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Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774 pages.

 


Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p.


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Conclusion générale

 

 

Le pouvoir constituant est le pouvoir de faire la constitution. Les pouvoirs constitués sont les pouvoirs créés par cette constitution.

On distingue en général deux types de pouvoir constituant : le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé. Cependant, il n'y a pas d'unanimité dans la doctrine constitutionnelle sur le critère de cette distinction. Certains auteurs proposent un critère formel, d'autres un critère matériel. Nous avons constaté que c'est le critère formel défendu par Carré de Malberg, Georges Burdeau (dans sa thèse de doctorat) et Roger Bonnard qui est consacré par le droit positif français et que le critère matériel défendu par Carl Schmitt et Olivier Beaud a été catégoriquement démenti par la pratique et la jurisprudence constitutionnelle française.

Et selon le critère formel, le pouvoir constituant originaire se définit comme le pouvoir d'établir une constitution en dehors du cadre constitutionnel et le pouvoir constituant dérivé comme le pouvoir de réviser une constitution déjà en vigueur suivant les règles fixées par celle-ci à cet effet. Suivant le critère formel, nous avons redéfini le pouvoir constituant originaire comme le pouvoir d'édicter une norme ou des normes constitutionnelles en dehors du cadre constitutionnel et le pouvoir constituant dérivé comme le pouvoir d'édicter une norme ou des normes constitutionnelles suivant les règles prévues par la constitution à cet effet. Le premier est un pouvoir de fait, par conséquent son titulaire et ses formes se déterminent par les circonstances de force ; alors que le second est un pouvoir juridique, par conséquent son titulaire et ses formes sont déterminés par la constitution. Pour écarter toute confusion avec le pouvoir constituant originaire, le pouvoir constituant dérivé est appelé dans notre travail le « pouvoir de révision constitutionnelle », alors que l'appellation du « pouvoir constituant originaire » est maintenue.

En ce qui concerne la situation du pouvoir de révision constitutionnelle vis-à-vis du pouvoir constituant originaire, on peut conclure que ce pouvoir, du point de vue de son organisation, et de sa source, est inférieur au pouvoir constituant originaire, car il en dérive. Mais du point de vue de sa fonction, le pouvoir de révision constitutionnelle est l'équivalent du pouvoir constituant originaire, car il peut réviser la constitution qui est établie par le pouvoir constituant originaire. Ainsi le pouvoir constituant originaire et le pouvoir de révision constitutionnelle diffèrent par leur organisation, par leur source, mais s'unifient par leur fonction. Par conséquent il faut les examiner séparément lorsqu'il s'agit de leur organisation, mais ensemble lorsqu'il s'agit de leur fonction. En d'autres termes, il existe un organe constituant originaire et un organe de révision constitutionnelle, mais il n'y a qu'une fonction constituante.

Quant à la situation du pouvoir de révision constitutionnelle à l'égard des autres pouvoirs constitués, on peut affirmer que le pouvoir de révision constitutionnelle, du point de vue de son organisation, est l'équivalent d'autres pouvoirs constitués ; car, lui aussi, il est un pouvoir « constitué » comme les autres. Mais du point de vue de sa fonction, le pouvoir de révision constitutionnelle est supérieur à d'autres pouvoirs constitués ; car les règles posées par lui occupent un rang supérieur à celles posées par les autres pouvoirs constitués.

A propos de la question de la permanence du pouvoir constituant originaire, nous rejetons la thèse de la disparition du pouvoir constituant originaire ainsi que celle de la transformation de ce pouvoir en pouvoir constituant institué. A notre avis, le pouvoir constituant originaire, après avoir fait une nouvelle constitution, se retire de l'exercice pour une certaine durée, mais il ne disparaît pas éternellement. Ceci car il a toujours la possibilité de se remettre en exercice, de réapparaître, de resurgir. Pour cela il lui suffit d'abroger ou de déconstitutionnaliser la constitution en vigueur par la voie révolutionnaire.

Bref, pour nous, le pouvoir constituant originaire subsiste à côté du pouvoir de révision constitutionnelle. Ainsi, nous acceptons la coexistence du pouvoir constituant originaire et du pouvoir de révision constitutionnelle. Mais la coexistence ne signifie pas le « co‑exercice » de ces deux pouvoirs ; parce que ces deux pouvoirs ne peuvent pas logiquement être en exercice en même temps. En effet, l'exercice du pouvoir constituant originaire implique par définition même l'abrogation de la constitution, c'est-à-dire l'anéantissement du pouvoir de révision constitutionnelle en place. En d'autres termes lorsque le pouvoir constituant originaire se met en exercice, le pouvoir de révision constitutionnelle disparaît. C'est-à-dire que l'existence du pouvoir de révision constitutionnelle dépend du « non-exercice » du pouvoir constituant originaire. Mais l'inverse n'est pas valable. Le pouvoir constituant originaire peut se mettre en exercice quand il veut, comme il le veut.

