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Le pouvoir constituant originaire - Kemal Gözler

Kemal Gözler, Le pouvoir constituant originaire, Mémoire du D.E.A. de Droit public,  Directeur de recherches : Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université de Bordeaux I, Faculté de droit, des sciences sociales et politiques, 1992, 93 p. (www.anayasa.gen.tr/memoire.htm 20.04.2004).

 


 

Université de Bordeaux I,
Faculté de droit, des sciences sociales et politiques,

 

 

Le pouvoir constituant originaire
 

 

 

Mémoire du D.E.A. de Droit public, 

présenté par

Kemal Gözler

 

Directeur de recherches : Prof. Dmitri Georges Lavroff,

 

 

 

1992


 
 
Introduction

 

 

 

Le pouvoir constituant originaire fait l'objet de notre travail. Mais notons tout de suite que nous aborderons notre sujet dans une perspective générale, universelle et abstraite, et non pas sur la base d'un exemple particulier de ce pouvoir. En d'autres termes, notre travail a pour objet de tracer un cadre théorique pour les événements du pouvoir constituant originaire, non pas d'examiner un exemple de ce pouvoir qui est apparu dans tel pays et à telle époque.

Notre travail se compose d'un chapitre préliminaire et de cinqs chapitres suivants dont le premier sera consacré à l'examen de la nature juridique du pouvoir constituant originaire, le deuxième à son titulaire, le troisième à ses limites, le quatrième à ses circonstances de l'apparition et le dernier à ses formes.

Notre travail sera terminé par une conclusion où se trouveront un résumé et une appréciation générale de notre sujet.


 

 

 

 

Chapitre préliminaire
Le pouvoir constituant en général

 

 

 

Ce chapitre est consacré à l'étude du pouvoir constituant en général. Nous nous efforcerons, d'abord, de définir la notion du pouvoir constituant, ensuite, de diviser celle-ci en deux parties : le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé. D'autre part, nous allons essayer de faire une distinction entre le pouvoir constituant et les pouvoirs constitués. Enfin, nous allons rechercher les origines doctrinales de l'idée du pouvoir constituant chez les penseurs politiques comme Montesquieu, Rousseau et notamment Sieyès.

I. La définition du pouvoir constituant

Pierre Pactet commence à étudier « l'établissement et la révisions des constitutions » par cette phrase : « Les constitutions sont matière vivante : elles naissent, vivent, subissent les déformations de la vie politique, sont l'objet de révisions plus ou moins importantes, et peuvent disparaître »[1].

Dans cette citation se cachent les indices de la définition du pouvoir constituant. D'après la citation, les constitutions naissent, changent et disparaissent. A certains égards la naissance et la disparition des constitutions portent le même sens. En d'autres termes, la naissance et la disparition des constitutions sont deux différents aspects du même phénomène. Car, un pouvoir qui abolit une constitution en établit de suite une nouvelle. Par conséquent, il nous reste deux choses : la naissance ou bien par un terme plu technique l'établissement et la révision des constitutions.

Ainsi nous pouvons définir le pouvoir constituant, d'une façon très générale, comme le pouvoir d'établir ou de réviser les constitutions.

II. La distinction du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé

On peut toute de suite remarquer que la définition ci dessus se compose de deux éléments : l'un est l'établissement des constitutions et l'autre la révision des constitutions. D'où la distinction du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé.

Comme on le peut facilement saisir, le pouvoir constituant originaire est le pouvoir d'établir une nouvelle constitution, et le pouvoir constituant dérivé est celui de réviser une constitution existante.

Il faut cependant noter que ces définitions ont été faites d'une façon très générale. Il est évident que les définitions descriptives qui contiennent toutes les particularités de ces pouvoirs ne peuvent se faire qu'à la fin de cette étude. Mais nous devons tout de suite avouer notamment que la définition du pouvoir constituant dérivé est insuffisante et trompeuse. Car, le changement d'une constitution peut se réaliser par des modes très différents. D'abord comme on le sait, le sens d'une règle constitutionnelle peut être changé par l'interprétation, tandis que la lettre de la constitution reste inchangée. Ensuite on peut développer de nouvelles coutumes pour répondre aux nouveaux besoins, sans aucun changement du texte non plus. Enfin, on peut réviser la constitution par la mise en oeuvre du mode prévu par la constitution elle-même. Pour nous seulement le dernier mode est important, non pas les deux premiers. Par conséquent, nous pouvons corriger la définition du pouvoir constituant dérivé comme suit : le pouvoir constituant dérivé est le pouvoir de réviser la constitution par le mode prévu par cette constitution elle-même.

