituant découle de la majorité simple des suffrages exprimés. Cependant il y a des exceptions à cette règle générale. D'abord, le premier groupe d'exception résulte du principe de la participation des Etats fédérés à la procédure de révision de la Constitution fédérale dans les Etats fédéraux. Ainsi en Suisse, comme une application de ce principe, les révisions constitutionnelles doivent être approuvées non seulement par la majorité des votants, mais aussi par la majorité des Cantons. Le résultat du référendum dans chaque canton est considéré comme le vote du canton (art.123). De même en Australie, la loi de révision constitutionnelle doit recueillir la majorité des votants non seulement sur l'ensemble du territoire australien, mais aussi dans une majorité d'Etats.

D'autre part, certaines constitutions prévoient différentes conditions dans l'adoption des lois constitutionnelles par référendum. Par exemple selon la Constitution danoise (art.88) la majorité des votants doit réunir au moins 40 pour cent de tous les électeurs inscrits. De même la Constitution de la Corée du Sud exige un taux minimum de participation : la moitié au moins des électeurs doit participer à la votation populaire (art.121 de la Constitution de 1948).

Enfin, exceptionnellement, certaines constitutions exigent une majorité qualifiée dans le référendum constituant. Par exemple, selon la Constitution du Liberia de 1847, les lois constitutionnelles ne peuvent être adoptées que par les deux tiers des votants dans le référendum (art.5, al.17). De même, la Constitution de Jamaïque du 25 juillet 1962 prévoit une majorité des trois cinquièmes des votants dans le référendum pour réviser, malgré l'opposition du Sénat, les dispositions mentionnées dans l'alinéa 2 de l'article 49 (art.49, al.5). De même cette Constitution exige une majorité des deux tiers des votants dans le référendum pour la révision des dispositions énumérées dans l'alinéa 3 de l'article 49 (art.49, al.6).

En dernier lieu, il faut signaler que certaines constitutions prévoient encore quelques conditions de formes spéciales. Par exemple, la Constitution hollandaise (art.138) prévoit l'harmonisation des projets de révision et des dispositions restées inchangées de la Constitution; ainsi peut-on « modifier la division en chapitres, sections et articles, ainsi que leur ordonnance et les titres » (art.138). De même l'article 197 de la Constitution du Royaume de Belgique du 17 février 1994 prévoit que « d'un commun accord avec le Roi, les Chambres constituantes peuvent adapter la numération des articles ». Comme condition originale on peut citer la solution de la Constitution de Venezuela de 1961. Selon cette Constitution, les révisions constitutionnelles sont publiées à la fin du texte de la Constitution. Mais on ajoute aux articles révisés les notes en bas de page précisant la date et le numéro de la révision constitutionnelle (art.245, al.6).

Nous venons de voir, d'une part, les limites matérielles et temporelles à la révision constitutionnelle, et d'autre part, les conditions de forme de la révision constitutionnelle. A titre d'exemples, nous avons cité différentes constitutions du monde. Comme nous l'avons déjà dit, les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de forme constituent des règles de référence pour le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est pourquoi, cette section représente une importance particulière pour la deuxième partie de notre thèse où nous allons traiter le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

* * *

Après avoir vu la typologie générale des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels, maintenant nous pouvons procéder à l'inventaire de ces limites dans le cadre de la Constitution française de 1958 (Section 1) et dans celui de la Constitution turque de 1982 (Section 2).


 

1. Peter O'Connel, « Les procédures de révision constitutionnelle » (Le rapport adopté par l'Association des Secrétaires généraux des Parlements), in Informations constitutionnelles et parlementaires, 1978, 3e série, n°114, p.41. Il faut signaler que ces dispositions sont toujours révisables par le pouvoir constituant originaire. Car, comme on l'a expliqué dans le titre préliminaire (Chapitre 2, Section 1), le pouvoir constituant originaire est permanent et les révolutions sont inévitables.

[2]. Marie-Françoise Rigaux, La théorie des limites matérielles à l'exercice de la fonction constituante, Bruxelles, Larcier, 1985, p.45.

[3]. Pour les sources voir la liste des constitutions citées à la fin de ce travail.

[4]. Voir Rigaux, op. cit., p.48-49.

[5]. Traduction établie par C. Autexier in Henri Oberdorff (éd.), Les Constitutions de l'Europe des Douze, Paris, La Documentation française, 1994, p.21. L'alinéa 3 a été amendé par la loi fédérale du 19 mars 1956.

[6]. Traduction établie par C. Autexier in Oberdorff, op. cit., p.26. Le dernier alinéa a été inséré par la loi fédérale du 24 juin 1968.

[7]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.290 ; Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.55 ; Barthélemy et Duez, op. cit., p.231 ; Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Troper et Hamon, op. cit., p.81.

[8]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.290 ;

[9]. Cadoux, op. cit., p.154.

[10]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.290.

[11]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.235.

[12]. Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Troper et Hamon, op. cit., p.81.

[13]. Gicquel, op. cit., p.180.

[14]. Chantebout, op. cit., p.44.

[15]. Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Troper et Hamon, op. cit., p.80.

[16]. Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.55.

[17]. Debbasch et alii, op. cit., p.92

[18]. En effet comme les conditions de forme déterminent la compétence du pouvoir de révision, les limites à la révision constitutionnelle elles aussi peuvent être considérées comme les règles de compétence, car les limites de fond déterminent la compétence ratione materiae, et les limites de temps définissent la compétence ratione temporis de ce pouvoir.

[19]. A ce propos voir par exemple Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.250-251 ; Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.47-53 ; Ardant, op. cit., p.81 ; Chantebout, op. cit., p.42 ; Jeanneau, op. cit., p.95 ; Bernard Branchet, La révision de la Constitution sous la Ve République, Paris, L.G.D.J., 1994, p.17-29 ; Debbasch et alii, op. cit., p.94-96 ;

[20]. A ce propos voir, Branchet, op. cit., p.26-29.

 

 

(Annexe)
Liste des constitutions citées

Algérie : Constitution du 22 novembre 1976 (D. Beke in Reyntjens, op. cit., vol.I)[1].

Allemagne : Constitution du 23 mai 1949 (C. Autexier in Oberdorff, op. cit., p.40.

Argentin : Constitution du 1er mai 1853 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.7-27).

Australie : Constitution du 9 juillet 1900 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.34-60).

Autriche : Constitution du 26 octobre 1955 (Pfersmann, op. cit., p.30).

Belgique : Constitution du 17 février 1994 (Delpérée et alii, op.cit., p.15-94; Oberdorff, op. cit., p.89).

Bolivie : Constitution du 2 février 1967 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.100-137).

Burundi : Constitution du 1re juillet 1962 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.19-30)

Cameroun : Constitution du 2 juin 1972 (Kontchou Kouomegni in Reyntjens, op. cit., vol.I).

Colombie : Constitution du 4 août 1886 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.279-323).

Corée du Sud : Constitution du 17 juillet 1948 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.577-597).

Costa-Rica : Constitution du 7 novembre 1949 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.328-362).

Côte d'Ivoire : Constitution du 3 novembre 1960 (T. Bakary in Reyntjens, op. cit., vol.I)

Cuba : Constitution du 7 février 1959 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.367-422).

Dahomey : Constitution du 11 janvier 1964 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.151-166).

Danemark : Constitution du 5 juin 1953 (Oberdorff, op. cit., p.104).

Equateur : Constitution du 25 mai 1967 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.460-514).

Espagne : Constitution du 27 décembre 1978 (Oberdorff, op. cit., p.137).

Etats-Unis : Constitution du 17 septembre 1787 (Meny, op. cit., p.387-409).

Finlande : Les lois fondamentales des 17 juillet 1919 et 13 janvier 1928 (Mirkine-Guetzévitch, op. cit., p.397-410).

France : Constitution du 3 septembre 1791 ; Lois constitutionnelles de 1875 ; Loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 ; Constitution du 27 octobre 1946 ; Constitution du 4 octobre 1958.

Gabon : Constitution du 15 avril 1975 (Y. Brard in Reyntjens, op. cit., vol.II).

Grèce: Constitution de 1er janvier 1952 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.403-427); Constitution du
9 juin 1975 (S. Koutsibinas, A. Pantelis et E. Spiliotopoulos in Oberdorff, op. cit., p.212).

Guatemala : Constitution du 15 septembre 1965 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.564-624). 

Inde : Constitution du 26 novembre 1949 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.308-348).

Iran : Constitution de 30 décembre 1906 (Peaslee, op. cit., vol.II, 452-470).

Irlande : Constitution du 1er juillet 1937 (Y. Marx in Oberdorff, op. cit., p.242).

Islande : Constitution du 17 juin 1944 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.449-458).

Italie : Constitution du 27 décembre 1947 (B. Gaudillère in Oberdorff, op. cit., p.247-264.

Jamaïque : Constitution du 25 juillet 1962 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.806-885).

Jordanie : Constitution du 1er janvier 1952 (Peaslee, op. cit., vol.II, 537-557).

Kenya : Constitution du 12 décembre 1952 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.257-418).

Koweït : Constitution du 11 novembre 1962 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.601-620).

Liberia : Constitution du 26 juillet 1847 (G. Shemid in Reyntjens, op. cit., p. vol.II).

Libye : Constitution du  (D. Beke et B. Hasnebaert in Reyntjens, op. cit., vol. II).

Liechtenstein : Constitution du 5 octobre 1921 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.531-550).

Luxembourg : Constitution du 17 octobre 1868 (Oberdorff, op. cit., p.278).

Madagascar : Constitution du 31 décembre 1975 (J. du Bois de Gaudusson in
Reyntjens, op.cit., vol. III).

Malaisie : Constitution du 23 août 1957 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.652-746).

Mali : Constitution du 26 mars 1988 (O. Diarrah in Reyntjens, op. cit., vol. III).

Malte : Constitution du 21 septembre 1964 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.571-633).

Maroc : Constitution du 10 mars 1972 (A. Claisseed et B. Zgani in Reyntjens, op. cit., vol. III).

Mauritanie : Constitution du 20 mai 1961 (A. Salem Ould Bouboutt in Reyntjens, op. cit.,  vol.III).

Monaco : Constitution du 17 décembre 1962 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.549-557).

Nicaragua : Constitution du 1er novembre 1950 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.959-1009).

Ouganda : Constitution du 2 octobre 1962 (Lavroff et Peiser, op. cit., tome 2, p.921-987).

Paraguay : Constitution du 25 août de 1967 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.1067-1101).

Pays-Bas : Constitution du 17 février 1983 (Oberdorff, op. cit., p.297).

Pérou : Constitution du 9 avril 1933 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.1106-1133).

Philippines : Constitution du 8 février 1935 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.1067-1087).

Portugal : Constitution du 2 avril 1976 (V. Pourcher in Oberdorff, op. cit., p.365).

République centrafricaine : Constitution 28 novembre 1986 (J. J. Reynal in Reyntjens, op. cit., vol.IV).

Rwanda : Constitution du 24 novembre 1962 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.675-692).

Suède : Constitution du 6 juin 1809 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.847-927).

Suisse : Constitution du 29 mai 1874 (Duverger, op. cit., p.831).

Tchad : Constitution du 16 avril 1962 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.65-81).

Togo : Constitution du 26 mai 1988 (J. P. Duprat in Reyntjens, op. cit., vol.IV).

Tunisie : Constitution du 1er juin 1959 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.909-916).

Turquie : Constitution du 9 juillet 1961 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.1156-1194).

       Constitution du 7 novembre 1982 (Traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information, Ankara, 1982).

Uruguay : Constitution du 15 février 1967 (Peaslee, op. cit., vol.IV, 1219-1287).

Venezuela : Constitution du 23 janvier 1961 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.1292-1339).

 


 

[1]. Pour les sources, voir infra, Bibliographie : V. Recueils de textes constitutionnels

 

 


 

 

  

Section 1
Les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la Constitution française de 1958

 

  

La Constitution française de 1958, d'une part, détermine les conditions de forme de l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle, et d'autre part, elle impose une limite matérielle et deux limites temporelles à l'exercice de ce pouvoir.

Nous allons voir d'abord la limite matérielle (§ 1), ensuite les limites temporelles (§ 2) et enfin les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle (§ 3).

§ 1. La limite matérielle : l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement

Dans la Constitution française de 1958, il n'y a qu'une limite matérielle à la révision constitutionnelle. Cette limite matérielle est prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution de 1958 :

« La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».

Ainsi en France, selon cet alinéa, la révision de la Constitution ne peut pas porter sur la forme républicaine du gouvernement. Cette interdiction de fond a été pour la première fois introduite dans le droit constitutionnel français par la loi constitutionnelle du 14 août 1884.

        Loi du 14 août 1884 portant révision partielle des lois constitutionnelles

        Article 2. – Le § 3 de l'article 8 de la même loi du 25 février 1875 est complété ainsi qu'il suit : « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision ».

La même disposition est reprise par la Constitution de 1946 dans son article 95.

        Article 95. – La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision.

A l'égard de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement, la vraie question qui se pose est celle de déterminer l'étendue de cette interdiction.

L'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement

Comme on vient de le dire, selon l'alinéa 5 de l'article 89, « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ». Pourtant il y a un débat sur l'étendue de l'interdiction prévue par cet alinéa. Qu'est-ce que protège l'alinéa 5 de l'article 89 ? Qu'est ce qui est intangible selon cet alinéa ? L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il également la forme démocratique et unitaire de la République française ? Autrement dit la démocratie et l'Etat unitaire bénéficient-ils de la protection de l'alinéa 5 de l'article 89 ? Enfin, l'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il non seulement la forme républicaine du gouvernement, mais aussi l'existence même de cette république ?

1. L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il la forme démocratique de la République française ?

Selon certains auteurs l'alinéa 5 de l'article 89 protège également la forme démocratique de la République française. En d'autres termes, l'alinéa 5 de l'article 89 interdit non seulement la restauration d'une monarchie, mais aussi l'établissement d'une république dictatoriale.

L'alinéa 5 de l'article 89 dit que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ». Alors pour pouvoir déterminer le contenu de cette interdiction, il faut d'abord sans doute définir le terme « république ». Que faut-il entendre par « république » ? Comment interpréter l'expression « la forme républicaine du gouvernement » ?