A notre avis, il faut examiner séparément le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire et du pouvoir de révision constitutionnelle, parce qu'ils diffèrent par leur organisation, même s'ils exercent la même fonction.

Le pouvoir constituant originaire est un pouvoir illimité, car c'est un pouvoir de fait, et il s'exerce en dehors de toute constitution. Par conséquent il n'existe aucune règle ni constitutionnelle, ni supraconstitutionnelle s'imposant à l'exercice de ce pouvoir.

Par contre, le pouvoir de révision constitutionnelle est un pouvoir limité. Le caractère limité de ce pouvoir découle de la distinction même du pouvoir constituant originaire et du pouvoir de révision constitutionnelle. Le premier est un pouvoir souverain et initial, tandis que le second est un pouvoir créé par le premier. En d'autres termes, il est tout à fait normal que le pouvoir de révision constitutionnelle, étant un pouvoir créé par le pouvoir constituant originaire, soit limité par la volonté de celui-ci. Par conséquent, le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut s'exercer que dans le cadre déterminé par le pouvoir constituant originaire dans la constitution.

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Après avoir montré que le pouvoir de révision constitutionnelle est susceptible d'être limité, il faut étudier la question de savoir quelles sont les limites qui s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

D'abord, si l'on regarde les textes constitutionnels, on découvre tout de suite que les constitutions elles-mêmes prévoient des limites à leur révision ; c'est-à-dire qu'il y a des limites à la révision constitutionnelle qui figurent expressément dans les textes constitutionnels.

Ces limites se divisent essentiellement en trois groupes : les limites de forme, les limites de temps et les limites de fond.

Les limites de forme ou en termes plus corrects, les conditions de forme, consistent en des dispositions de la constitution qui déterminent la procédure suivant laquelle l'organe de révision constitutionnelle peut adopter une loi de révision constitutionnelle.

Egalement, certaines constitutions ne se contentent pas d'organiser un organe de révision constitutionnelle et de déterminer les conditions de forme et de procédure pour l'exercice de cet organe, mais elles fixent aussi des limites de fond et des limites de temps à l'exercice de pouvoir. Les limites de fond consistent en des dispositions intangibles de la constitution. Quant aux limites de temps, elles apparaissent de deux façons : la constitution interdit sa révision avant l'écoulement d'un certain délai à partir de sa mise en vigueur, ou bien elle exclut sa révision dans certaines circonstances.

Par exemple, la Constitution française de 1958 prévoit une limite de fond à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle : l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement (art.89, al.5). La même Constitution prévoit deux limites de temps : l'interdiction de réviser la Constitution lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire (art.89, al.4) et celle de réviser la Constitution pendant l'intérim de la présidence de la République ( art.7 in fine). Par contre dans la Constitution turque de 1982, les limites de fond à la révision constitutionnelle sont extrêmement nombreuses, alors que les limites de fond dans cette Constitution n'existent pas.

En ce qui concerne les limites de fond à la révision constitutionnelle, la vraie question est celle de la détermination de leur étendue. Par exemple, que protège l'alinéa 5 de l'article 89 ? En d'autres termes, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat protège-t-elle également la forme démocratique et unitaire de la République française ?

A notre avis il faut interpréter restrictivement l'interdiction prévue par l'article 89, alinéa 5, car, elle constitue une exception à la règle générale qui est la révisabilité de toutes les dispositions de la Constitution, et selon une règle d'interprétation les dispositions d'exception sont soumises à une interprétation restrictive. Et selon une telle interprétation, l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit que la restauration d'une monarchie, c'est‑à‑dire, une forme de gouvernement dans lequel la fonction du chef de l'Etat est héréditaire. Alors l'alinéa 5 de l'article 89 ne protège pas le caractère démocratique de cette République. De même cet alinéa ne protège pas non plus la forme unitaire de la République française. D'ailleurs, si le constituant de 1958 avait voulu protéger non seulement la forme républicaine, mais aussi le caractère démocratique et unitaire de la République, il aurait pu les prévoir expressément.

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Après avoir montré que les constitutions prévoient des limites à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle, il convient de discuter de la question de savoir si ces limites à la révision constitutionnelle sont valables. Car, il y a un débat classique autour de la valeur juridique des ces limites.

Dans la doctrine classique du droit constitutionnel, on a invoqué plusieurs arguments en faveur de la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique. La plupart de ces argu­ments sont facilement réfutables ou réversibles. Mais parmi eux, il y a deux arguments qui restent pertinents, tout au moins difficilement réfutables : celui selon lequel le pouvoir de révision constitutionnelle peut surmonter ces limites par les révisions successives et celui de l'absence de sanction en cas de leur transgression.