D'autre part, notre travail est consacré exclusivement à l'étude du pouvoir constituant originaire. Par conséquent l'examen du pouvoir constituant dérivé reste en dehors de notre travail. De ce fait, il sera vain de laisser la tâche de faire une définition descriptive qui contiennent toutes les particularités du pouvoir constituant dérivé à la fin de ce travail. Cependant il est nécessaire de savoir les particularités du pouvoir constituant dérivé pour bien comprendre celles du pouvoir constituant originaire. C'est pourquoi, il convient d'indiquer brièvement quelques particularités du pouvoir constituant dérivé.

La nature du pouvoir constituant dérivé ne soulève pas un grand problème. Tous les auteurs notent que c'est un pouvoir juridique ; c'est‑à‑dire qu'il procède de la constitution et fonctionne dans le cadre déterminé par celle-ci.

Cela signifie que, premièrement, le titulaire du pouvoir constituant dérivé est déterminé par les constitutions. Les constitutions attribuent généralement ce pouvoir à l'un des organes qu'elles ont établis, par exemple aux parlements.

Deuxièmement, les formes du pouvoir constituant dérivé, c'est‑à‑dire, les procédures de révision constitutionnelle, sont fixées par la constitution. Ces procédures varient selon la rigidité ou la flexibilité de la constitution. Les constitutions souples peuvent être modifiées par les mêmes procédures que celles des lois ordinaires. Par contre, les constitutions rigides prévoient les procédures plus solennelles et plus complexes que celles des lois ordinaires pour leur révision. Par exemple, une majorité qualifiée (2/3, 3/5 etc.) au parlement ou bien une ratification par le référendum.

Troisièmement le pouvoir constituant dérivé a d'autres limites : une constitution peut interdire sa révision pendant un certain délai[2] ou sur un tel ou tel point[3].

Quatrièmement, il faut déterminer la place du pouvoir constituant dérivé à l'égard du pouvoir constituant originaire. Du point de vue de son statut juridique, le pouvoir constituant dérivé est inférieur au pouvoir constituant originaire ; car il en résulte. mais du point de vue de sa fonction, le pouvoir constituant dérivé est l'équivalent du pouvoir constituant originaire, car il peut réviser la constitution qui est établie par le pouvoir constituant originaire.

Dernièrement , il convient de déterminer la place du pouvoir constituant dérivé vis-à-vis d'autres pouvoirs constitutionnels, comme les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Du point de vue de son statut juridique, le pouvoir constituant dérivé est un pouvoir constituant comme les autres ; lui aussi est un « pouvoir constitué » qui est fondé par le pouvoir constituant originaire. Mais du point de vue de sa fonction, le pouvoir constituant dérivé est supérieur aux autres pouvoirs constitués. Devant eux, le pouvoir constituant dérivé a la compétence constituante ; il détermine leur destin.

Ainsi nous sommes arrivé à la distinction du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués.

III. La distinction du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués

Comme nous venons de voir, il existe un pouvoir d'établir et de réviser la constitution. Mais à côté de ce pouvoir se trouvent aussi les pouvoirs créés par la constitution. Ainsi apparaît la nécessité de distinguer la pouvoir constituant des pouvoirs ordinaires de l'Etat, comme les pouvoirs législatif, exécutif, et judiciaire qui en dérivent.

Pour pouvoir saisir le véritable sens de la différence entre le pouvoir constituant et les pouvoirs constitués, il faut les placer sur des plans différents. Comme l'a dit Georges Burdeau, « les pouvoirs constitués n'existent que dans l'Etat : inséparable d'un ordre statutaire préétabli, ils ont besoin du cadre étatique dont leur présence même extériorise la réalité. Le pouvoir constituant, au contraire, se situe en dehors de l'Etat : il ne lui doit rien, il existe sans lui... Bref les pouvoirs constitués sont des pouvoirs étatiques, tandis que le pouvoir constituant est un pouvoir extra-étatique »[4].

Après cette explication générale, on peut définir les pouvoirs constitués comme les pouvoirs d'Etat dont l'organisation et le fonctionnement sont définis par la constitution. En d'autres termes, ils sont des pouvoirs d'exercer les diverses compétences juridiques de l'Etat.

Mais plus précisément quels organes de l'Etat fait-il entendre ?