Certes, la « république » a des significations historiques, philosophiques, politiques, et même sentimentales[1]. Pour notre travail, c'est seulement sa signification juridique qui importe. Et dans ce sens, la « république » pourrait être considérée comme la « forme de gouvernement » ou comme « celle de l'Etat ». Le texte de l'alinéa 5 de l'article 89 est clair : il parle de la « forme républicaine du gouvernement ». Il vise la république au sens de « forme de gouvernement ». Mais même en ce sens, il n'y a pas d'unanimité sur la définition de la république dans la doctrine du droit constitutionnel. Une partie des auteurs sont pour une interprétation stricte, tandis que l'autre partie défend une interprétation large de cette expression.

Selon les défenseurs de l'interprétation stricte de cette notion, la république est la forme de gouvernement dans lequel le chef de l'Etat n'est pas héréditaire[2]. Comme on le voit, dans cette définition la république est définie comme l'antinomie de la monarchie. Ainsi dans cette conception, comme le remarque Georges Vedel,

« tant qu'un Chef d'Etat héréditaire n'est pas institué, on est en République. Politiquement et sentimentalement le mot de République vise bien autre chose que cette définition négative, mais juridiquement l'interdiction de changer la forme républicaine du Gouvernement… met seulement l'obstacle au rétablissement d'une monarchie ou d'un empire héréditaire »[3].

Alors selon l'interprétation stricte, la république n'implique pas la démocratie. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89 ne protège pas la forme démocratique de la République française.

Par contre les défenseurs de l'interprétation large de cette notion considèrent qu'il s'agit ici d'un concept plus vaste englobant les principes essentiels de l'ordre démocratique[4]. Dans cette hypothèse, comme le précise Didier Maus, « la ‘forme républicaine’ contiendrait des principes comme le suffrage universel, le régime représentatif, la séparation des pouvoirs »[5]. Selon Didier Maus, cette interprétation large a une « logique contemporaine »[6]. Le doyen Louis Favoreu remarque que l'expression « forme républicaine » au sens large « constitue l'héritage républicain et... inclut toute une série de valeurs fondamentales inscrites dans l'article 2 de la Constitution et dans les 'principes fondamentaux reconnus par les lois République' »[7]. D'après lui, cette interprétation « est en harmonie avec le texte constitutionnel de 1958 »[8].

Ainsi dans cette conception, la république, ce n'est pas seulement le contraire de la monarchie[9], mais aussi elle sera synonyme de la « démocratie »[10]. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89 protège également la forme démocratique de la République française. Autrement dit il interdit non seulement l'établissement d'une monarchie héréditaire mais encore une république dictatoriale.

Nous sommes pour une interprétation stricte de l'interdiction prévue par l'alinéa 5 de l'article 89. A notre avis, l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit que la restauration d'une monarchie, c'est‑à‑dire, une forme de gouvernement dans lequel le chef de l'Etat est héréditaire. Ainsi, cet alinéa ne protège pas la forme démocratique de la République française, autrement dit, il n'exclut pas l'établissement d'une république dictatoriale. Et ceci pour trois raisons.

Premièrement, il faut interpréter limitativement l'expression « la forme républicaine du gouvernement ». Car, selon une règle d'interprétation, les dispositions exceptionnelles sont soumises à une interprétation restrictive. Les dispositions intangibles de la Constitution constituent des exceptions à la règle générale, c'est‑à‑dire la révisibilité de toutes les dispositions de la constitution. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89, étant une exception à la règle de révisibilité, doit être interprété limitativement. Ainsi il faut prendre la république dans son sens strict. Et en ce sens comme on vient de le montrer, la république et la démocratie sont deux choses différentes. L'une n'implique pas l'autre.

Deuxièmement, après avoir accepté que la « république » ne soit pas le synonyme de « démocratie », on peut affirmer que si le constituant avait voulu protéger non seulement la république, mais aussi la démocratie, il aurait pu le préciser expressément. Ainsi, la Constitution allemande de 1949 (art.79, al.3 en vertu duquel art.20, al.1) et la Constitution turque de 1982 (art.4 en vertu duquel art.2) rendent intangibles non seulement la forme républicaine de l'Etat, mais aussi le caractère démocratique de cette république.

Par contre l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française ne parle que de la forme républicaine du gouvernement. Selon l'article 2 « la France est une République... démocratique », mais cette disposition n'est pas mentionnée dans l'alinéa 5 de l'article 89.

Si le constituant de 1958 avait voulu protéger non seulement la république, mais aussi son caractère démocratique, il aurait pu le prévoir expressément, soit en précisant que l'article 2 de Constitution est intangible, comme le font les Constitutions allemande et turque, soit en employant dans l'alinéa 5 de l'article 89 l'expression « la forme démocratique du gouvernement » à côté de « la forme républicaine du gouvernement »[11]. C'est exactement en ce sens là qu'en 1958 un membre du Comité consultatif constitutionnel avait proposé de remplacer les mots « forme républicaine » par « forme démocratique », mais son Président, en accord avec le garde des Sceaux, avait jugé préférable de conserver le texte actuel[12]. Puisque l'alinéa 5 de l'article 89 a été adopté par le peuple tel qu'il est, il en ressort que l'alinéa 5 protège seulement la république, et non pas la démocratie. Par conséquent, il interdit la restauration d'une monarchie, mais il n'exclut pas l'établissement d'une république dictatoriale.

D'ailleurs, comme le remarque le président Dmitri Georges Lavroff, il faut interpréter cette interdiction à la lumière des circonstances dans lesquelles elle a été adoptée pour la première fois en 1884[13]. Il est évident qu'en 1884, on voulait protéger la république contre un éventuel retour à la monarchie[14]. Comme le constate à juste titre Didier Maus, les travaux préparatoires de la loi du 14 août 1884 laissent penser que la « forme républicaine » est limitée à une simple opposition entre la République et la monarchie[15]. De plus si l'on tient en compte que cette loi constitutionnelle rendait inéligibles à la présidence de la République « les membres des familles ayant régné sur la France »[16], il ne reste aucun doute sur le sens du mot « république » : c'est le contraire de la monarchie.

Comme on le voit, nous avons défini la « république » dans un sens négatif, comme l'antinomie de « monarchie ». C'est pourquoi il convient de préciser le critère distinctif entre la monarchie et la république. Pour nous, ce critère est le mode juridique de l'accession à la fonction du chef de l'Etat. La monarchie est la forme de gouvernement dans lequel le chef de l'Etat est un roi héréditaire. Par contre, la république, étant le contraire de monarchie, est définie comme la forme de gouvernement dans lequel le chef de l'Etat n'est pas héréditaire. Ainsi comme le dit à juste titre Georges Vedel, « tant qu'un Chef d'Etat héréditaire n'est pas institué, on est en République »[17].

Ainsi, notre définition de la république et celle de la monarchie sont complètement indifférentes à l'égard des considérations démocratiques ; c'est-à-dire, pour nous, la démocratie n'est ni le critère de la république ni celui de la monarchie. En d'autres termes, une république pourrait être une république démocratique comme elle pourrait être une république dictatoriale[18]. De même une monarchie pourrait être une monarchie absolue comme elle pourrait être une monarchie parlementaire. En outre dans le monde, il y a autant de monarchies démocratiques que de républiques démocratiques. Arend Lijphart constate que sur vingt et un pays démocratiques[19], onze pays sont des monarchies[20]. De même, sur les quinze Etats membres de l'Union européenne, sept sont des monarchies.

Nous avons déjà dit que l'alinéa 5 de l'article 89 protège la forme républicaine, et non pas la forme démocratique du gouvernement. C'est-à-dire que selon l'alinéa 5, le chef de l'exécutif ne peut pas être héréditaire. En dehors de cela, il est compatible avec tout autre régime. L'alinéa 5 ne fait pas la distinction entre les types de la république. Par conséquent il n'exclut pas l'établissement d'une république dictatoriale. Maintenant nous pouvons encore ajouter que l'alinéa 5 de l'article 89 ne fait pas la distinction entre les types de la monarchie. Il exclut tout type de monarchie. Ainsi il est interdit non seulement d'établir une monarchie absolue, mais aussi une monarchie démocratique.

A cet égard, il nous paraît impossible de partager l'opinion de Dominique Turpin selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine n'est pas justifiée car la « monarchie et liberté peuvent parfaitement se conjuguer, comme le prouvent les exemples du Royaume-Uni et depuis 1978, de l'Espagne de Juan Carlos »[21]. Comme on vient de le dire, l'alinéa 5 de l'article 89 interdit la restauration de tout type de monarchie, y compris parlementaire qui serait parfaitement démocratique.

A l'égard de l'interdiction de réviser la forme républicaine, une dernière question se pose : la République française peut-elle participer à une fédération dans laquelle il y a des monarchies ? Cette question se posera sans doute dans l'hypothèse où l'Union européenne se transformerait un jour en une Fédération des Etats. D'ailleurs elle a été déjà évoquée par François Luchaire en notant que « personne en France ne s'est plaint de ce que sur les douze Etats membres de la Communauté, six sont des monarchies »[22]. Alors si l'Union européenne se transforme un jour en Fédération, l'alinéa 5 de l'article 89 précisant que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » serait-il violé ?

Il faut d'abord déterminer le caractère républicain ou monarchique d'une telle Fédération. A notre avis, la simple présence d'Etats fédérés monarchiques dans une telle Fédération, ne la rendra pas monarchique. Il faut déterminer la forme républicaine ou monarchique d'une telle fédération au niveau des institutions fédérales, et non pas à celui des Etats fédérés. Ainsi si le chef de l'exécutif d'une telle Fédération n'est pas héréditaire, cette question ne se posera même pas. Dans ce cas, il s'agirait d'une République fédérale d'Europe. Autrement dit, la forme de gouvernement de cette fédération sera la république.

Mais, si la fonction du chef de l'exécutif de cette Fédération est exercée à tour de rôle par chaque chef d'Etats fédérés, la forme républicaine de cette Fédération n'est pas si évidente. Car, pendant les périodes où cette fonction sera exercée par les monarques des Etats fédérés (le Royaume-Uni, l'Espagne, la Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède), la question de la forme républicaine du gouvernement se posera. Car, dans ces périodes, le chef de l'exécutif de la Fédération européenne sera un roi héréditaire. Par conséquent, selon notre définition de la monarchie, une telle fédération peut être parfaitement qualifiée de monarchie pendant ces périodes. En d'autres termes, dans ce cas, il s'agirait d'une monarchie fédérale d'Europe.

Dans cette dernière hypothèse, on peut penser que l'alinéa 5 de l'article 89 sera violé. Car, la France fera partie d'une fédération dont le chef de l'exécutif sera pour certaines périodes un roi héréditaire. On pourrait alors conclure que l'alinéa 5 de l'article 89 interdit la participation de la France à une fédération monarchique.

Pourtant à notre avis, une telle conclusion n'est pas valable. Parce que dans cette hypothèse, la Constitution française se transformerait en une Constitution d'Etat fédéré. Et par conséquent il serait absurde d'évaluer le caractère républicain ou monarchique d'un Etat fédéral par la disposition d'une constitution fédérée. En d'autres termes, une constitution fédérée ne peut pas être le mesure d'un droit fédéral. A cet égard, la seule remarque que l'on puisse faire consiste à dire que l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 n'est valable que dans le cadre de l'Etat fédéré. Et tant qu'un chef d'Etat héréditaire n'est pas institué dans le cadre d'un tel Etat fédéré, on reste toujours dans la République.

En effet ici il y a une deuxième question qui se pose : l'alinéa 5 de l'article 89 interdit-il la participation de la France à une Fédération (soit monarchique soit républicaine, peu importe) ? Car, dans cette hypothèse, l'existence même de la République française en tant qu'Etat souverain disparaît. L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de cette République ? Mais ceci relève de la question de la souveraineté de l'Etat. Nous allons le voir plus bas.

2. L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il la forme unitaire de la République française ?

A l'égard de l'alinéa 5 de l'article 89, la deuxième question qui se pose est celle de savoir si cet alinéa 5 protège également la forme unitaire de la République française. Autrement dit l'alinéa 5 de l'article 89 interdit-il de réaliser le fédéralisme ? Le pouvoir constituant dérivé peut-il transformer la République française en République fédérale de France, dans laquelle les régions ou les territoires français seront des Etats fédérés[23] ?

A notre avis, l'alinéa 5 de l'article 89 protège la forme républicaine du gouvernement, et non pas le caractère unitaire de cette république. Autrement dit l'alinéa 5 n'interdit pas le fédéralisme sur le territoire français. Par conséquent, le pouvoir constituant dérivé peut transformer la République française unitaire en République française fédérale.

Car, la république et le caractère unitaire ou fédéral de cette république sont deux choses différentes. Une république peut être unitaire ou fédérale. Si un constituant voulait protéger non seulement la république, comme la forme générale, mais aussi son caractère unitaire ou fédéral, il le préciserait expressément. Ainsi, comme nous les avons vus plus haut, les Constitutions portugaise (art.288, a) et turque (art.4 en vertu duquel art.2) rendent intangibles le caractère unitaire de la république. La Constitution allemande prévoit également l'intangibilité du caractère fédéral de la république (art.79, al.3, art.20, al.1).

Par contre l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française ne parle que de la forme républicaine du gouvernement. Selon l'article 2 « la France est une République indivisible », mais cette disposition n'est pas mentionnée dans l'alinéa 5 de l'article 89. Si le constituant de 1958 avait voulu protéger non seulement la république, mais aussi son caractère unitaire, il aurait pu le prévoir expressément, en précisant que l'article 2 de Constitution est intangible, ou que le caractère unitaire de l'Etat ne peut faire l'objet d'une révision. Puisqu'il ne l'a pas fait, on peut en déduire que l'alinéa 5 ne fait pas la distinction entre république unitaire et fédérale. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit pas de réviser la forme unitaire de la République française. En révisant la Constitution conformément à sa procédure régulière, on peut transformer la République unitaire en République fédérale.