En effet si la constitution n'interdit pas la révision de la norme qui prévoit une intangibilité par une règle auto-référentielle (par ex. « Cet article est lui-même exclu de toute révision ») le pouvoir de révision constitutionnelle a toujours la possibilité de surmonter cette intangibilité en deux temps : en abrogeant d'abord la norme interdisant la modification, et puis, en révisant la norme dont la révision est interdite. Mais ceci ne signifie pas que les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont dénuées de toute valeur juridique. En d'autres termes, il est vrai que les limites à la révision constitutionnelle n'ont pas de valeur juridique absolue, mais elles ont tout de même une valeur juridique relative : tant qu'elles ne sont pas abrogées par une révision préalable, elles s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

L'argument de l'absence de sanction est aussi difficilement réfutable. Car, selon notre conception, pour que les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle soient valables, elles doivent être grosso modo efficaces. Une disposition qui n'a jamais été appliquée perd sa validité juridique, tombe en désuétude. C'est-à-dire que l'efficacité et par conséquent la validité de ces limites dépendent en dernière analyse de leur application par les tribunaux. Dans notre cas, ceci implique l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors, seulement dans les systèmes où il existe un tel contrôle, les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées, et par conséquent valables. Bref, l'argument de l'absence de sanction s'effondre dans les pays où il y a un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

D'ailleurs, notons que cet argument n'a aucun sens du point de vue du juge constitutionnel. En effet, la décision du juge constitutionnel signifie l'application de la sanction ; et le juge constitutionnel doit savoir si ces limites sont valables ou non avant de prendre sa décision. Par conséquent, le juge doit apprécier la validité des limites à la révision constitutionnelle sans avoir fait référence à cet argument. Alors l'argument de l'absence de sanction ne peut pas être invoqué devant le juge constitutionnel.

Le but principal de notre étude est de savoir si le juge constitutionnel peut contrôler ou non la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions de la constitution qui leur imposent des limites. C'est pourquoi nous laissons de côté l'argument de l'absence de sanction, lorsqu'il s'agit d'apprécier la validité des limites à la révision constitutionnelle du point de vue du juge constitutionnel

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A notre avis, concernant la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle, il faut poser cette question en terme de « force obligatoire » au lieu de « valeur juridique ». Car, la « valeur juridique », étant un terme vague, comporte plusieurs sens ; tandis que celui de « force obligatoire » a un sens plus ou moins défini. De plus, ce que l'on cherche sous la question de la valeur juridique de ces limites, c'est de savoir si elles obligent juridiquement leur destinataire, c'est-à-dire le pouvoir de révision constitutionnelle.

De même, si l'on pose le problème en ces termes, la question de la force obligatoire des limites à la révision constitutionnelle se transforme en celle de « validité juridique » de ces limites. Car, dans la conception que nous avons adoptée, il y a une équation entre la validité juridique et la force obligatoire d'une norme. En d'autres termes, dire que « cette limite à la révision constitutionnelle est valable », cela revient au même que de dire que « cette limite est obligatoire ». Par conséquent, la force obligatoire des limites à la révision constitutionnelle dépend de leur validité juridique. Alors, dans ce cas, au lieu d'examiner le bien-fondé des thèses classiques sur la valeur juridique de ces limites, il suffit de montrer simplement leur validité juridique. Car si elles sont valables, elles seront nécessairement obligatoires.

Il faut répondre alors à la question de savoir quelles sont les conditions que doit remplir une limite à la révision constitutionnelle pour être valable.

A notre avis, pour être valable, une limite à la révision constitutionnelle doit remplir trois conditions préliminaires, une condition per quam et deux conditions sine qua non.

La première condition préalable de la validité juridique d'une limite à la révision constitutionnelle est celle de son existence matérielle. Car, pour qu'une limite soit valable, elle doit tout d'abord matériellement exister. L'existence matérielle de cette limite étant établie, se pose ensuite une deuxième condition : celle de sa normativité. Pour être valable, ces limites doivent être de nature de norme. Mais les normes qui existent ne sont pas seulement des normes juridiques, il y a aussi des normes sociales, morales, religieuses, etc. Alors une limite à la révision constitutionnelle doit être une norme, mais à son tour cette norme doit être d'ordre juridique. Ainsi se pose la troisième question : celle de la juridicité d'une limite à la révision constitutionnelle. On peut alors conclure que, pour que les limites à la révision constitutionnelle soient valables, premièrement elles doivent matériellement exister, deuxièmement elles doivent avoir le caractère normatif, troisièmement elles doivent être d'ordre juridique.

Les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels remplissent ces trois conditions préliminaires. D'abord, ces limites sont matériellement existantes, car elles se trouvent dans un document, c'est-à-dire dans le texte de la constitution. Deuxièmement, ces limites ont le caractère normatif, car le document dans lequel elles se trouvent a une signification de norme ; autrement dit, il pose un Sollen, c'est-à-dire, dans notre cas, un ordre, une prescription, à savoir de ne pas réviser la constitution sur tel ou tel point, ou pendant un certain délai. Troisièmement, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels sont d'ordre juridique. Car, en tant que dispositions de la constitution, elles font partie d'un ordre normatif. Et l'ordre normatif auquel appartient la constitution est juridique, parce que, cet ordre, pris dans son ensemble, est sanctionné. Alors il faut conclure que, ayant l'existence matérielle et le caractère de norme, et étant d'ordre juridique, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels remplissent toutes les conditions préliminaires pour être valables, par conséquent obligatoires.