Puisque les pouvoirs constitués sont définis comme les pouvoirs d'exercer les diverses compétences juridiques de l'Etat dans le cadre déterminé par la constitution, les organes qui utilisent ces compétences sont des pouvoirs constitués. Et puisqu'il y a principalement trois compétences de l'Etat comme les compétences législative, exécutive et judiciaire, parallèlement il y a trois organes constitués : les organes législatif, exécutif et judiciaire.

Dernièrement notons que les pouvoirs constitués ne peuvent déléguer leurs compétences à d'autres organes, sans autorisation claire de la constitution. Car, le pouvoir reconnu aux organes constitués ne leur appartient pas en vertu d'un droit propre, mais comme une compétence qui leur est conférée par la constitution[5]. Si les pouvoirs constitués délèguent leurs compétences, ils violent la suprématie du pouvoir constituant originaire.

IV. L'origine doctrinale de l'idée du pouvoir constituant

Notons tout de suite que l'on n'examine pas ici les doctrines de divers auteurs sur le pouvoir constituant. Nous ne cherchons que des premières traces de l'idée du pouvoir constituant dans l'histoire des idées politiques.

D'abord, comme le remarque Carré de Malberg, le droit public anglais ne connaît pas de pouvoir constituant[6]. Car, en Angleterre, comme le dit le dicton, « le Parlement peut tout faire ». Ceci signifie qu'il peut modifier les lois concernant l'organisation des pouvoirs publics au même titre qu'une loi ordinaire. cette situation a empêché en Angleterre la naissance de l'idée du pouvoir constituant. C'est pourquoi il serait vain de rechercher les origines de l'idée du pouvoir constituant dans la doctrine anglaise.

Par contre, l'idée d'un pouvoir constituant se trouve « tantôt diffuse, tantôt clairement exprimée, dans toute la pensée politique française de l'époque révolutionnaire »[7].

Il est intéressant de voir que Sieyès, lui-même, disait dans son célèbre discours du 2 thermidor An III (à la Convention) qu'« une idée saine et utile fut établie en 1788 ; c'est la division du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués. Elle comptera parmi les découvertes qui font faire un pas à la science; elle est due aux Français »[8]. Ainsi comme le montre Carré de Malberg[9], en invoquant cette date de 1788 qui était celle de la composition de son ouvrage sur le Tiers-Etat, Sieyès attribuait aux Français, c'est‑à‑dire à lui-même, la « découverte » du pouvoir constituant. Mais ce propos de Sieyès manquait d'autant exactitude que de modestie[10]. Comme La Fayette[11] le rappelait avec quelque mauvaise humeur les Américains du Nord avaient devancé les Français dans ce domaine[12].

Il est vrai que l'idée de pouvoir constituant distinct et supérieur aux pouvoirs constitués avait été conçue et appliquée en Amérique dès avant la Révolution française. Cette idée avait été consacrée la Constitution fédérale de 1787[13]. Dans la Convention de Philadelphie, on a prévu qu'il y aurait des lois constitutionnelles, dues à l'exercice du pouvoir constituant, distinctes et supérieures à celles-ci[14]. En bref, l'idée du pouvoir constituant n'est donc pas chronologiquement d'origine française[15].

Maintenant revenons à la doctrine française et recherchons les origines de l'idée du pouvoir constituant dans les théories de Rousseau, de Montesquieu et de Sieyès.

A. Rousseau

Comme l'a montré Carré de Malberg, « la théorie de Rousseau semble exclure la possibilité d'une distinction précise entre la fonction constituante et la fonction législative »[16].

Cela pour quatre raisons.

Premièrement, dans la théorie de Rousseau, il n'y a pas de différence entre le règle législative et la règle constitutionnelle. Car, elles sont « également un aspect de la volonté générale »[17]. En d'autres termes, la volonté générale, quel que soit son objet, présente toujours les mêmes caractères spécifiques, c'est‑à‑dire qu'elle est la volonté de tous. Il n'y a donc pas de place dans la théorie de Rousseau, pour un pouvoir distinct des pouvoirs constitués, car dans tous les cas, c'est le souverain qui intervient[18].

Deuxièmement, dans cette doctrine, il n'y a pas de pouvoir suprême qui se trouve au-dessus de l'organe législatif, et qui est chargé de constituer les organes de l'Etat. Car, le peuple est souverain lui-même, il peut agir comme organe législatif ou comme organe constituant[19].