3. L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il l'existence même de la République française ?

Nous venons de voir que l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit pas de réaliser le fédéralisme en France. Ainsi le pouvoir constituant dérivé peut transformer la République française en République fédérale de France, dans laquelle les régions ou les territoires français seront des Etats fédérés. Ceci relève de la question du caractère unitaire ou fédéral de l'Etat. Mais dans l'hypothèse de la participation de la République française à une fédération des Etats présente une autre question : celle de la souveraineté de l'Etat. Car, comme on l'a déjà indiqué, dans cette hypothèse, l'existence même de la République française en tant qu'Etat souverain disparaît. Telle est la question qui se pose ici : l'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de cette République ?

En d'autres termes, l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 implique-t-elle l'interdiction de supprimer cette république ?

Ceci n'est pas une hypothèse d'école. Car si elle se poursuit, la construction européenne aboutira, tôt ou tard, à un Etat fédéral d'Europe. Dans un tel Etat fédéral, les Etats, jadis souverains, deviendront des Etats fédérés[24]. Ils seront privés de leur souveraineté, car ils n'exerceront qu'une souveraineté « locale » au regard de la souveraineté de l'Europe[25]. D'autre part, comme l'explique à juste titre le professeur Olivier Beaud, la perte de la souveraineté comme puissance publique signifie la perte de la nature étatique[26]. Car « l'atteinte à la souveraineté nationale implique une atteinte à la souveraineté de l'Etat »[27]. Et la souveraineté de l'Etat (Staatlichkeit)[28] est la condition d'existence de l'Etat[29]. Alors dans un tel Etat fédéral, la République française sera privée de sa souveraineté, c'est‑à‑dire de la nature étatique de son existence. En d'autres termes, il s'agirait de la dissolution de l'Etat français dans un Etat fédéral supranational[30]. Ainsi dans une telle hypothèse, la République française en tant qu'Etat souverain disparaîtrait.

Alors le pouvoir de révision peut-il dissoudre la République française en tant qu'Etat souverain dans un Etat fédéral ? Autrement dit, l'intangibilité prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-elle non seulement la forme républicaine, mais aussi la nature étatique de la République française ?

Cette question a été abordée par Olivier Beaud lors du débat sur la ratification du Traité de Maastricht. Selon le professeur Beaud, le pouvoir de révision ne peut pas supprimer l'Etat dans lequel il se trouve. « Seul le pouvoir constituant [originaire], et jamais le pouvoir de révision constitutionnelle, peut porter atteinte à la qualité d'Etat souverain »[31]. Car, selon sa théorie, « une Constitution ne peut statuer elle-même qu'elle autorise sa propre destruction et suppression par n'importe quelle révision constitutionnelle »[32]. A notre avis, il s'agit ici d'une limite matérielle non inscrite dans le texte constitutionnel. Car cette limite, selon laquelle le pouvoir de révision ne peut porter atteinte à la qualité d'Etat souverain, n'est pas inscrite dans le texte de la Constitution de 1958. En d'autres termes elle est privée d'existence textuelle et par conséquent elle sera étudiée non pas ici, mais dans le deuxième titre qui traitera de la question de savoir s'il existe les limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans le texte constitutionnel[33].

Mais, Olivier Beaud pour démontrer sa thèse avance encore un autre argument. Et à notre avis, cet argument doit être examiné ici, parce qu'il peut être déduit du texte de l'alinéa 5 de l'article 89. Voyons donc maintenant ce deuxième argument.

Selon le professeur Beaud, certes l'alinéa 5 de l'article 89 selon lequel « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » « ne vise que la République au sens restreinte de forme de gouvernement »[34]. Mais cette « République », « d'abord et avant tout, présuppose un Etat »[35]. Car selon lui, « la République est d'abord logiquement un Etat avant d'être l'Etat républicain »[36]. Par conséquent, « l'article 89, qui prévoit la protection de la forme républicaine du gouvernement, implique la protection de l'Etat »[37]. Bref pour Olivier Beaud, le pouvoir de révision ne peut pas supprimer l'Etat dans lequel il s'exerce. Parce que l'alinéa 5 de l'article 89 protège non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de la République française, car la République française ne peut être une république que s'elle existe en tant qu'Etat souverain[38]. Ainsi l'alinéa 5 de l'article 89 interdit non seulement de réviser la forme républicaine du gouvernement, mais aussi de supprimer cette République en tant qu'Etat souverain.

A notre avis cet argument est tout à fait fondé, parce qu'il a un fondement positif. Comme on vient de le montrer, la limite selon laquelle le pouvoir de révision ne peut pas supprimer la République française en tant qu'Etat souverain peut être déduit du texte de l'alinéa 5 de l'article 89 qui interdit de réviser la forme républicaine. Par conséquent nous citons cette limite ici, c'est‑à‑dire dans le chapitre consacré aux limites inscrites dans le texte constitutionnel.

En conclusion, à notre avis, l'intangibilité prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 protège non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence de cette république. Tel est le contenu de cette limite matérielle.

* * *

Alors en ce qui concerne le contenu de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89, nos conclusions peuvent être résumées comme suit :

1. Il faut interpréter limitativement l'expression « la forme républicaine du gouvernement ». Car, selon une règle d'interprétation, les dispositions exceptionnelles sont soumises à une interprétation restrictive et les dispositions intangibles de la Constitution constituent des exceptions à la règle générale, c'est‑à‑dire la révisibilité de toutes les dispositions de la constitution. Et au sens strict, la république est définie comme la forme de gouvernement dans lequel le chef d'Etat n'est pas héréditaire. Selon cette définition la « république » n'est pas synonyme de « démocratie ». Si le constituant de 1958 avait voulu protéger non seulement la république, mais aussi son caractère démocratique, il aurait pu le prévoir expressément. Or dans l'alinéa 5 de l'article 89, on parle de la « forme républicaine du gouvernement » et non pas de la « forme démocratique du gouvernement ». Par conséquent cet alinéa protège la république, non pas la démocratie. Autrement dit il interdit la restauration d'une monarchie, mais il n'exclut pas l'établissement d'une république dictatoriale.

2. Par ailleurs, l'alinéa 5 de l'article 89 ne protège pas non plus la forme unitaire de cette République. Car la « république » et « son caractère unitaire » sont deux choses différentes. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit pas de réaliser le fédéralisme en France. Ainsi le pouvoir constituant dérivé peut transformer la République française en République fédérale de France, dans laquelle les régions ou les territoires français seront des Etats fédérés.

3. Par contre, à notre avis, l'intangibilité prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 protège non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de cette République. En d'autres termes, cet alinéa interdit non seulement de réviser la forme républicaine du gouvernement, mais aussi de supprimer cette République en tant qu'Etat souverain ; c'est-à-dire que le pouvoir de révision ne peut pas dissoudre la nature étatique de la République française dans un Etat fédéral. Parce que l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 implique nécessairement l'interdiction de supprimer cette république, car une « république », d'abord et avant tout, présuppose un « Etat » ; autrement dit la république est d'abord logiquement un Etat avant d'être l'Etat républicain. Alors le gouvernement français ne peut être une république que s'il existe en tant qu'Etat souverain.

§ 2. Les limites temporelles

La Constitution française de 1958 prévoit deux limites de temps dans son texte : l'interdiction de réviser la Constitution lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire et pendant l'intérim de la présidence de la république.

 

A. L'interdiction de réviser la Constitution lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire

Cette interdiction est prévue par l'alinéa 4 de l'article 89 de la Constitution de 1958 :

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire.

La même interdiction se retrouvait également dans la Constitution de 1946 :

Article 94. – Au cas d'occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères, aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie.

Il convient de noter que cette interdiction était une réponse à la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 qui a été votée lorsqu'une partie du territoire était occupée par les troupes allemandes[39]. Comme le remarque le président Lavroff, « cette disposition est justifiée par le fait que, si l'intégrité du territoire n'est pas respectée au moment où la proposition de révision de la Constitution est faite, on peut craindre qu'il y ait des pressions exercées sur les assemblées parlementaires, ou sur le peuple, qui les empêchent d'exprimer librement leur volonté »[40].

Enfin en ce qui concerne le contenu de l'interdiction prévue par l'alinéa 4 de l'article 89, des incertitudes existent. Par exemple que faut-il entendre par « territoire » ? Le territoire sera-t-il défini selon le droit national ou international[41] ? D'autre part, que faut-il entendre par « atteinte à l'intégrité » ? La Constitution de 1958 emploie le terme « intégrité », alors que la Constitution de 1946 utilisait celui d'« occupation ». Il est évident que l'occupation du territoire national par une armée étrangère rende impossible l'application de l'article 89. Mais comme l'évoque François Luchaire, il peut y avoir des hésitations sur la nature de cette armée (invitée et alliée ou occupante et ennemie)[42]. D'ailleurs comme le remarque Daniel Gaxie, « avec les moyens de la stratégie moderne, l'intégrité du territoire peut être atteinte, sans que tout ou partie du sol national soit effectivement occupé par des forces étrangères »[43]. D'autre part encore une autre question pourrait se poser : la révolte sur une partie du territoire national peut-elle être considérée comme une atteinte à l'intégrité du territoire[44] ? Comme l'affirme Daniel Gaxie, « ces incertitudes seront difficilement levées, car personne n'est habilité par la Constitution à constater s'il y a, ou non, atteinte à l'intégrité du territoire »[45].

 

 

B. L'interdiction de réviser la Constitution pendant l'intérim de la présidence de la République

Selon le dernier alinéa de l'article 7 de la Constitution de 1958,

Il ne peut être faite application ni des articles 49 et 50 ni de l'article 89 de la Constitution durant la vacance de la Présidence de la République ou durant la période qui s'écoule entre la déclaration du caractère définitif de l'empêchement du Président de la République et l'élection de son successeur.

Il en résulte qu'aucune révision de la Constitution ne peut intervenir pendant la période durant laquelle les fonctions du président de la République sont provisoirement exercées par le président du Sénat[46].

Il faut remarquer que cette disposition a été adoptée par la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 qui prévoit l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Comme le remarque Bernard Branchet,

« cette disposition a été interprétée comme ayant pour objet d'empêcher que le Parlement ne prenne prétexte, voire ne profite, de la vacance inopinée de la Présidence de la République, pour procéder à une révision hâtive de la Constitution et tendant à remettre en cause l'élection du Président de la République au suffrage universel direct »[47].

Selon le président Dmitri Georges Lavroff,

« cette disposition est tout à fait justifiée par le fait que la révision de la Constitution est un acte d'une très grande importance politique et que l'urgence d'y procéder n'est pas telle qu'il faille en accorder l'exercice à un président de la République par intérim qui n'exerce ses fonctions que pendant quarante-cinq jours au maximum »[48].

Nous venons ainsi de voir deux limites de temps inscrites dans le texte de la Constitution de 1958. Pourtant selon une thèse, il y a une troisième limite de temps : l'interdiction de réviser la Constitution lorsque l'article 16 est en application.

C. La Constitution de 1958 interdit-elle sa révision lorsque l'article 16 est en application ?

Tout d'abord il faut remarquer qu'une telle interdiction n'est inscrite ni dans le texte de l'article 16, ni dans le texte des autres articles de la Constitution de 1958.

Dans la doctrine du droit constitutionnel, les auteurs ne citent pas en général cette interdiction, lorsqu'ils étudient les limites de temps à la révision constitutionnelle dans la Constitution de 1958[49]. Et quand ils examinent l'article 16 lui-même, ils affirment que le président de la République ne peut pas modifier la Constitution en utilisant les pouvoirs exceptionnels qui lui sont conférés par l'article 16, « car ce serait contraire à son rôle de gardien du texte constitutionnel et à la nécessité qui s'impose à lui de rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs constitutionnel »[50]. En d'autres termes, comme le constate d'ailleurs le doyen Favoreu, « les auteurs, généralement, n'envisagent le problème que sous l'angle des pouvoirs du chef de l'Etat mais ne prennent pas position sur le point de savoir si la révision serait possible au cas où la procédure normale de l'article 89 serait suivi »[51].

D'autre part, il y a des auteurs qui pensent que la révision de la Constitution est possible lorsque l'article 16 est en application. Par exemple, selon Daniel Gaxie, « bien que les conditions de sa mise en oeuvre coïncident partiellement avec les situations visées par l'alinéa 4 de l'Article 89, on peut concevoir qu'une révision intervienne pendant son application »[52].

Pourtant selon une thèse, aucune révision de la Constitution ne peut être effectuée en période d'application de l'article 16. Les défenseurs de cette thèse déduisent en effet cette interdiction non pas du texte, mais de la finalité de l'article 16[53]. L'argument principal invoqué en faveur de cette thèse consiste à dire que l'article 16 confère au président de la République des pouvoirs exceptionnels en vue d'« assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission ». Par conséquent, le président de la République « doit rétablir l'ordre constitutionnel normal, à savoir l'ordre antérieur à la mise en application de cet article »[54]. Par exemple, selon Jean Gicquel, « aucune révision ne peut intervenir... d'une manière implicite, en cas de recours, par le chef de l'Etat, aux pouvoirs extraordinaires de l'article 16 »[55]. Pourtant le professeur Gicquel souligne qu'« à défaut de s'abriter derrière la lettre de l'art.16, il faut en solliciter l'esprit. Sa finalité consiste, en effet, à rétablir au plus tôt, la légalité républicaine, c'est‑à‑dire l'état de choses antérieur. Cependant il serait séant, à l'avenir, de l'indiquer expressis verbis dans le texte »[56].

On pourrait se demander pourquoi nous examinons cette limite dans ce chapitre ; car, comme nous l'avons annoncé plus haut, nous traitons dans ce chapitre exclusivement les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel. Les limites proposées par la doctrine seront traitées dans le deuxième chapitre. On pourrait alors penser que l'interdiction de réviser la Constitution lorsque l'article 16 est en application doit être examiné dans la deuxième partie, parce qu'elle ne figure pas dans le texte de cet article, mais qu'elle est proposée par la doctrine. Pourtant à notre avis, cette objection doit être écartée, car d'une part cette limite n'est pas une pure invention doctrinale, mais elle est déduite de l'article 16. En d'autres termes, si cette interprétation doctrinale était admise par le juge constitutionnel, cette interdiction trouverait sa source, sans doute d'une façon dérivée mais positive, dans le texte constitutionnel. C'est exactement ce qui est le cas depuis la décision 92-312 DC du 2 septembre 1992 du Conseil constitutionnel.