La condition per quam de la validité juridique d'une limite à la révision constitutionnelle est sa validité formelle, c'est‑à‑dire son appartenance à un ordre juridique donné. Une limite qui n'appartient pas à un ordre juridique donné, c'est‑à‑dire, qui n'a pas été produite conformément à une norme supérieure et en dernière analyse, à la norme fondamentale, ne peut pas être considérée comme une norme juridique valable. Les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel remplissent la condition per quam, c'est‑à‑dire l'appartenance à un ordre juridique. Car, ces limites sont dans la forme des dispositions constitutionnelles. Et en tant que dispositions de la constitution, elles appartiennent à l'ordre juridique dont fait partie la constitution.

Il y a également deux conditions sine qua non de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle. Il faut souligner que ces deux conditions sont exigées, non pas pour qu'une limite à la révision constitutionnelle soit valable, mais pour qu'une limite déjà valable ne perde pas sa validité juridique.

La première condition sine qua non de la validité juridique d'une limite à la révision constitutionnelle est l'efficacité de l'ordre juridique auquel appartient cette limite. En d'autres termes, pour qu'une limite déjà valable ne perde pas sa validité, il faut que l'ordre juridique auquel appartient cette limite soit efficace. Car, si l'ordre juridique global perd son efficacité, toutes les normes appartenant à cet ordre perdent aussi leur validité.

La deuxième condition sine qua non de la validité juridique d'une limite à la révision constitutionnelle est le minimum d'efficacité de cette limite elle-même. En d'autres termes, pour qu'une limite à la révision constitutionnelle qui remplit la condition per quam ne perde pas sa validité, elle doit avoir elle-même un minimum d'efficacité. Une limite à la révision constitutionnelle inscrite dans le texte constitutionnel qui est tombée en désuétude perd sa validité juridique. Même si une limite prise isolément ne perd pas sa validité par le fait qu'elle n'est pas obéie ou appliquée seulement dans un certain nombre de cas où elle devait l'être, on ne peut pas considérer comme valable une limite à la révision constitutionnelle qui n'est en fait jamais obéie ou appliquée.

En ce qui concerne la première condition sine qua non, nous avons remarqué que, tant qu'il n'y a pas de révolution, l'ordre juridique auquel appartiennent les limites à la révision constitutionnelle est un ordre efficace. Mais, si l'ordre juridique global perd son efficacité à la suite d'une révolution, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle, et qui appartiennent à cet ordre, perdent aussi leur validité. Bref après une révolution, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution ne sont plus valables, par conséquent elles ne sont plus obligatoires pour le pouvoir constituant originaire. On a donc affirmé que tant qu'­il n'y a pas de révolution, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle remplissent la première condition sine qua non de la validité juridique.

Par contre, la vérification de la deuxième condition sine qua non s'avère difficile. Car, le « minimum d'efficacité » est une notion imprécise. Néanmoins nous avons essayé de préciser cette notion en indiquant trois points différents de l'efficacité des limites à la révision constitutionnelle : le point de l'inefficacité totale, le point de l'efficacité totale, et entre ces deux, sur « un certain point », celui de l'efficacité minimum. Le point de l'inefficacité totale et celui de l'efficacité totale sont précis. Ils sont objectivement déterminables. Ainsi, une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle qui n'a été jamais obéie ou appliquée dans les cas où elle devait l'être se trouve dans l'inefficacité totale ; et, une telle disposition n'est pas considérée comme une norme valable. D'autre part, une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle qui a été obéie ou appliquée dans tous les cas où elle devait l'être se trouve sur le point de l'efficacité totale ; et une telle limite est considérée comme valable. Par contre le point de l'efficacité minimum n'est pas suffisamment précis. Car, on ne peut pas donner une réponse objective à la question de savoir à partir de quel point la limite à la révision constitutionnelle bénéficie d'un minimum d'efficacité.

Toutefois, on peut remarquer que l'existence du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un pays donné est un élément assurant un minimum d'efficacité aux limites à la révision constitutionnelle. Alors, pour que les limites à la révision constitutionnelle ne tombent dans l'inefficacité totale, il faut qu'il y ait un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Sans quoi, une limite à la révision constitutionnelle appartenant à l'ordre juridique risque de tomber dans l'inefficacité totale, et par conséquent de perdre sa validité juridique.

Ainsi, tout le problème se concentre sur l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un pays considéré. C'est pourquoi, nous avons réservé le deuxième titre de la deuxième partie de notre travail à ce problème.