Troisièmement, l'ensemble de la doctrine du Contrat social s'oppose à la logique du pouvoir constituant. Car l'idée du pouvoir constituant implique la limitation de l'organe législatif. Or, dans la théorie de Rousseau, le législateur n'est autre chose que le peuple. Et le peuple est souverain lui-même. Pour le peuple, il n'existe aucune loi fondamentale qui l'enchaîne. Car la volonté générale ne peut point se lier elle-même[20]. C'est pourquoi, Rousseau déclarait qu'« il n'y a ni peut y avoir, nulle espèce de loi fondamentale obligatoire pour le peuple, pas même le contrat social »[21].

Dernièrement, comme l'a bien montré Carré de Malberg, « dans la doctrine du Contrat social, l'une des principales utilités de la distinction du pouvoir constituant disparaît, et, par suite, cette distinction perd, en grande partie, sa raison d'être. Le but pratique de la distinction, c'est, en effet, de limiter la puissance de l'organe législatif, et notamment de la limiter en ce qui concerne les droits individuels des particuliers, en ce sens que ces droits, une fois déterminés et garantis par l'acte constitutionnel ne peuvent plus être restreintes ni retouchés par le législateur ordinaire... Or... la théorie du Contrat social exclut complètement ce concept de droits individuels rendus intangibles à l'encontre du législateur »[22]. Ainsi dans la théorie du Contrat social, l'individu est absorbé complètement par la communauté. Comme le dit Rousseau, « chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale »[23].

B. Montesquieu

La notion de pouvoir constituant semble étrangère à la doctrine de Montesquieu qui défend la divisibilité de la puissance étatique. Montesquieu divise la puissance étatique en trois pouvoirs en il ne paraît pas se préoccuper de l'unité des pouvoirs. Mais d'autre part, cette séparation des pouvoirs devait nécessairement conduire à la théorie du pouvoir constituant[24]. Car une telle séparation est inexplicable sans l'acceptation d'un pouvoir supérieur et antérieur à eux. Il faut donc logiquement « admettre l'existence d'une autorité supérieure et antérieure à eux, capable d'opérer le partage » des pouvoirs entre eux[25]. On peut donc dire que « la théorie de la séparation des pouvoirs ouvrait la voie à la théorie du pouvoir constituant »[26].

Montesquieu, dans le chapitre De la Constitution d'Angleterre de son fameux ouvrage De l'esprit des lois, raisonne sur les titulaires de ces pouvoirs ; monarque, assemblées, tribunaux se trouvent historiquement constitués. Mais « rationnellement, d'où ces autorités tirent-elles leur puissance ? Comment s'opère entre elles des pouvoirs à séparer ? De même, comment se fait-il que la puissance législative... soit exercé, non pas par le peuple, mais par ses représentants ? Sur tous ces points, le chapitre De la Constitution d'Angleterre éveille et pose à chaque instant la question de pouvoir constituant ; mais il ne la résout point et ne l'aborde même pas »[27].

C. Sieyès

Sieyès a construit sa doctrine de la séparation du pouvoir constituant sur la base de la séparation des pouvoirs, telle que l'avait fondée Montesquieu[28]. Sieyès affirmait que « le mot Constitution est relatif à l'ensemble et à la séparation des pouvoirs publics »[29]. Selon Sieyès, tous les pouvoirs créés par la constitution « sans distinction, sont une émanation de la volonté générale, tous viennent du peuple, c'est‑à‑dire de la nation »[30]. Ils émanent donc d'un pouvoir supérieur et unique, et c'est pourquoi Sieyès dégage immédiatement cette notion fondamentale : « Une Constitution suppose, avant tout, un pouvoir constituant »[31]. Ainsi, comme le montre Carré de Malberg, de la notion même de Constitution, Sieyès « conclut directement à la distinction de ce qu'il appelle le ‘pouvoir constituant’ et les ‘pouvoirs constitués’ »[32].

Introduction............................................................................................................................ 1

Chapitre préliminaireLe pouvoir constituant en général............................................ 2

I. La définition du pouvoir constituant............................................................................... 2

II. La distinction du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé.... 3

III. La distinction du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués.............................. 5

IV. L'origine doctrinale de l'idée du pouvoir constituant................................................. 6

A. Rousseau................................................................................................................. 8

B. Montesquieu........................................................................................................... 9

C. Sieyès...................................................................................................................... 10

 


 
[1]. Pierre Pactet, Institutions politiques - Droit constitutionnel, Paris, Masson, 1991, p.69.