Effectivement le Conseil constitutionnel, par sa décision 92-312 DC du 2 septembre 1992, a entériné cette interprétation doctrinale. Dans cette décision le Conseil a mentionné l'article 16 parmi les articles à partir desquels sont déduites les limitations de temps à l'exercice pouvoir constituant dérivé[57]. Ainsi on pourrait affirmer que cette limite tirée de l'article 16 n'est pas privée d'existence positive depuis le 2 septembre 1992, par conséquent elle fait partie du droit positif. C'est pourquoi, à notre avis, en l'état actuel du droit, la révision de la Constitution ne peut pas intervenir lorsque l'article 16 est en application. Par conséquent, parmi les limites de temps du pouvoir constituant dérivé, il faut également citer la limite de temps tirée de l'article 16, à coté de celles résultant des articles 7 et 89, alinéa 4, de la Constitution.

Certains commentateurs approuvent l'attitude du Conseil constitutionnel. Par exemple d'après le professeur Dominique Rousseau, le Conseil constitutionnel a condamné à juste titre l'interprétation selon laquelle il était permis au président de la République d'engager une procédure de révision pendant les périodes de mise en oeuvre de l'article 16. Le professeur Dominique Rousseau pense que le Conseil s'est appuyé sans doute « sur une lecture croisée des articles 16 et 89 : ce dernier interdit, en effet, toute révision lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ; or, un des motifs de la mise en application possible des pouvoirs exceptionnels est une menace grave et immédiate à l'intégrité du territoire ; donc, par extension logique et nécessaire, toute révision est impossible durant la période d'application de l'article 16 »[58].

Par contre le président François Luchaire critique la décision du Conseil constitutionnel. Selon lui,

« il est exact que les mesures prises en application de l'article 16 tendent à assurer le fonctionnement normal des pouvoirs constitutionnels et non à les changer ; mais ceci concerne les mesures prises par le Chef de l'Etat et non l'application régulière de l'article 89. Le Conseil constitutionnel paraît cependant s'être référé à une interprétation très large de l'arrêt [Sieur Rubin de Servens et autres][59] du Conseil d'Etat implicitement tout au moins ; ou il est tout à fait exceptionnel que le Conseil constitutionnel dégage un principe constitutionnel d'un texte qui ne le consacre pas expressément »[60].

Le doyen Louis Favoreu lui aussi désapprouve la décision du Conseil constitutionnel. Selon lui, « on pourrait très bien concevoir que le Président de la République demande aux assemblées, d'abord séparément, puis au Congrès (ou au peuple par voie de référendum), de modifier la Constitution »[61]. Or le Conseil constitutionnel a entériné cette interprétation doctrinale, « sans se poser de questions alors que ce n'était pas si évident. Il interprète donc largement la notion de périodes d'interdiction de la révision constitutionnelle »[62].

§ 1. Les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle

La Constitution française de 1958 prévoient plusieurs conditions à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. Nous allons voir ces conditions dans le cadre des procédures de révision constitutionnelle. La Constitution française de 1958 contient deux procédures régulières (celle de l'article 85 et celle de l'article 89) et une procédure contestée (celle de l'article 11) de révision constitutionnelle.

A. La procédure de l'article 85

C'est une procédure spécifique et dérogatoire qui ne peut être utilisée que pour la révision des dispositions du titre XIII, intitulé « De la Communauté »[63]. L'article 85 lui même comporte deux procédures distinctes : une procédure initiale (alinéa 1), et une procédure alternative (alinéa 2).

Selon l'alinéa 1 de cet article de l'article 85,

Par dérogation à la procédure de l'article 89, les dispositions du présent titre qui concerne le fonctionnement des institutions communes sont révisées par des lois votées dans les mêmes termes par le Parlement de la République et par le Sénat de la Communauté.

Et l'alinéa 2 de cet article précise que

Les dispositions du présent titre peuvent être également révisées par accords conclus entre les Etats de la Communauté ; les dispositions nouvelles sont mises en vigueur dans les conditions requises par la Constitution de chaque Etat.

Notons que la procédure prévue par l'alinéa 1 de l'article 84 a été appliqué une seule fois pour adopter l'alinéa 2 de cet article (la loi constitutionnelle du 4 juin 1960)[64].

Comme le constate le professeur Jacques Cadart, « aujourd'hui, cette disposition est pratiquement inutilisable, même si juridiquement, elle est toujours en vigueur. En effet le Sénat de la Communauté qui doit intervenir, n'existe plus bien qu'il n'ait jamais été supprimé »[65].

B. La procédure de l'article 89

La Constitution française de 1958 règle essentiellement la procédure de révision constitutionnelle dans son article 89, al.1 à 3, sous le titre XVI intitulé « De la révision ».

        Article 89. – L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier Ministre et aux membres du Parlement.

        Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.

        Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale.

1. L'initiative de la révision

Selon l'alinéa 1 de l'article 89, le pouvoir de proposer la révision de la Constitution est partagé entre les membres du Parlement et le président de la République. Les propositions de révision constitutionnelle faites par les membres du Parlement n'obéissent pas à des conditions particulières ; « elles sont déposées, sous le nom de proposition de révision, dans les formes habituellement suivies pour l'exercice du droit de proposition en matière législative »[66]. D'ailleurs la Constitution française, contrairement à certaines constitutions étrangères[67], n'exige pas la signature de la proposition de révision par un certain nombre de parlementaires. Ainsi un seul membre de l'Assemblée nationale ou du Sénat peut déposer une proposition de révision.

Par contre, le pouvoir d'initiative du président de la République est soumis à une condition : il ne peut s'exercer que sur proposition du Premier ministre (art.89, al.1). En d'autres termes, l'initiative du président de la République doit être contresignée par le Premier ministre (art.19). Ainsi la proposition de révision faite par le président de la République nécessite un accord entre lui et le Premier ministre.

Il convient de se demander si le président de la République est tenu d'accepter la proposition du Premier ministre. Selon certains auteurs, aux termes de l'alinéa 1 de l'article 89, l'initiative « appartient » au président de la République, « ce qui suggère qu'il est libre de donner, ou de ne pas donner suite, à la proposition du Premier Ministre »[68]. Par contre le président de la République doit respecter le contenu de la proposition du Premier ministre. Car, comme le remarque Daniel Gaxie, « écarter certaines dispositions, ou introduire de nouvelles, reviendrait à tourner la Constitution, qui subordonne l'initiative constitutionnelle du Président à l'existence préalable d'une proposition du chef du gouvernement »[69]. Enfin on remarquera que le président de la République a la liberté d'appréciation quant à l'opportunité d'une initiative de révision émanant du Premier ministre[70].

Sur d'autres points, la proposition ou le projet de révision sont soumis à la procédure législative ordinaire.

Ainsi le Gouvernement a la maîtrise de l'ordre du jour, c'est‑à‑dire qu'il fait venir en discussion devant le Parlement les propositions qu'il veut et peut enterrer définitivement les autres[71].

2. L'élaboration de la révision

L'élaboration de la révision est conférée au Parlement. L'alinéa 2 de l'article 89 précise que « le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques ». Il en résulte qu'aucune révision de la Constitution ne peut être réalisée dans le cadre de l'article 89 sans l'accord des deux chambres. Ainsi l'Assemblée nationale et le Sénat se trouvent placés sur un pied d'égalité[72]. Le Premier ministre ne peut provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire, et le Gouvernement ne peut pas demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement (art.45). L'article 89 impose alors le bicaméralisme égalitaire en matière de révision constitutionnelle[73].

Dans cette phase, la procédure de révision est soumise aux mêmes règles que la procédure législative ordinaire[74]. Par conséquent, le gouvernement dispose des mêmes pouvoirs. Par exemple, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission compétente, et recourir à la procédure de « vote bloqué » (art.44), ou engager sa responsabilité (art.49).

Ainsi, comme les lois ordinaires, les projets ou propositions de révision sont votés à la majorité relative, c'est‑à‑dire, à la majorité des suffrages exprimés, sans que l'on tienne compte des absences ou des abstentions[75].

Par contre la procédure de révision constitutionnelle diffère à ce stade de la procédure législative sur le point suivant : le Gouvernement ne dispose d'aucun moyen de contrainte à l'égard du Sénat[76].

3. L'approbation de la révision

Après le vote en termes identiques du texte de révision constitutionnelle par les deux chambres, il faut procéder à son approbation. Pour cela l'article 89 prévoit deux voies alternatives : le recours au référendum ou le vote par le Parlement réuni en Congrès.

Dans l'esprit des constituants de 1958, le référendum devait constituer la voie normale, la procédure de droit commun de la révision constitutionnelle[77]. D'ailleurs, cette interprétation est conforme au texte de l'alinéa 2 de l'article 89 : « la révision est définitive après avoir été approuvée par référendum ». L'approbation par le Congrès apparaît donc comme une possibilité secondaire[78]. Il faut souligner qu'elle est réservée aux seuls projets de révision. L'alinéa 3 de l'article 89 est clair : « Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ».

Le choix entre le référendum et le Congrès appartient au président de la République. La décision du président de la République est soumise au contreseing du Premier ministre, en raison de l'exclusion de l'article 89 de la liste limitative prévue par l'article 19 de la Constitution. Par conséquent ce choix nécessite l'existence d'un accord politique entre le président de la République et le Premier ministre.

Dans le cas où le Congrès repousserait ou n'approuverait pas à la majorité qualifiée un projet de révision, le recours au référendum n'est plus possible. Car le texte même de l'alinéa 3 de l'article 89 semble exclure une telle éventualité. Celui-ci en effet précise que « le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ».

En dernier lieu, il convient de préciser les incertitudes dans la procédure de révision. A ce propos, deux questions se posent.

1. La première consiste à savoir si le président de la République a le droit d'interrompre ou non la procédure de révision après que le projet de révision ait été régulièrement approuvé par les deux assemblées[79]. Le professeur Maurice Duverger soutient que la possibilité pour le président de la République de suspendre la procédure constitue un « droit de veto constitutionnel ». Or la Constitution ne prévoit pas un tel droit. D'ailleurs, l'alinéa 3 précise qu'il n'est pas procédé à un référendum lorsque le président de la République décide de soumettre le projet de révision au Congrès. Ici, l'indicatif présent vaut l'impératif[80]. Sans entrer dans les détails, précisons que la Constitution ne fixe aucun délai. D'ailleurs il n'y a aucune procédure permettant d'obliger le président de la République à soumettre le projet au Congrès ou au référendum. Par conséquent, comme le remarque le président Dmitri Georges Lavroff,

« la seule solution pour surmonter l'opposition du président de la République serait de l'accuser de haute trahison et de le traduire devant la Haute Cour de Justice. En dehors de cette procédure exceptionnelle..., il n'y a pas de moyen juridique susceptible d'interdire au président de la République de stopper en fait la procédure ou de surmonter les effets de son inaction »[81].

Aucune proposition parlementaire n'a abouti jusqu'à ce jour. Mais comme le remarque le professeur Pierre Pactet[82], on peut envisager le même problème pour les propositions parlementaires. Le président de la République peut-il s'opposer à la nécessaire consultation populaire ? Selon le professeur Philippe Ardant, la proposition de révision adoptée par les deux assemblées doit être soumise au peuple par référendum. « Le Président de la République et le Gouvernement n'ont aucune possibilité d'intervenir dans la procédure..., ils seraient obligés d'organiser un référendum après l'approbation par les chambres d'un texte identiques »[83]. Pour le professeur Pierre Pactet aussi,

« en droit, une réponse négative s'impose. En effet, il ressort des textes que le Président ne dispose que d'une compétence de procédure. L'absence de délai préfixé dans l'article 89, si elle laisse une certaine latitude au Président, ne lui confère pas évidemment pas un droit de veto à l'encontre des propositions d'origine parlementaire... Un refus du Président ou un ajournement abusif constitueraient une fraude à la constitution évidemment choquant »[84].

Mais il ajoute tout de suite que « si une telle hypothèse se réalisait, il serait très difficile d'y porter remède, compte tenu de l'irresponsabilité du Président »[85].

2. L'autre question concerne la possibilité de reprendre ou non la procédure un moment suspendue par le président de la République. Selon le doyen Henry Roussillon, le silence de la Constitution ne vaut pas l'absence de délai. On ne peut pas reprendre la procédure au-delà d'un délai raisonnable. Dans la détermination de ce délai, il faut d'abord prendre en considération la cause de l'ajournement. « En effet, dit le doyen Roussillon, on est en droit de considérer que l'opération de révision est suspendue aussi longtemps que la cause de l'ajournement demeure »[86]. Ensuite, le doyen Roussillon propose un critère institutionnel selon lequel

« la révision constitutionnelle ajournée ne peut être reprise que tant que les acteurs qui ont participé à la première phase sont les mêmes ; il s'agit du Président de la République, de l'Assemblée nationale et du Sénat »[87].

Encore rappelons que la Constitution ne prévoit aucun délai et aucun mécanisme pour contraindre le président de la République. Il semble alors que l'interruption de la procédure de révision ne rend pas caduc le texte voté par les deux assemblées[88]. De plus on peut citer un précédent : la loi constitutionnelle n° 63-1327 du 30 décembre 1963. La procédure de cette révision qui a commencé en 1960 avec un vote favorable de l'Assemblée nationale le 15 décembre 1960, n'a été approuvée que le 20 décembre 1963 après le renouvellement de l'Assemblée nationale en 1962[89]. D'ailleurs, comme l'invoque Pierre Pactet[90], cette pratique se trouve à l'origine même de la Ve République : la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 a été adoptée à partir de résolutions votées en 1955.

Enfin, en ce qui concerne le déroulement de la procédure référendaire d'approbation de la révision, devant le silence de la Constitution les auteurs se bornent à noter qu'il appartient au président de la République de fixer la date de la consultation et de convoquer les électeurs[91]. Cette décision est soumise au contreseing du Premier ministre, puisque l'article 19 ne mentionne pas l'article 89. D'ailleurs conformément à l'article 60 de la Constitution, « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats ».