En conclusion, dans les pays où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, et tant qu'il n'y a pas de révolution, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels remplissent la condition essentielle et les conditions supplémentaires pour être valables. Ainsi elles appartiennent à l'ordre juridique qui est efficace et elles bénéficient elles-mêmes d'un minimum d'efficacité, et par conséquent elles sont valables. De même, en vertu de notre équation « validité = force obligatoire », elles sont obligatoires, c'est-à-dire qu'elles s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

Ainsi, en ce qui concerne les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels, on peut conclure que, dans les pays où il y a un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ces limites sont valables, et par conséquent elles s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

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Il faut également discuter de la question de savoir s'il y a des limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans les textes constitutionnels. En effet, quand il s'agit de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, certains auteurs ne se contentent pas d'énumérer les limites à la révision constitutionnelle prévues expressément par la constitution ; allant encore plus loin, ils cherchent d'autres limites susceptibles de s'imposer à l'exercice de ce pouvoir.

Parmi ces auteurs, certains soutiennent qu'il y a des principes supraconstitutionnels s'imposant à l'exercice du pouvoir. D'autres pensent qu'il y a une hiérarchie entre les normes constitutionnelles, et par conséquent que les normes constitutionnelles de rang supérieur dans la hiérarchie constituent des limites à la révision constitutionnelle. Ensuite selon une partie de la doctrine, les normes constitutionnelles posées par le pouvoir de révision constitutionnelle sont soumises au respect des normes du droit international. Enfin, certains auteurs estiment que la constitution a un esprit, et en dégagent des limites à la révision constitutionnelle.

A notre avis, les thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels s'imposant à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle ne sont pas fondées, car ces principes ne sont juridiquement pas valables. En effet, ces principes sont privés de toute existence matérielle. Ils ne figurent dans aucun document positif. Par conséquent, les limites déduites de ces principes ne s'imposent pas à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

D'autre part, les thèses soutenant l'existence d'une hiérarchie entre les normes constitutionnelles ne sont pas non plus fondées. Car, s'il y a une hiérarchie entre les normes constitutionnelles, elles doivent tirer leur validité les unes des autres. Or, comme on le sait, toutes les normes à valeur constitutionnelle tirent leur validité d'un seul acte : l'acte constituant (par exemple en France, le référendum constituant de 1958). En d'autres termes, aucune hiérarchie ne peut être établie entre les différentes normes à valeur constitutionnelle du point de vue de leur validité juridique. Toutes les normes constitutionnelles sont édictées par le même acte et elles peuvent être modifiées ou abrogées selon la même procédure de révision. Par conséquent elles ne différent pas les unes des autres du point de vue de leur validité juridique. D'autre part, les thèses posant une hiérarchie entre les normes constitutionnelles impliquent inévitablement une conception matérielle de la constitution. Car, sans avoir préalablement accepté la conception matérielle de la constitution, on ne peut établir aucune différenciation entre les normes constitutionnelles. Or en droit positif, c'est la conception formelle qui est retenue. Et dans cette conception, ce qui compte, c'est la forme, et non pas le contenu des dispositions. Ainsi toutes les dispositions de la constitution ont la même valeur juridique en tant que règles contenues dans le même texte. Par conséquent les dispositions constitutionnelles auxquelles on attribue un rang supérieur au sein du bloc de constitutionnalité ne constituent pas des limites à la révision constitutionnelle, car la révision de telles dispositions n'exige pas une procédure différente de celle d'une disposition constitutionnelle anodine.

Quant à la question de la supériorité des normes de droit international sur les normes constitutionnelles, on peut observer que premièrement cette question ne se pose même pas si l'on admet la conception dualiste. Même si l'on raisonne dans la conception moniste, la thèse de la supériorité des normes du droit international sur celles de la constitution nationale n'est pas fondée si l'on prend comme point de départ l'hypothèse de la primauté du droit interne. Or, du point de vue théorique, on n'est pas obligé de partir du postulat de la primauté du droit international. Deuxièmement, il y a une non-concordance entre la validité internationale et la validité interne d'une norme nationale. Une norme nationale continue d'exister, même si elle est non opposable au niveau international. Parce que le juge international n'annule pas la norme interne contraire au droit international, il la déclare seulement non opposable sur le plan international. Nous avons défini la hiérarchie des normes par la relation de la validité entre ces normes. Puisque la validité internationale et la validité interne ne coïncident pas, on ne peut pas par définition établir de hiérarchie entre les normes de droit international et celles de la constitution nationale. Enfin, on peut mettre en cause non seulement la supériorité du droit international, mais encore l'existence même de ce droit. Parce que l'ordre du droit international est tellement décentralisé qu'on ne peut pas savoir si la guerre constitue un acte illicite ou une application de la sanction.