La Constitution ne précise pas davantage les modalités de l'approbation par le Congrès. Elle indique simplement que « le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale » (art.89, al.3). Le Congrès n'élit donc pas son bureau. Par conséquent le président du Congrès est celui de l'Assemblée nationale[92]. Le Congrès se réunit à Versailles. L'ordre du jour est fixé par le décret de convocation, signé par le président de la République et contresigné par le Premier ministre. Le congrès n'a pas à discuter le projet de révision ; il n'a pas la faculté de l'amender. Le seul objet de la réunion du Congrès est d'émettre un vote sur les textes déjà adoptés par les deux chambres. Le projet de révision est réputé adopté quand il obtient les trois cinquièmes des suffrages exprimés (art.89, al.3). Les abstentions n'interviennent donc pas dans le calcul de la majorité qualifié et favorisent ainsi l'adoption du texte en discussion[93].

4. La promulgation

La loi constitutionnelle ainsi approuvée est promulguée par le président de la République (art.10)[94]. Le pouvoir de promulgation du président de la République est soumis au contreseing du Premier ministre (art.19). Il convient également noter que la possibilité reconnue au président de la République de « demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou certaines de ses articles » (art.10, al.2) peut s'appliquer à la loi constitutionnelle votée par le Congrès du Parlement[95].

C. La procédure contestée de l'article 11

Existe-t-il une troisième procédure de révision de la Constitution de 1958 ?

A deux reprises, en 1962 et en 1969, le général de Gaulle a utilisé l'article 11 pour réviser la Constitution de 1958. L'emploi de cet article pour procéder à une révision de la Constitution a suscité une vaste controverse. Au début, deux thèses se sont affrontées. Selon le général de Gaulle et certains constitutionnalistes, l'utilisation de l'article 11 pour réviser la Constitution est régulière[96]. Par contre, la majorité de la classe politique et de la doctrine ont contesté la régularité de l'emploi de l'article 11[97]. Avec le temps, comme le constate Gérard Conac, « plusieurs constitutionnalistes durent reconnaître qu'effectivement l'article 11 posait aux juristes un problème sérieux dont la solution n'était pas aussi évidente qu'ils avaient pu le penser d'abord »[98]. Aujourd'hui les juristes manifestent moins de réserve. Une bonne partie des constitutionnalistes considèrent que la révision de la Constitution par la voie de l'article 11 est possible[99]. D'ailleurs le président François Mitterrand a déclaré en 1988 que « ...l'usage établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme l'une des voies de la révision, concurremment avec l'article 89 »[100]. Nous ne voulons pas entrer dans ce débat qui dépasse largement le cadre limité de notre thèse. Précisons simplement que les lois qui sont adoptées par la voie de l'article 11 ne sont pas annulables[101], par conséquent on ne peut pas contester leur validité. Ainsi, on peut reconnaître avec Michel Troper que

« la Constitution, en s'abstenant d'organiser un contrôle du recours à l'article 11, institue, au profit du Président de la République, un monopole de l'interprétation. En termes juridiques, l'interprétation du Président est seule authentique et l'article 11, notamment l'expression ‘organisation des pouvoirs publics’, ne peut avoir d'autre sens au regard de la Constitution que celui que lui confère le Président »[102].

En conclusion, on peut adopter les lois constitutionnelles valables en application de l'article 11. Il faut alors voir brièvement les conditions de forme exigées dans la procédure de l'article 11.

D'abord voyons le texte de l'article 11.

        Article 11.– Le Président de la République sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peur soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d'un accord de Communauté ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

        Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet, le Président de la République le promulgue dans le délai prévu à l'article précédent.

On peut distinguer les étapes suivantes dans la procédure de l'article 11.

1. L'initiative

Selon l'article 11, l'initiative du référendum appartient au président de la République. La décision de recourir au référendum prend la forme d'un décret du président de la République[103]. C'est ce décret qui fixe la date de convocation du corps électoral[104]. Ce décret n'est pas susceptible de recours juridictionnel[105]. Le Conseil d'Etat considère en effet qu'il s'agit d'un acte de gouvernement[106].

La décision du président de la République de recourir au référendum est soumise à une condition : elle ne peut être prise que sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées. La proposition d'origine gouvernementale est soumise elle-même à une condition de forme : elle ne peut être présentée que pendant la durée des sessions. Il s'agit d'éviter que le parlement ne puisse être mis devant le fait accompli. Ainsi l'Assemblée nationale peut se prononcer sur une motion de censure[107]. Il faut préciser que ce n'est pas le Premier ministre, mais le Gouvernement qui est compétent pour faire la proposition[108].

Le président de la République peut accepter ou refuser de recourir au référendum. Cette décision n'est pas soumise au contreseing du Premier ministre (art.19). Mais le président de la République ne peut pas soumettre au référendum « un autre texte que celui du projet de loi délibéré en Conseil des ministres, ou pour le libellé de la question, une autre rédaction que celle qui est formulée dans la proposition du gouvernement ou celle des deux assemblées »[109].

Dans la pratique on remarquera qu'avant la décision présidentielle, le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel ont été consultés. La consultation du Conseil d'Etat découle de l'article 39 de la Constitution en ce qui concerne l'examen du projet de la loi à soumettre au référendum[110]. Par contre la consultation du Conseil constitutionnel n'est pas une exigence constitutionnelle avant la décision du président de la République[111].

2. Les opérations de référendum

Les règles relatives à l'organisation du scrutin sont fixées par décret[112]. Selon l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, le Conseil constitutionnel doit être consulté par le gouvernement sur l'organisation des opérations de référendum (art.46). La consultation du Conseil constitutionnel est donc obligatoire. Les opinions du Conseil constitutionnel n'ont qu'une valeur consultative[113].

L'article 11 garde le silence sur les modalités de l'organisation du référendum. Il doit être complété par l'article 60 qui indique que « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum ».

Les résultats du référendum sont proclamés par le Conseil constitutionnel (art.60). Le projet de loi est adopté s'il a réuni la majorité absolue des votes exprimés. A l'opposé de la Constitution danoise[114], la Constitution française n'exige pas un seuil de participation comme une condition de validité du vote.

3. La promulgation

Selon le deuxième alinéa de l'article 11,

Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet, le Président de la République le promulgue dans le délai prévu à l'article précédent.

Ainsi la proclamation des résultats du référendum n'entraîne pas la mise en vigueur de la loi référendaire[115]. Elle doit être promulguée dans les mêmes conditions que les lois ordinaires. Le président de la République le promulgue dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement (art.10). Pour les lois référendaires, cette transmission est effectuée par le président du Conseil constitutionnel[116].


 

[1]. Pour les diverses significations de la « république » voir Jean-Marie Pontier, « La république », Recueil Dalloz Sirey, 1992, 31e Cahier, Chronique, XLVIII, p.239-246.

D'ailleurs il faut noter qu'en France le mot république « a pris une consonance particulière dans la mesure où il s'inscrit dans l'héritage de la Révolution française » (Jean-Louis Quermonne, « République », in Olivier Duhamel et Yves Meny (sous la direction de-), Dictionnaire constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992, p.921). Alors, comme en parle Michel-Henry Fabre, il y a une signification « française » de la république (Michel-Henry Fabre, Principes républicaines de droit constitutionnel, 4e édition, Paris, L.G.D.J., 1984, p.3).

[2]. En ce sens voir, Julien Laferrière, Le nouveau gouvernement de la France : les actes constitutionnels de 1940-1942, Paris, Sirey, 1942, p.40 ; Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.278, 318 ; Daniel Gaxie, « Article 89 », in François Luchaire et Gérard Conac (sous la direction de-), La Constitution de la République français, Paris, Economica, 2e édition, 1987, p.1329 ; Bernard Branchet, La révision de la Constitution sous la Ve République, Paris, L.G.D.J., 1994, p.64.

[3]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.278.

[4]. Didier Maus, « Sur ‘la forme républicaine du gouvernement’ », Commentaire sous la décision n° 92‑-312 DC du 2 septembre 1992, Revue française de droit constitutionnel, n°11, 1992, p.412. Par exemple, Maurice Agulhon entend par « république », « un système sans roi ni dictateur, un Etat de droit, une démocratie libérale » (Maurice Agulhon, La République : 1880 à nos jours, Paris, Hachette, 1990, cité par Quermonne, « République », op. cit., p.923.

[5]. Maus, « Sur ’la forme républicaine du gouvernement’ », op. cit., p.412.

[6]Ibid.

[7]. Louis Favoreu, Commentaire sous la décision n° 92‑312 DC du 2 septembre 1992, « Maastricht II »,Revue française de droit constitutionnel, 1992, p.738 ; ainsi que Favoreu et Philip, Les grandes décisions..., op. cit., p.7e éd., p.825.

[8]. Favoreu, Commentaire sous la décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, op. cit., p.738 ; Favoreu et Philippe, Les grandes décisions..., op. cit., p.7e éd., p.825.

[9]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.127.

[10]. Selon Maurice Hauriou, « la République est une forme de gouvernement entièrement élective ». Mais il ajoute que « le gouvernement républicain exige que les gouvernants élus ne le soient pas à vie, mais seulement pour un temps ». Ainsi d'après lui, par cette condition, la République « devient une forme d'Etat où la souveraineté nationale est plus pleinement réalisée que dans les autres, parce que la mainmise du suffrage majoritaire sur les pouvoirs de gouvernement est plus complète ; elle devient la forme d'Etat la mieux adaptée à la souveraineté nationale, et elle tend à s'identifier avec celle-ci, ainsi qu'avec la démocratie » (Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, réimpression par les Editions du C.N.R.S., 1965, p.343).

[11]. Selon Georges Liet-Veaux, « en 1946, les constituants pensaient à la dictature, non à la monarchie. Il aurait donc fallu écrire ‘la forme démocratique du Gouvernement’... » (Georges Liet‑Veaux, Droit constitutionnel, Paris, Editions Rousseau, 1949, p.164).

[12]. Gaxie, op. cit., p.1329.

[13]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.105.

[14]. Pour les circonstances dans lesquelles la loi du 14 août 1884 a été adoptée voir Gabriel Arnoult, De la révision des constitutions : Etablissements et révision des constitutions françaises. Systèmes de révision des constitutions étrangères, Thèse, Nancy, Rousseau, 1895, p.280 et s. ; H. De Bousquet de Florian, La révision des constitutions, Paris, Rousseau, 1891, p.126 et s. ; Maurice Fonteneau, Du pouvoir constituant en France et de la révision constitutionnelle dans les Constitutions françaises depuis 1789, Thèse, Caen, 1900, p.168 et s.

[15]. Maus, « Sur ‘la forme républicaine du gouvernement’ », op. cit., p.412.

[16]. L'article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884.

[17]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.278.

[18]. Il n'est pas nécessaire d'ajouter que le dictateur ne soit pas héréditaire. Car, s'il l'est, on n'est plus dans la république.

[19]. L'Australie, l'Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la Finlande, la France, l'Allemagne, l'Irlande, Islande, l'Israël, l'Italie, le Japon, le Luxembourg, le Hollande, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse. Sans entrer dans les détails notons que Arend Lijphart déterminent les pays démocratiques selon deux critères. Le premier consiste en critères de démocratie de Robert Dahl. Le deuxième est la continuité de la démocratie sans interruption depuis la Deuxième Guerre mondiale (Arend Lijphart, Democracies : Patterns of Majoritarian and Consensus Government in Twenty-One Countries, New Haven, Yale University Press, 1984, p.1-2 et 37-39).

[20]Les monarchies démocratiques : L'Australie, la Belgique, le Canada, le Danemark, le Japon, le Luxembourg, le Hollande, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Royaume-Uni, la Suède (Lijphart, op. cit., p.88). Les républiques démocratiques : l'Autriche, les Etats-Unis, la Finlande, la France, l'Allemagne, l'Irlande, Islande, l'Israël, l'Italie, la Suisse (Lijphart, op. cit., p.88).

[21]. Turpin, Droit constitutionnel, op. cit., p.86.

[22]. François Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », Revue du doit public, 1992, p.1591, note 9.

[23]. Signalons que la question de savoir si l'alinéa 5 de l'article 89 interdit la participation de la France à une fédération des Etats sera étudiée sous l'intitulé 3. Car cette question concerne non pas le caractère unitaire ou fédéral de la République, mais l'existence même de la République française en tant qu'Etat souverain.

[24]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1051.

[25]. Ibid., p.1050.

[26]Ibid., p.1051.

[27]Ibid., p.1047.

[28]. C'est-à-dire, l'« étaticité », le « fait d'être un Etat », la « nature étatique » ou la « qualité d'Etat souverain ». Pour ces notions voir, Ibid., p.1048-1051.

[29]Ibid., p.1051.

[30]Ibid., p.1050.

[31]Ibid., p.1051.

[32]Ibid.

[33]. Voir infra, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 2, § 1, D.

[34]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1062.

[35]Ibid., p.1062. C'est nous qui soulignons.

[36]Ibid.

[37]Ibid., p.1050.

[38]Ibid., p.1051.

[39]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.104.

[40]Ibid.

[41]. Rigaux, op. cit., p.50.

[42]. François Luchaire, Le Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1980, p.129.

[43]. Gaxie, op. cit., p.1328.

[44]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.129.

[45]. Gaxie, op. cit., p.1328.

[46]. Et si le président du Sénat est à son tour empêché d'exercer ces fonctions, l'intérim de la présidence de République est assumé par le Gouvernement (art.7, al.4).

[47]. Branchet, op. cit., p.62.

[48]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.105.

[49]. Par exemple, Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.82 ; Cadoux, op. cit., p.154-155 ; Debbasch et alii, op. cit., p.92-93 ; Jeanneau, op. cit., p.94 ; Pactet, op. cit., p.78 ; Turpin, op. cit., p.90.

[50]. Dmitri-Georges Lavroff, Le système politique français : Constitution et pratique politique de la Ve République, Paris, Dalloz, 5e édition, 1991, p.474. En ce sens encore voir Jean Lamarque, « Théorie de la nécessité et article 16 de la Constitution », Revue du droit public, 1961, p.617-618.

[51]. Louis Favoreu, Commentaire sous la décision n° 92‑312 DC du 2 septembre 1992, Revue française de droit constitutionnel, 1992, p.737.

[52]. Gaxie, op. cit., p..1329.

[53]. Branchet, op. cit., p.63.