Enfin, les thèses déduisant des limites à la révision constitutionnelle de l'esprit de la constitution ne sont pas fondées, car l'« esprit de la constitution » n'est pas une notion positivement existante. Par conséquent, les limites à la révision constitutionnelle déduites de cet « esprit » ne sont pas valables, parce qu'elles ne remplissent pas la première condition de la validité juridique, c'est‑à‑dire l'existence matérielle. En d'autres termes, ces limites ne trouvent pas leur fondement dans la constitution. Elles ne sont pas formulées expressément par le texte de la constitution. On ne peut pas les déduire encore de façon directe ou dérivée d'une disposition constitutionnelle. En conséquence, les limites proposées par la doctrine au nom de l'esprit de la constitution, comme au nom des principes supraconstitutionnels, ne s'imposent pas à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

D'ailleurs, il faut souligner le caractère jusnaturaliste des thèses favorables à l'existence des limites à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans les textes constitutionnels. En effet ces thèses (en dehors de celle de la supériorité des normes de droit international sur les normes constitutionnelles) ne sont soutenables que, si et seulement si l'on accepte l'existence d'un droit naturel. Car pour attribuer la valeur juridique aux limites qui n'existent pas dans les textes positifs, on a nécessairement besoin d'une conception jusnaturaliste du droit. Or, dans notre travail, nous refusons par hypothèse même la conception jusnaturaliste du droit.

Ainsi, les limites à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans les textes constitutionnels ne sont pas posées par le pouvoir constituant originaire, mais par les auteurs jusnaturalistes. Par conséquent ces auteurs se sont substitués non seulement au législateur ordinaire, mais encore au pouvoir constituant originaire même, grâce à la théorie de la supraconstitutionnalité, de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles, de l'esprit de la constitution, etc.

Enfin, on peut constater que les auteurs qui acceptent l'existence des limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans le texte constitutionnel ne sont pas d'accord sur la liste de celles‑ci. Chacun dresse une liste différente conformément à sa propre conception. Cette différence montre en effet le caractère subjectif de ces thèses favorables à l'existence de telles limites.

En conclusion, les limites à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans les textes constitutionnels ne sont pas valables, car elles sont privées de toute existence matérielle. Ainsi nous refusons toutes les thèses favorables à l'existence des limites à la révision constitutionnelle qui ne sont pas prévues par la constitution. Pour nous, les limites à la révision constitutionnelle consistent en celles inscrites dans les textes constitutionnels.

* * *

Ainsi nous venons d'affirmer que, du point de vue théorique, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. Mais ces limites sont-elles sanctionnées ? En effet, en ce qui concerne les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel, la vraie question qui se pose est celle de savoir comment ces limites peuvent être sanctionnées, car aucune limite n'est contraignante, si elle ne fait pas l'objet d'une sanction.

On peut envisager les différentes sanctions pour assurer la conformité des lois constitutionnelles aux limites à la révision constitutionnelle : l'interruption de la procédure de révision constitutionnelle par le président de la République, le refus de la promulgation par le président de la République, les sanctions pénales proprement dites, la responsabilité du président de la République pour haute trahison, la responsabilité pénale des ministres, l'invalidation des lois constitutionnelles.

En ce qui concerne la question de savoir si, en France, le président de la République peut interrompre la procédure de révision constitutionnelle, on peut conclure que le président de la République n'a pas en principe le droit d'interrompre la procédure de révision constitutionnelle. Ainsi il est obligé de donner suite à une proposition ou à un projet de révision constitutionnelle adopté conformément à sa procédure, c'est‑à‑dire par les deux assemblées en termes identiques.

Néanmoins on ne peut pas refuser au président de la République un minimum de pouvoir de vérification, car le président de la République est obligé de donner suite à une proposition ou à un projet, si et seulement s'il existe une proposition ou un projet de révision constitutionnelle au sens de la Constitution. Si un acte qui se présente comme une proposition ou un projet n'a pas pris réellement naissance, ou bien s'il est entaché des vices flagrants de procédures affectant l'existence même d'une telle proposition ou d'un tel projet, le président de la République peut et doit refuser de les soumettre au Congrès du parlement ou au référendum. En d'autres termes il peut et doit bloquer la procédure de révision constitutionnelle.

Mais en dehors des irrégularités qui affectent l'existence même de la proposition ou le projet de révision constitutionnelle, le président de la République n'a pas le droit d'interrompre la procédure sous prétexte que le contenu de révision constitutionnelle est contraire aux limites à la révision constitutionnelle.

Cependant, les pouvoirs accordés au président de la République dans la procédure de révision constitutionnelle sont loin de constituer une garantie préventive efficace pour assurer la régularité des lois de révision constitutionnelle. Car, à ce propos il n'y a pas de règle juridique qui s'impose au président de la République, ni de moyen permettant de l'obliger à interrompre ou à ne pas interrompre la procédure de révision constitutionnelle. Par conséquent, tout dépend de l'appréciation du président de la République. C'est‑à‑dire que s'il estime que la proposition ou le projet de révision est entaché d'une irrégularité, il peut interrompre la procédure de révision constitutionnelle. En d'autres termes, le président de la République a le pouvoir d'interprétation authentique dans ce domaine. Son interprétation n'est pas juridiquement contestable. La seule sanction est la mise en jeu de sa responsabilité pour haute trahison, et celle-ci reste exceptionnelle. Alors le président de la République a la possibilité d'interrompre la procédure de révision constitutionnelle, comme ceci s'est produit à deux reprises en 1973 et en 1974.

Quant à la question de savoir si le président de la République peut refuser la promulgation d'une loi constitutionnelle contraire aux limites à la révision constitutionnelle, on peut observer qu'en France, la promulgation des lois constitutionnelles est en principe de caractère obligatoire. Le président de la République est tenu de promulguer une loi constitutionnelle adoptée par le référendum ou par le Congrès du Parlement.

Néanmoins, tout en acceptant le caractère obligatoire de la promulgation des lois constitutionnelles, il faut admettre que le président de la République a la faculté de refuser la promulgation d'une loi constitutionnelle « inexistante ». En d'autres termes, le président de la République n'est pas tenu de promulguer, une loi constitutionnelle qui n'a pas pris « réellement naissance ». C'est‑à‑dire que le président de la République a le droit de vérifier s'il est en présence d'une loi constitutionnelle « extérieurement régulière », ou entachée d'un « vice flagrant de procédure ». Mais, au‑delà de ces vices flagrants de procédure, le président de la République ne peut pas refuser la promulgation d'une loi constitutionnelle adoptée par l'organe de révision constitutionnelle sous prétexte qu'elle est contraire à la constitution sur le fond.

Cependant, le pouvoir de promulgation du président de la République est loin de constituer une garantie efficace pour assurer la régularité des lois de révision constitutionnelle, car à ce propos il n'y a pas de règle juridique et par conséquent tout dépend de l'appréciation du président de la République. Et l'appréciation du président de la République ne peut être mise en cause que par la procédure de haute trahison.

Les sanctions pénales proprement dites ne présentent pas beaucoup d'intérêt pour notre travail. Car, d'abord, ces sanctions ne recouvrent que des révisions faites par l'utilisation des moyens violents, c'est‑à‑dire des révisions irrégulières constituant une infraction pénale. Or, la révision de la constitution peut être irrégulière sans constituer un délit ou un crime au sens pénal. Et quant aux révisions faites par l'utilisation des moyens violents, les sanctions pénales sont envisageables, mais dans ce cas une telle révision constitutionnelle constitue une révolution. En d'autres termes, il s'agit d'un événement du pouvoir constituant originaire, Or, notre travail a pour objet d'examiner les limites du pouvoir de révision constitutionnelle, et non pas celles du pouvoir constituant originaire. A vrai dire, les sanctions pénales ne peuvent concerner que la tentative de révision révolutionnaire. Si la révision révolutionnaire est « consommée », les actes tendant à réviser la constitution par les voies révolutionnaires ne sont pas punissables. En conséquence, les sanctions pénales ne sont applicables que si le mouvement révolutionnaire reste en phase de tentative. Alors les sanctions pénales ne s'adressent qu'aux auteurs des coups d'Etat avortés, ou des insurrections réprimées.

Même si la mise en jeu de la responsabilité du président de la République pour haute trahison en cas d'édiction d'une loi de révision constitutionnelle qui dépasse ses limites est théoriquement envisageable, cette procédure est loin de constituer une sanction efficace pour assurer la régularité des lois constitutionnelles aux limites à la révision constitutionnelle. Car, tout d'abord, la responsabilité du président de la République pour haute trahison comme garantie personnelle n'est pas un moyen en soi efficace, car elle ne touche pas à la force obligatoire de la loi constitutionnelle irrégulière. En d'autres termes, elle laisse subsister la loi de révision constitutionnelle contraire aux limites à la révision constitutionnelle. Ensuite, le crime de haute trahison n'est défini ni légalement ni jurisprudentiellement et en France la Haute Cour de justice n'a jamais fonctionné. Par conséquent la responsabilité du président de la République pour haute trahison reste une sanction tout à fait exceptionnelle et théorique. Cependant on peut constater que cette sanction n'est pas pour autant inutile, car on conçoit qu'un président de la République abuse de ses pouvoirs et qu'il n'y ait pas d'autre moyen que la traduction devant la Haute Cour de justice pour mettre fin à une situation contraire au droit. Ainsi, dans un système où il n'y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, la seule sanction envisageable pour assurer le respect des limites à la révision constitutionnelle consiste en la responsabilité du président de la République qu'offre l'institution de haute trahison.

Quant à la responsabilité pénale des ministres, elle est complètement hors de question pour assurer la régularité des lois constitutionnelles, car concernant cette responsabilité, en France, le principe nullum crimen et nulla poena sine lege trouve sa place. En effet, le Code pénal français n'incrimine pas les actes des membres du Gouvernement accomplis dans la procédure de révision constitutionnelle.