[54]Ibid.

[55]. Gicquel, op. cit., p.180.

[56]Ibid.

[57]. Le Conseil constitutionnel s'est fondé probablement, même s'il ne le dit pas, sur la ressemblance entre la situation prévue par l'article 89, alinéa 4 (l'atteinte à l'intégrité du territoire), et les conditions de mise en oeuvre de l'article 16 (l'intégrité du territoire est menacée d'une manière grave et immédiate). D'ailleurs comme nous l'avons expliqué plus haut, plusieurs constitutions étrangères interdisent leur révision pendant les états exceptionnels. Par exemple, selon la Constitution espagnole, la révision de la Constitution est interdite en temps de guerre ou lorsque l'état d'urgence, ou l'état d'exception, ou l'état de siège est en vigueur (art.169). De même l'art.289 de la Constitution portugaise précise qu'« aucun acte de révision constitutionnelle ne peut être accompli pendant l'état de siège ou l'état d'urgence ».

[58]. Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 3e édition, 1993, p.182.

[59]. C.E., Sieur Rubin de Servens et autres, 2 mars 1962, Revue du doit public, 1962, p.314-315. Pour le Conseil d'Etat, l'article 16 confère au président de la République le pouvoir législatif et un pouvoir réglementaire mais non pas un pouvoir constituant.

[60]. François Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », Revue du doit public, 1992, p.1592.

[61]. Favoreu, Commentaire sous la décision n° 92‑312 DC du 2 septembre 1992, op. cit., p.737.

[62]Ibid.

[63]. Cadart, op. cit., t.I, p.149-150 ; Pactet, op. cit., p.500 ; Jean-Louis Quermonne et Dominique Chagnollaud, Le gouvernement de la France sous la Ve République, Paris, Dalloz, 4e édition, 1991, p.519.

[64]. La loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin 1960, Journal officiel du 8 juin 1960.

[65]. Cadart, op. cit., t.I, p.149.

[66]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.103.

[67]. Par exemple la Constitution turque (l'art.175, al.1) exige la signature de la proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. De même selon la Constitution grecque (art.110, al.2), la proposition doit être faite par au moins cinquante députés.

[68]. Gaxie, op. cit., p.1327.

[69]Ibid.

[70]. Branchet, op. cit., p.19.

[71]. Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.84.

[72]. Gaxie, op. cit., p.1331.

[73]. Cadart, op. cit., t. I, p.144.

[74]. Gaxie, op. cit., p.1329 ; Branchet, op. cit., p.26.

[75]. Gaxie, op. cit., p.1331.

[76]Ibid.

[77]. Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.85 ; Gaxie, op. cit., p.1331 ; Branchet, op. cit., p.29.

[78]. Gaxie, op. cit., p.1332.

[79]. Un tel cas s'est produit à deux reprises en 1973 et en 1974.

[80]. Maurice Duverger, « Un droit de veto constitutionnel », Le Monde, 20-21 octobre 1974, cité par Gaxie, op. cit., p.1333.

[81]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.107.

[82]. Pactet, op. cit., p.504.

[83]. Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.84.

[84]. Pactet, op. cit., p.504.

[85]Ibid.

[86]. Henry Roussillon, « Le devenir du ‘projet Pompidou’ de 1973 : réflexions sur le temps dans la procédure constitutionnelle », in La révision de la constitution, (Journées d'études des 20 mars et 16 décembre 1992), Travaux de l'Association française des constitutionnalistes, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1993, p.100.

[87]Ibid., p.101.

[88]. En ce sens voir Gaxie, op. cit., p.1334 ; Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.84 ; Cadart, op. cit., t.I, p.146 ; Gicquel, op. cit., p.518 ; Quermonne et Chagnollaud, op. cit., p.64 ; Turpin, Droit constitutionnel, op. cit., p.89 ; Georges Vedel, Le Monde, 5 décembre 1991.

[89]. Selon le doyen Henry Roussillon, « il ne s'agit pas là d'un précédent puisqu'à aucun moment n'a été prise une décision d'ajournement » (Roussillon, « Le devenir du ‘projet Pompidou’ de 1973... », op. cit., p.103).

[90]. Pactet, op. cit., p.503, note 4.

[91]. Gaxie, op. cit., p.1334 ; Branchet, op. cit., p.32.

[92]. Branchet, op. cit., p.32 ; Gaxie, op. cit., p.1334.

[93]. En ce qui concerne le déroulement de la procédure d'approbation de la révision par le Congrès voir Gaxie, op. cit., p.1334-1335 ; Branchet, op. cit., p.32-34.

[94]. Jean Massot, « Article 10 », in François Luchaire et Gérard Conac (sous la direction de), La Constitution de la République française, Paris, Economica, 2e édition, 1987, p.403.

[95]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.125.

[96]. Cette thèse est défendue par Pierre Lampué et Françoise Goguel. Voir Pierre Lampué, « Le mode d'élection du Président de la République et la procédure de l'article 11 », Revue du droit public, 1962, p.931-935 ; François Goguel, Les institutions politiques de la France, Les cours de droit, I.E.P. de Paris, 1968-1969, (Compléments et rectifications de 1969-1970), p.45 ; François Goguel, « De la conformité du référendum 28 octobre 1962 à la Constitution », in Mélanges offerts en hommage à Maurice Duverger, Paris, P.U.F., 1987, p.115-125.

A l'occasion de l'utilisation de l'article 11 en 1969, une justification par la coutume constitutionnelle a été avancée par Georges Vedel (« Le droit par coutume », Le Monde, 22-23 décembre 1968) et Marcel Prélot (« Sur l'interprétation coutumière de l'article 11 », Le Monde, 15 mars 1969).

[97]. Georges Berlia, « Le problème de la constitutionnalité de référendum du 28 octobre 1962 », Revue du droit public, 1962, p. 936-949 ; Maurice Duverger, Le Monde, 17 octobre 1962: P. Bastid, G. Berlia, Ph. Teitgen, L'aurore, 14 octobre 1962 ; Sur le référendum 1969 : Maurice Duverger, « La carte forcée », Le Monde, 22-23 décembre 1968 ; A. Hauriou, « Contre le viol des constitutions », Le Monde, 26-27 juillet 1968.

[98]. Gérard Conac, « Article 11 », in Françoise Luchaire et Gérard Conac (sous la direction de-), La Constitution de la République française, Paris, Economica, 2e édition, 1987, p.436.

[99]. A cet égard le revirement de Maurice Duverger est impressionnant. Etant contre en 1962 l'utilisation de l'article 11 pour réviser la Constitution, il a admis dans les années 1980 que « l'article 11 et l'article 89 sont désormais placés sur le même pied » (Maurice Duverger, Le système politique français, Paris, P.U.F., 20e édition, 1990, p.385). En ce sens voir encore (mais les opinions très nuancées) : Burdeau, Hamon, Troper, op. cit., p.23e éd., 1993, p.442 ; Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.110-115 ; Quermonne et Chagnollaud, op. cit., p.66-67 ; Philippe Ardant, « La révision constitutionnelle en France : problématique générale », op. cit., p.89-90 ; Gicquel, op. cit., p.519 ; Debbasch et alii, op. cit., p.619-621.

[100]. François Mitterrand, « Sur les institutions » (Entretien avec Olivier Duhamel), Pouvoirs, n° 45, avril 1988, p.138.

[101]. C.C., décision 62-20 DC du 6 novembre 1962, Rec., p.27. Cette décision sera étudiée dans la deuxième partie de notre travail (Titre 2, Chapitre 2, Section 1, Sous-section 2, § 2, A).

[102]. Michel Troper, « La Constitution et ses représentations sous la Ve République », Pouvoirs, n° 4, 1978, p.72.

[103]. Conac, op. cit., p.451.

[104]Ibid.

[105]Ibid.

[106]. C.E., Brocas, 19 octobre 1962.

[107]. Conac, op. cit., p.447.

[108]Ibid., p.447.

[109]Ibid., p.452.

[110]Ibid.

[111]Ibid.

[112]Ibid.

[113]Ibid.

[114]. Comme on l'a vu plus haut, selon l'article 88 de la Constitution danoise, la majorité des votants doit réunir au moins 40 pour cent de tous les électeurs inscrits (Oberdorff, op. cit., p.104).

[115]. Conac, op. cit., p.457.

[116]Ibid.

 

 

 

 

 

 

Section 2
Les limites à la révision constitutionnelle

inscrites dans la Constitution turque de 1982

 

 

 

 

La première Constitution écrite en Turquie était celle de l'Empire ottoman du 23 décembre 1876. Cette Constitution déterminait la procédure de révision constitutionnelle dans son article 116. Elle ne prévoyait aucune limite à la révision constitutionnelle. Par contre la Constitution de la République turque du 20 avril 1924 prévoit pour la première fois une limite matérielle : l'intangibilité de la forme républicaine de l'Etat. Selon l'article 102 de cette Constitution, la disposition de l'article 1er de la Constitution concernant la forme républicaine de l'Etat ne peut être révisée, ni sa révision proposée. Cette interdiction se retrouve également dans la Constitution du 9 juillet 1961 (art.9). Dans ces deux Constitutions, il n'y avait pas d'autres limites matérielles à la révision constitutionnelle. Par contre la Constitution de la République turque du 7 novembre 1982[1] prévoit plusieurs limites matérielles à la révision constitutionnelle.

§ 1. Les limites matérielles

La Constitution de 1982 détermine les limites matérielles à la révision constitutionnelle dans son article 4, intitulé « les dispositions intangibles ».

        Article 4.– La disposition de l'article 1er de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est une république, ainsi que les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2[2] et celles de l'article 3 ne peuvent pas être révisées, ni leur révision proposée[3].

Ainsi selon l'article 4, les dispositions des articles 1 et 3, ainsi que les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2 de la Constitution sont intangibles. Maintenant voyons ces dispositions et les caractéristiques.

        Article premier. L'Etat turc est une République.

Comme nous l'avons vu, c'est une interdiction que l'on rencontre dans les plusieurs constitutions.

Ensuite selon l'article 4, « les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2 » ne peuvent pas être révisées. L'article 2, intitulé « caractéristiques de la République » est ainsi rédigé :

 

        Article 2.– La République de Turquie est un Etat de droit démocratique, laïque et social, respectueux des droits de l'homme,[4] dans un concept[5] de paix sociale, de solidarité nationale et de justice, attaché au nationalisme d'Atatürk et s'appuyant sur les principes fondamentaux exprimés dans le préambule[6].

Dans la doctrine constitutionnelle turque, il y a un débat sur la détermination des caractéristiques de la République précisées dans l'article 2 de la Constitution.

D'abord il convient de donner la liste des principes sur lesquels il y a l'unanimité dans la doctrine constitutionnelle. Ainsi les principes suivants sont les caractéristiques de la République et par conséquent ils bénéficient de la protection de l'article 4.

- l'Etat de droit ;

- l'Etat démocratique ;

- l'Etat laïque ;

- l'Etat social ;

- l'Etat respectueux des droits de l'homme ;

- le nationalisme d'Atatürk ;

- les principes exprimés dans le préambule.

Pourtant les auteurs ne sont pas unanimes sur certains points : la « paix sociale », la « solidarité nationale » et la « justice » font-elle partie des principes intangibles de la Constitution ?

Selon une thèse, la « paix sociale », la « solidarité nationale » et la « justice » ne font pas partie des caractéristiques de la République, par conséquent elles ne bénéficient pas de la protection de l'article 4. En effet, selon l'article 4, « la disposition de l'article 1er de la Constitution... et celles de l'article 3 ne peuvent pas être révisées ». Par contre en ce qui concerne l'article 2, dans l'article 4, l'expression utilisée est la suivante : « les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2 », et non pas celle-ci : « les dispositions de l'article 2 ». Alors on affirme que l'article 4 interdit seulement la révision des « caractéristiques de la République mentionnées dans l'article 2 », et non pas l'ensemble des dispositions de cet article[7].

Ainsi certains auteurs ont tendance à penser que les principes énumérés dans l'article 2 ne sont pas tous des caractéristiques de la République. Par exemple, les principes de l'Etat de droit, de l'Etat démocratique, de l'Etat laïque, de l'Etat social, de l'Etat respectueux des droits de l'homme, et du nationalisme d'Atatürk, ainsi que les principes fondamentaux exprimés dans le préambule peuvent être considérés comme les caractéristiques de la République, par conséquent ils ne peuvent pas être révisées. Par contre, on ne peut pas affirmer la même chose pour le reste de l'article 2, c'est‑à‑dire, pour l'expression « dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice »[8]. En d'autres termes, on pourrait penser que la paix sociale, la solidarité nationale et la justice ne peuvent pas être considérées comme les caractéristiques de la République. Ainsi, certains auteurs interprètent l'expression « dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice » non pas comme une caractéristique de la République, mais comme une définition renforçant les caractéristiques mentionnées dans le reste de cet article. Par conséquent la paix sociale, la solidarité nationale et la justice ne bénéficient pas de la protection de l'article 4[9].

D'autre part, il y a un débat sur l'interprétation de l'expression « dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice ». D'abord rappelons le texte de l'article 2 : « La République de Turquie est un Etat de droit démocratique, laïque et social, respectueux des droits de l'homme, dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice... ». Le professeur Ergun Özbudun se demande si les notions de « paix sociale, de solidarité nationale et de justice » sont des notions encadrant le respect des droits de l'homme, ou bien des principes indépendants. Si l'on accepte la première interprétation, l'accent sur le respect des droits de l'homme serait affaibli. Car, dans ce cas on pourrait en déduire que l'Etat n'a l'obligation de respecter des droits de l'homme que dans le cadre de la paix sociale, de la solidarité nationale et de la justice. Le professeur Özbudun, en constatant que dans le texte de l'article, les expressions « la République de Turquie est un Etat... respectueux des droits de l'homme » et « dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice » sont séparées par une virgule, affirment qu'il faut interpréter les notions de paix sociale, de solidarité nationale et de justice comme des principes indépendants, et non pas comme le cadre du respect des droits de l'homme[10].