Ainsi on peut conclure que même si les différentes sanctions sont théoriquement envisageables, elles ne constituent pas en soi des moyens efficaces pour assurer la conformité des lois constitutionnelles aux limites à la révision constitutionnelle. En effet, ces limites ne sont efficacement sanctionnées que lorsque l'invalidation des lois constitutionnelles est possible. Alors, concernant les sanctions des limites à la révision constitutionnelle, la question‑clé est de savoir si les lois constitutionnelles contraires aux limites à la révision constitutionnelle peuvent être invalidées. La réponse affirmative à cette question dépend de l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles peut être examiné d'abord dans un cadre théorique, ensuite on peut essayer d'illustrer ce cadre à partir de la jurisprudence des cours constitutionnelles de différents pays.

Sur le plan théorique, dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution, la réponse à la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible est simple : ce contrôle est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle : lorsque la constitution l'a exclu, il n'est pas possible, par contre lorsque la constitution l'a prévu, il est possible.

L'exemple d'un tel système est fourni par la Turquie. La Constitution turque de 1961 (à partir de sa révision en 1971) et la Constitution de 1982 réglementent expressément le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors en Turquie, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, car il a été prévu par la Constitution. Cependant ce même contrôle quant au fond des lois constitutionnelles est impossible, car la Constitution l'a exclu expressément.

Par contre dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé par la constitution, la solution de la question de savoir si un tel contrôle est possible ne peut se trouver que dans la jurisprudence de l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité. Un tel système est illustré par l'Allemagne, l'Autriche, les Etats-Unis d'Amérique et la France. Les constitutions de ces pays ne contiennent aucune disposition expresse sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Dans un tel système, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles. Par contre si cet organe s'est déjà déclaré incompétent pour statuer sur les lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible. Enfin, si cet organe ne s'est pas encore prononcé sur ce point, la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles ne se pose encore pas du point de vue du droit positif.

Le cas des Etats‑Unis, de l'Allemagne et de l'Autriche illustre la première hypothèse. La Cour suprême des Etats‑Unis et les Cours constitutionnelles allemande et autrichienne ont déjà statué sur la validité des lois de révision constitutionnelle. Ainsi aux Etats‑Unis, en Allemagne et en Autriche, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Aux Etats-Unis ce contrôle consiste en la vérification de la régularité formelle des amendements constitutionnels, alors qu'en Allemagne et en Autriche ce contrôle s'effectue tant du point de vue de la régularité formelle des lois constitutionnelles que de leur contenu.

La deuxième hypothèse a été illustrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel français sur les lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum. En ce qui concerne ces lois, le contrôle de la constitutionnalité est impossible, car le Conseil constitutionnel français s'est déjà déclaré incompétent pour se prononcer sur leur validité.

Concernant les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, l'exemple de la France illustre la troisième hypothèse. Car, le Conseil constitutionnel n'a pas été invité jusqu'à ce jour à se prononcer sur ces lois. Alors, du point de vue du droit positif, la question de leur contrôle ne se pose pas encore.

En conclusion, le pouvoir de révision constitutionnelle est limité dans les pays où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, car les limites qui s'imposent à l'exercice de ce pouvoir sont sanctionnées par l'organe de contrôle de la constitutionnalité.

En conséquence, le pouvoir de révision constitutionnelle n'est limité, en Turquie, que par les règles de forme et de procédure, car dans ce pays seulement le contrôle de forme des lois constitutionnelles est possible.

Aux Etats-Unis aussi, le pouvoir de révision constitutionnelle n'est limité que par les conditions de forme de l'article 5 de la Constitution, car la Cour suprême ne contrôle que la régularité formelle des amendements constitutionnels.

Par contre, en Allemagne et en Autriche, le pouvoir de révision constitutionnelle est limité non seulement par les règles de forme et de procédure, mais aussi par les règles de fond, car les Cours constitutionnelles de ces pays se considèrent comme compétentes pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu.

Quant à la France, il convient de faire une distinction. Le pouvoir de révision constitutionnelle exercé directement par le peuple n'est pas limité, car le Conseil constitutionnel s'est déjà déclaré incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois adoptées à la suite d'un référendum. Par contre, la question de savoir si le pouvoir de révision constitutionnelle exercé par le Congrès du Parlement est limité n'a pas encore de réponse du point de vue du droit positif, car la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement ne s'est pas encore posée au Conseil constitutionnel.

 

 


(c) Kemal Gözler, 1995 (These), 1997 (Livre), 2004 (Internet Version). Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le present ouvrage sans autorisation da l'auteur. Cependant vous pouvez imprimer une copie en papier de ce livre, pour votre usage strictement personnel et non commercial. Vous pouvez également enregistrer ce livre sur votre PC pour le lire offline plus tard.

 

Cet ouvrage peut être citée sous les formes suivantes:

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 Volumes, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

ou

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

 

 


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Date de création: 4 april 2004

Dernière mise à jour: 27 octobre 2020, v2.


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