Par contre selon le professeur Mümtaz Soysal, il y a ici un problème linguistique résultant de la rédaction du texte de l'article 2. Si l'on enlève la virgule, le respect des droits de l'homme serait encadré par les notions de paix sociale, de solidarité nationale et de justice. Et si on la garde, dans ce cas, la République de Turquie serait un Etat dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice[11].

Erdal Onar, en constatant que l'intitulé de l'article 2 est « les caractéristiques de la République », affirme que l'ensemble des dispositions de l'article 2 entrent dans l'interdiction de révision prévue par l'article 4[12].

Enfin il faut signaler que l'article 2 fait référence aux principes fondamentaux exprimés dans le préambule. Selon cet article, « la République de Turquie est un Etat... s'appuyant sur les principes fondamentaux exprimés dans le préambule ». Ainsi non seulement les principes mentionnés dans l'article 2, mais ceux aussi qui sont exprimés dans le préambule, font partie des limites matérielles à la révision constitutionnelle. C'est pourquoi il convient de voir ces principes. Citons d'abord le texte du préambule.

 

        Préambule.– Alors qu'une guerre civile sanglante, telle qu'on n'en avait pas vu de semblable sous la République, était sur le point d'éclater et menaçait l'Etat de destruction et de division en mettant en cause l'intégrité de la patrie et de la nation turques qui sont éternelles et l'existence sacrée de l'Etat turc ;

        La présente Constitution, qui a été acceptée et approuvée par la Nation turque et établie directement par Elle, et qui est l'oeuvre de ses représentants légitimes que sont l'Assemblée consultative qui l'a préparée, et le Conseil national de Sécurité, qui lui a donné sa forme définitive, à la suite de l'opération du 12 septembre 1980 réalisé par les Forces armées turques à l'appel de la Nation turque avec laquelle elles forment un tout indissociable :

        – Conformément au concept de nationalisme défini par Atatürk et aux principes et aux réformes mise en oeuvre par Lui, fondateur de la République turque, guide immortel et héros incomparable ;

        – Sur la voie de la détermination de la République de Turquie, en tant que membre estimé de la famille des nations du monde et jouissant de droits égaux aux leurs, à perpétuer son existence, à atteindre le bien-être, et le bonheur matériel et spirituel et à s'élever au niveau de la civilisation contemporaine ;

        – Considérant que, vu la suprématie absolue de la volonté nationale, la souveraineté appartient sans condition ni réserve à la notion turque et qu'aucune personne ou institution habilitée à l'exercer au nom de la nation ne peut enfreindre la démocratie libérale spécifiée dans la présente Constitution ni l'ordre juridique défini en fonction de ses exigences ;

        – Considérant que la séparation des pouvoirs n'implique pas un ordre de préséance entre les organes de l'Etat mais consiste en utilisation exclusive par chacun d'eux de pouvoirs étatiques déterminés, comme une forme civilisée de coopération et de division du travail, et que la supériorité appartient à la Constitution et aux lois ;

        – Considérant qu'aucune opinion ou pensée ne peut se voir accorder protection à l'encontre des intérêts nationaux turcs, du principe d'indivisibilité de l'entité turque du point de vue de l'Etat et du territoire, des valeurs historiques et spirituelles inhérentes au peuple turc, ni du nationalisme, des principes, des réformes et du modernisme d'Atatürk, et qu'en vertu du principe de laïcité, les sentiments sacrés de religion ne peuvent en aucun cas être mêlés aux affaires de l'Etat ni à la politique ;

        – Considérant que chaque citoyen turc bénéficie, conformement aux impératifs d'égalité et de justice sociale, des droits et libertés fondamentaux énoncés dans la présente Constitution, et possède dès sa naissance le droit et la faculté de mener une vie décente au sein de la culture nationale, de la civilisation et de l'ordre juridique et de s'épanouir matériellement et spirituellement dans cette voie ;

        – Considérant que l'ensemble des citoyens turcs ont en commun leur sentiment de fierté et de gloire nationales, partagent les joies et peines nationales, les droits et devoirs envers l'entité nationale, les bonheurs et les malheurs, et qu'ils sont associés dans toutes les manifestations de la vie nationale, et ont le droit d'exiger une vie paisible, dans le respect absolu de leurs droits et libertés réciproques et tenant compte des sentiments de fraternité et d'amour sincère dont ils sont animés mutuellement et de leur désir confiant pour la « Paix dans le pays, paix dans le monde »;

        Est livrée et confiée par la nation turque à l'amour pour la patrie et la nation des enfants turcs épris de démocratie,

        En vue d'être comprise conformement à l'esprit, à la foi et à la résolution qui l'animent et interprétée et appliquée en ce sens dans le respect et la loyauté absolue envers sa lettre et son esprit[13].

Puisque l'article 2 fait référence aux « principes fondamentaux exprimés dans le préambule », mais pas au « préambule », on pourrait conclure que seulement les « principes fondamentaux » sont intangibles, et non pas l'ensemble des dispositions du préambule. Pourtant comme le remarquent plusieurs auteurs[14], il est difficile de déterminer quels sont ces principes fondamentaux. Les différents auteurs donnent différentes listes des principes fondamentaux exprimés dans le préambule. Par exemple, la liste dressée par le professeur Özbudun est la suivante :

– la légitimité de l'opération du 12 septembre 1980 ;

– l'attachement aux réformes et aux principes d'Atatürk ;

– le nationalisme d'Atatürk ;

– la résolution de s'élever au niveau de la civilisation contemporaine ;

– la suprématie absolue de la volonté nationale ;

– le principe de la séparation des pouvoirs ;

– le laïcisme ;

– la justice sociale et l'égalité[15].

Par contre le professeur Soysal détermine ces principes comme suit :

– la légitimité de la Constitution ;

– l'attachement au atatürkisme ;

– la protection de l'existence nationale ;

– les droits naturels ;

– la supériorité de la volonté nationale ;

– le laïcisme ;

– la fidélité à la Constitution[16].

Erdal Onar dresse la liste suivante :

– la légitimité de la Constitution ;

– l'atatürkisme ;

– la souveraineté nationale ;

– la protection de l'identité nationale ;

– le laïcisme ;

– l'égalité ;

– la justice sociale ;

– la séparation des pouvoirs[17].

Comme le remarque Erdal Onar lui-même, si l'on prend en considération l'étendue de la signification de ces notions, il n'existerait pas grande différence entre l'interdiction de réviser l'ensemble du texte du préambule et celle de réviser les principes fondamentaux exprimés dans le préambule[18].

Enfin selon l'article 4, « les dispositions de l'article 3 ne peuvent pas être révisées ». L'article 3 est ainsi rédigé :

        Article 3.– L'Etat turc forme avec son territoire et sa nation une entité indivisible. Sa langue est le turc.

        Son emblème, dont la forme est définie par la loi, est un drapeau de couleur rouge sur lequel il y a une étoile et un croissant blancs.

        Son hymne nationale est la « Marche de l'indépendance ».

Sa capitale est Ankara[19].

Ainsi les principes suivants sont intangibles :

– l'indivisibilité de l'Etat turc du point de vue de son territoire et de sa nation ;

– la langue officielle (le turc) ;

– le drapeau ;

– l'hymne national ;

– la capitale.

Comme on le voit, les limites matérielles à la révision constitutionnelle dans la Constitution turque de 1982 sont extrêmement nombreuses. On compte en effet quinze limites dans les articles 1, 2 et 3. D'ailleurs, en vertu de la référence au préambule par l'article 2, les principes fondamentaux exprimés dans le préambule sont eux aussi intangibles. Mais comme on vient de l'expliquer, il est difficile de donner une liste exacte de ces principes fondamentaux. Pourtant comme le montrent trois listes dressées par trois auteurs différents, que nous avons citées plus haut, on peut énumérer huit principes au moins comme étant des principes fondamentaux exprimés dans le préambule. Ainsi nous obtenons au moins vingt-quatre limites matérielles inscrites dans le texte de la Constitution turque de 1982[20].

Comme nous avons déterminé l'étendue de l'interdiction de réviser le forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française, il faudrait aussi déterminer ici le contenu de ces principes intangibles énumérés dans les articles 1, 2 et 3 de la Constitution turque de 1982. Et si on se souvient que même la définition de la « république » a nécessité un long développement, on peut affirmer qu'il faudra un long travail pour déterminer le contenu de ces principes; car d'une part, ils sont très nombreux (au moins vingt‑quatre), et d'autre part, certains d'entre eux (le laïcisme, le nationalisme d'Atatürk, la justice sociale) sont difficiles à cerner. C'est pourquoi, nous ne sommes pas tentés ici de faire un tel travail. Signalons simplement que la définition de ces principes peut poser de grands problèmes, si la Cour constitutionnelle turque se déclare compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces principes intangibles, comme elle l'a fait sous la Constitution de 1961. D'ailleurs, dans la deuxième partie, lorsque nous examinerons la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, nous verrons la définition de quelques uns de ces principes, comme celui d'Etat de droit[21].

§ 2. Les limites temporelles

Comme on vient de le dire, dans la Constitution turque de 1982, il y a au moins vingt-quatre limites matérielles à la révision constitutionnelle. Par contre la Constitution de 1982 ne prévoit aucune limite de temps à sa révision. Il en était de même pour les anciennes Constitutions turques.

§ 3. Les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle

La procédure de révision constitutionnelle est déterminée par l'article 175 de la Constitution de 1982.

        Article 175.– La révision de la Constitution peut être proposée par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie, et ce par écrit. Les propositions concernant la révision de la Constitution sont délibérées deux fois dans l'Assemblée plénière. La proposition de révision ne peut être adoptée que par le vote secret de la majorité des trois cinquièmes du nombre total des membres de l'Assemblée.

        En dehors des conditions énoncées dans cet article, la délibération et l'adoption des propositions concernant la révision de la Constitution se déroulent conformement aux dispositions qui régissent la délibération et l'adoption des lois.

        Le président de la République peut renvoyer les lois de révision de la Constitution à la Grande Assemblée nationale de Turquie en vue d'une nouvelle délibération. Si l'Assemblée adopte la même loi renvoyée à la majorité des deux tiers du nombre totale de ses membres, le président de la République peut soumettre cette loi à référendum.

        Si la loi concernant la révision de la Constitution qui est adoptée par la majorité des trois cinquièmes ou le moins des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée n'est pas renvoyée à l'Assemblée par le président de la République, elle est publiée au Journal officiel en vue de sa soumission à référendum.

        Le président de la République peut soumettre à référendum la loi concernant la révision de la Constitution, ou les articles qu'il juge nécessaire de cette loi, qui est adoptée directement ou sur le renvoi du président de la République à la majorité des deux tiers. La loi ou les articles de la loi qui ne sont pas soumis à référendum sont publiés au Journal officiel.

        Pour la mise en vigueur des lois de révision constitutionnelle, la majorité absolue des voix valablement exprimés dans le référendum doit être le vote d'acceptation.

        Lors de l'adoption des lois de révision constitutionnelle, au cas où cette loi sera soumise à référendum, la Grande Assemblée nationale de Turquie détermine les dispositions qui seront votées ensembles et celles qui seront votées séparément parmi les dispositions révisées de la Constitution[22].

On peut distinguer les phases suivantes dans la procédure de révision constitutionnelle.

A. La proposition

Selon l'alinéa 1 de l'article 175, « la révision de la Constitution peut être proposée par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie ». Ainsi la Constitution de 1982, conformement à la tradition établie par la première Constitution républicaine de 1924 et suivie par celle de 1961, accorde le pouvoir de proposer la révision de la Constitution exclusivement aux parlementaires ; le gouvernement n'a pas de pouvoir d'initiative en matière de révision constitutionnelle.

D'ailleurs la proposition de révision de la Constitution est soumise à des conditions particulières. Elle doit être signée par un tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Comme la forme, elle doit être écrite (art.175, al.1).

B. La délibération

Selon l'alinéa 2 de l'article 175 de la Constitution, « en dehors des conditions énoncées dans cet article, la délibération... des propositions concernant la révision de la Constitution se déroulent conformement aux dispositions qui régissent la délibération et l'adoption des lois ». Pourtant la Constitution prévoit une condition de forme pour la délibération : « les propositions concernant la révision de la Constitution sont délibérées deux fois dans l'Assemblée plénière » (art.175, al.1). D'autre part, le Règlement intérieur de l'Assemblée nationale prévoit quarante-huit heures au moins entre les deux délibérations successives, dans le but d'éviter des révisions trop brusques[23].

C. L'adoption

L'article 175 de la Constitution de 1982, avant sa révision en 1987, comme les Constitutions de 1924 et de 1961, prévoyait l'adoption des lois de révision constitutionnelle par une majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. La loi n° 3361 du 17 mai 1987 a prévu une procédure d'adoption assez complexe.

Tout d'abord notons que la première nouveauté de cette loi est qu'elle exige le vote secret pour l'adoption de la proposition de révision.

Deuxièmement cette loi prévoit, non pas une seule majorité, mais deux majorités alternatives pour l'adoption de la proposition : les trois cinquièmes (art.175, al.1), ou les deux tiers (art.175, al.3) du nombre total des membres de l'Assemblée nationale.

D. La ratification

La Constitution partage le droit de ratification entre le président de la République et le peuple. Les voies de la ratification changent selon que la proposition de révision constitutionnelle est adoptée par une majorité des trois cinquièmes ou par une majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale.

Présenté sous la forme d'un schéma, la procédure de ratification est la suivant :

 

 

 

 

 

 

 



 

                                                    Proposition 1/3


                                                            Adoption

 

   3/5 Majorité 2/3                                                            Majorité 2/3

 

 Président de la République                                    Président de la République

 

Référendum       Renvoi                           Ratification          Référendum        Renvoi  

 

                 Adoption 2/3                                                                        Adoption 2/3

 

        Président de la République                                                     Président de la République

 

  Référendum                           Ratification                                              Référendum          Ratification
    

 

I. Si la proposition de la révision constitutionnelle est adoptée par une majorité des trois cinquièmes ou plus mais moins des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, le président de la République peut renvoyer cette loi à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération.

A. Si le président de la République ne renvoie pas la loi à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération, la loi est soumise obligatoirement à référendum. En d'autres termes, la Constitution ne donne pas au président de la République le pouvoir de ratifier une loi constitutionnelle adoptée seulement par une majorité des trois cinquièmes ou plus mais moins des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Au cas où le président de la République ne demande pas une nouvelle délibération, le référendum est obligatoire.

B. Si le président de la République renvoie cette loi à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération, l'Assemblée nationale ne peut adopter la même loi qu'à la majorité des deux tiers de ses membres.

1. Si la loi renvoyée n'est pas adoptée en seconde délibération dans sa version initiale par une majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, elle est censée être rejeter. Comme on le voit, le renvoi de la loi par le président de la République à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération peut être analysé comme un droit de veto accordé au président de la République en matière de révision constitutionnelle. De plus, il y a ci non seulement un droit de veto suspensif, mais encore un vrai droit de veto présidentiel. En d'autres termes, le président de la République peut, non seulement retarder, mais aussi empêcher la promulgation de la loi constitutionnelle en demandant à l'Assemblée nationale de procéder à une nouvelle délibération. Car dans ce cas, l'Assemblée nationale ne peut lever le veto du président de la République qu'en adoptant la même loi par une majorité plus élevée, c'est‑à‑dire par les deux tiers de ses membres. Par conséquent, le veto présidentiel rend plus difficile l'adoption de la loi constitutionnelle. Ainsi, s'il n'existe pas de majorité des deux tiers à l'Assemblée nationale en faveur de la proposition de la révision constitutionnelle, le président de la République peut empêcher la révision constitutionnelle par son veto.

2. Si la loi renvoyée est adoptée à l'Assemblée nationale en seconde délibération dans sa version initiale par une majorité des deux tiers du nombre total de ses membres, le président de la République a le choix entre la ratification et le référendum : il peut ratifier la loi constitutionnelle ou la soumettre à référendum.

a. Dans le premier cas, le président de la République promulgue la loi constitutionnelle dans un délai de quinze jours maximum à partir de la transmission de la loi à la présidence de la République (art.89, al.1 en vertu de l'article 175, al.2)[24].

b. Dans le second cas, il y a référendum à l'initiative du président de la République.

Selon l'alinéa 5 de l'article 175, le président de la République n'est pas obligé de ratifier ou de soumettre au référendum la loi de révision constitutionnelle en bloc. Il peut ratifier certains articles de la loi et soumettre les autres articles à référendum. La loi ou les articles de la loi qui ne sont pas soumis à référendum sont publiés au Journal officiel.

II. Si la proposition de révision constitutionnelle est adoptée par une majorité des deux tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, le président de la République a le choix entre la ratification, le renvoi et le référendum : il peut ratifier la loi, la soumettre à référendum ou la renvoyer à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération.

A. Le président de la République peut ratifier la loi de révision constitutionnelle. Dans ce cas, la loi est publiée au Journal officiel et entre en vigueur.

B. Le président de la République peut également soumettre la loi de révision constitutionnelle à référendum. Il s'agit d'un référendum facultatif. Il dépend de l'initiative du président de la République.

C. Le président de la République peut enfin renvoyer la loi de révision constitutionnelle à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération. Dans ce cas, l'Assemblée nationale peut adopter la même loi par la même majorité, c'est‑à‑dire les deux tiers du nombre total de ses membres. Comme on le voit, dans cette hypothèse la demande d'une nouvelle délibération du président de la République s'analyse comme un droit de veto suspensif accordé au président de la République en matière de révision constitutionnelle. Le président de la République peut retarder, mais non pas empêcher l'adoption de la loi de révision constitutionnelle. Car pour l'adoption de la loi de révision constitutionnelle en seconde délibération, la Constitution n'exige pas une majorité plus élevée que celle de la première délibération. L'Assemblée nationale peut adopter la même loi constitutionnelle à nouveau par la même majorité, c'est‑à‑dire par les deux tiers de ses membres.

Ainsi si l'Assemblée nationale adopte la même loi constitutionnelle à nouveau par la même majorité, c'est‑à‑dire par les deux tiers de ses membres, le président de la République a encore le choix entre la ratification et le référendum.

1. Le président de la République peut ratifier la loi de révision constitutionnelle. Dans ce cas, il promulgue la loi constitutionnelle dans un délai de quinze jours maximum à partir de la transmission de la loi à la présidence de la République (art.89, al.1 en vertu de l'article 175, al.2). La loi est publiée au Journal officiel et entre en vigueur.

2. Le président de la République peut également soumettre la loi de révision constitutionnelle à référendum. Il s'agit d'un référendum facultatif. Il dépend de l'initiative du président de la République.

Comme on le voit, on recourt à référendum dans trois cas : le premier est obligatoire, les deux derniers sont facultatifs.

Si la loi de révision constitutionnelle est adoptée par une majorité des trois cinquièmes ou plus mais moins des deux tiers à l'Assemblée nationale et si le président de la République ne la renvoie pas à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération, il doit la soumettre à référendum. Il n'a pas de droit de la ratifier. Il s'agit donc d'un référendum obligatoire. Deuxièmement, si le président de la République la renvoie à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération et si l'Assemblée nationale adopte la même loi en seconde délibération par la majorité des deux tiers, le président de la République a le choix entre la ratification et le référendum : il peut ratifier la loi ou bien il peut la soumettre à référendum. Il s'agit donc d'un référendum facultatif.

Troisièmement si la loi de révision constitutionnelle est adoptée directement par la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, le président de la République a le choix également entre la ratification et le référendum : il peut ratifier la loi ou bien la soumettre à référendum. Dans ce cas aussi il s'agit d'un référendum facultatif.

Il faut signaler que selon l'alinéa 5 de l'article 175, si la loi de révision constitutionnelle est adoptée, soit directement, soit sur le renvoi du président de la République, par la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, le président de la République n'est pas obligé de la ratifier ou de la soumettre à référendum en bloc. Il peut ratifier certains articles de la loi constitutionnelle et soumettre les autres à référendum. Dans ce cas, les articles qui ne sont pas soumis à référendum sont ratifiés par le président de la République et publiés au Journal officiel, et ils entrent ainsi en vigueur.

D'ailleurs selon l'alinéa 7 de l'article 175, « lors de l'adoption des lois de révision constitutionnelle, au cas où cette loi sera soumise à référendum, la Grande Assemblée nationale de Turquie détermine les dispositions qui seront votées ensembles et celles qui seront votées séparément parmi les dispositions révisées de la Constitution ». Par conséquent dans le cas où l'Assemblée nationale décide que les dispositions de la loi de révision constitutionnelle seront votées séparément, il est possible qu'à la suite du référendum, certaines dispositions de la loi de révision constitutionnelle soient approuvées et que d'autres soient rejetées. Ainsi la Constitution donne aux électeurs la possibilité d'approuver seulement les dispositions qu'ils apprécient et de rejeter les dispositions qui ne leur plaisent pas[25]. Il est évident que si le président de la République soumet seulement certaines dispositions de la loi de révision constitutionnelle à référendum, la décision de l'Assemblée nationale n'est valable que pour les dispositions soumises à référendum.

Enfin il convient de préciser brièvement la procédure du référendum.

Le président de la République doit d'abord effectuer son choix entre la ratification[26], le renvoi et le référendum dans un délai de quinze jours maximum à partir de la transmission de la loi à la présidence de la République (art.89, al.1 en vertu de l'article 175, al.2). Ainsi contrairement au président de la République française, le président de la République turque n'a pas de possibilité de suspendre la procédure de révision constitutionnelle. Si le président de la République décide de soumettre à référendum la loi de révision constitutionnelle, il la publie au Journal officiel dans le même délai de limite.

Selon l'article 2 de la loi du 23 mai 1987, « le référendum sur la révision constitutionnelle a lieu le premier dimanche qui suit le 120e jour après la publication de la loi concernant la révision constitutionnelle »[27].

Avec la loi constitutionnelle n° 3361 du 17 mai 1987, la participation à référendum est devenue obligatoire. En effet le dernier alinéa de l'article 175[28], « la loi prend toutes les mesures nécessaires, y compris les amendes, pour assurer la participation au référendum... »[29].

Selon l'article 79 de la Constitution, le référendum se déroule sous l'administration et le contrôle du Conseil électoral supérieur[30].

Les résultats du référendum sont proclamés par le Conseil électoral supérieur (art.79). Pour entrer en vigueur, la loi de révision constitutionnelle soumise à référendum doit réunir en sa faveur la majorité absolue des votes valablement exprimés (art.175, al.6). Ainsi quelque soit le taux de participation à référendum, si le nombre des votes « oui » dépasse celui des « non », la loi de révision constitutionnelle est censée être approuver.

Jusqu'à maintenant il y a eu deux applications du référendum en matière de révision constitutionnelle. Dans le premier, qui a été organisé le 6 septembre 1987, la loi concernant la révision de l'article transitoire 4 de la Constitution a été approuvée par 50,16 % des votes exprimés (taux de participation : 93,58 %)[31]; par contre dans le second référendum, qui a été organisé le 25 septembre 1988, la loi concernant la révision de l'article 127 de la Constitution a été rejetée par 65 % des votes exprimés (taux de participation : 88,82 %)[32].


 

[1]. Loi n° 2709 du 7 novembre 1982, Türkiye Cumhuriyeti Resmi Gazetesi [Journal officiel de la République turque], n°17863 du 9 novembre 1982. Pour sa traduction en français voir : Constitution de la République turque de 1982, Traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information, Ankara, 1982, 129 p. Nos citations sont tirées de cette traduction. Lorsque nous nous en écartons, nous le précisons en bas de page.

[2]. Nous nous écartons ici de la traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information (« ...ainsi que les dispositions de l'article 2 relatives aux caractéristiques de la République... »), pour adopter une lecture littérale (« ...ainsi que les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2... [...2'nci maddesindeki Cumhuriyetin nitelikleri... ] »).

[3]. La traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information, op. cit., p.7.

[4]. Signalons qu'il y a une virgule entre les expressions « ...droits de l'homme » et « dans un concept... ». Cette virgule est omise dans la traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information. Voir op. cit., p.6).

[5]. Nous nous écartons ici également de la traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information (« ...dans un esprit de... »), pour adopter une lecture littérale (« ...dans un concept de... [... anlayisi içinde... ] »).

[6]. La traduction établie par la Direction générale turque de la presse, op. cit., p.6.

[7]. Yildizhan Yayla, « 1982 Anayasasina Göre Devletin Özü [L'essence de l'Etat selon la Constitution de 1982] », Idare Hukuku ve Ilimleri Dergisi [Revue du droit et des sciences administratives], 1983, n° 1-3, p.38.

[8]. Erdal Onar, 1982 Anayasasinda Anayasayi Degistirme Sorunu [Question de révision constitutionnelle sous la Constitution de 1982], Ankara, 1993, p.13.

[9]Ibid., p.14.

[10]. Ergun Özbudun, Türk Anayasa Hukuku [Le droit constitutionnel turc], Ankara, Yetkin Yayinlari, 1986, p.80.

[11]. Mümtaz Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], Istanbul, Gerçek Yayinevi, 1990, s.397-398. Le même problème est souligné encore par Taha Parla, Türkiye'de Anayasalar [Les Constitutions en Turquie], Istanbul, 1991, p.33, ainsi que par Onar, op. cit., p.14.

[12]. Onar, op. cit., p.15.

[13]. La traduction établie par la Direction générale turque de la presse, op. cit., p.3-5.

[14]. Par exemple Soysal, op. cit., p.172 ; Özbudun, op. cit., p.59-60 ; Onar, op. cit., p.16.

[15]. Özbudun, op. cit., p.59-60.

[16]. Soysal, op. cit., p.172-175.

[17]. Onar, op. cit., p.16.

[18]Ibid.

[19]. La traduction établie par la Direction générale turque de la presse, op. cit., p.6.

[20]. Rappelons que l'article 288 de la Constitution portugaise de 1976 prévoit au moins dix-huit limites matérielles dans quatorze alinéas. Ce chapitre, Section 1, § 1.

[21]. Voir infra, Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 2.

[22]. La nouvelle version de l'article 175 adoptée par la loi constitution n° 3361 du 17 mai 1987 (Ma traduction).

[23]. Özbudun, op. cit., 3e éd., p.125.

[24]. Onar, op. cit., p.129.

[25]. Onar, op. cit., p.124.

[26]. Rappelons toutefois que le président de la République ne peut ratifier une loi constitutionnelle que si la majorité des deux tiers est acquise.

[27]. La loi n° 3376 du 23 mai 1987 (La loi sur le référendum constitutionnelle).

[28]. Ajouté par la loi n° 3361 du 17 mai 1987.

[29]. Signalons que selon l'article 67 de la Constitution, « les citoyens ont le droit... de participer aux référendums ». Autrement dit, l'article 67 a réglementé la participation aux référendums comme un « droit ». Par conséquent le dernier alinéa de l'article 175 est en contradiction avec l'article 67. On peut résoudre cette contradiction par la règle lex posterior derogat priori et par lex specialis derogat generali en faveur du dernier alinéa de l'article 175. Cette disposition est vivement critiquée par la doctrine. Voir par exemple, Soysal, op. cit., p.277, Onar, op. cit., p.119-124 ; Erdogan Teziç, Anayasa Hukuku [Droit constitutionnel], Istanbul, Beta, 1991, p.249.

[30]. Le Conseil électoral supérieur (Yüksek Seçim Kurulu) « se compose de sept membres titulaires et de quatre membres suppléantes. Six d'entre eux sont élus par l'Assemblée générale de la Cour de Cassation et cinq par l'Assemblée générale du Conseil d'Etat parmi leurs propres membres... » (art. 79).

[31]. Pour les résultats officiels, voir Resmi Gazete [Journal officiel], n° 19572 du 12 septembre 1987.

[32]. Pour les résultats officiels, voir Resmi Gazete [Journal officiel], n° 19946 du 1 octobre 1988.

 


(c) Kemal Gözler, 1995 (These), 1997 (Livre), 2004 (Internet Version). Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le present ouvrage sans autorisation da l'auteur. Cependant vous pouvez imprimer une copie en papier de ce livre, pour votre usage strictement personnel et non commercial. Vous pouvez également enregistrer ce livre sur votre PC pour le lire offline plus tard.

 

Cet ouvrage peut être citée sous les formes suivantes:

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 Volumes, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

ou

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).


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