 

[2]. Par exemple, la Constitution française de 1791 interdisait sa révision pendant les deux premières législatures (titre VIII, art.3). Egalement selon la Constitution française de 1958, « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire » (art. 89, al. 4).

 

[3]. Par exemple, l'article 89 in fine de la Constitution de 1958 : « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».

 

[4]. Georges Burdeau, Traité de science politique, Paris, L.G.D.J., 3e édition, 1983, tome IV, p;173.

 

[5]. Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1959, (réimpression, 1984), p.118.

 

[6]. Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l'Etat, Paris, Sirey, 1922, (Réimpression : C.N.R.S., 1962), tome II, p.541?

 

[7]. Burdeau, Traité..., op. cit., t.IV, p.175.

 

[8]Moniteur, réimpression, t.XXV, p.293, cité par Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.512.

 

[9]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.512.

 

[10]. Georges Berlia, « De la compétence des assemblées constituantes », Revue du droit public, 1945, p.345.

 

[11]. La Fayette, Mémoires, Paris, 1838, t.IV, p.35 et s., cité par Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.512.

 

[12]. Berlia, op. cit., p.355.

 

[13]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.512.

 

[14]. Berlia, op. cit., p.355.

 

[15]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.513.

 

[16]Ibid.

 

[17]. Burdeau, Traité..., op. cit., t.IV, p.175.

 

[18]. Burdeau, Traité..., op. cit., t.IV, p.175 ; Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.513.

 

[19]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.513.

 

[20]Ibid.

 

[21]. Rousseau, Du contrat social , livre I, chapitre VII.

 

[22]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.11.

 

[23]. Rousseau, Du contrat social, livre I, Chapitre VI.

 

[24]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.515.

 

[25]. Burdeau, Traité..., op. cit., t.IV, p.175.

 

[26]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.515.

 

[27]Ibid., p.516.

 

[28]Ibid.

 

[29]. « Exposition raisonnée des droits de l'homme », Archives parlementaires, 1re série, t.VIII, p.256, cité par Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.516.

 

[30]Ibid.

 

[31]Ibid.

 

[32]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.516.

 

 

 

Chapitre premier
La question de La nature juridique du pouvoir constituant originaire

 

 

La nature juridique[1] du pouvoir constituant originaire est un problème très discuté. A ce propos, il y a essentiellement deux thèses contradictoires. Selon une thèse soutenue par les auteurs jusnaturalistes, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir de nature juridique ; tandis que selon une deuxième thèse soutenue par les auteurs positivistes, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir de nature extra-juridique, un pur fait non susceptible de qualification juridique.

I. Les thèses selon lesquelles le pouvoir constituant originaire est un pouvoir constituant de nature extra-juridique

Selon les auteurs positivistes, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir extra-juridique, un pur fait, non susceptible de qualification juridique. d'après eux, l'examen du pouvoir constituant originaire ne serait pas du ressort des juristes. Car, il est impossible de faire une interprétation juridique des actes qui ont déterminé la première organisation de l'Etat. En effet, pour que le pouvoir constituant originaire puisse être qualifié juridiquement, il faut admettre que le droit  existe avant la naissance de l'Etat[2]. Or, comme on le sait, les positivistes ne l'admettent jamais.

A. La thèse de Carré de Malberg

Selon Carré de Malberg, « le droit, au sens propre du mot, n'est pas autre chose que l'ensemble des règles imposées aux hommes sur un territoire déterminé par une autorité supérieure, capable de commander avec une puissance effective de domination et de contrainte irrésistible. Or, précisément, cette autorité dominatrice n'existe que dans l'Etat : cette puissance positive de commandement et de coercition, c'est proprement la puissance étatique. Dès lors, il apparaît que le droit proprement dit ne peut se concevoir que dans l'Etat une fois formé ; et par suite, il est vain de rechercher le fondement ou la genèse juridique de l'Etat. L'Etat, étant source du droit, ne peut pas avoir lui-même sa source dans le droit »[3].

« La formation initiale de l'Etat, dit Carré de Malberg, comme aussi sa première organisation, ne peuvent être considérées que comme un pur fait, qui n'est susceptible d'être point gouverné par des principes de droit »[4].

Ensuite Carré de Malberg fait la comparaison entre formation des groupements de droit privé et la fondation de l'Etat. D'après lui, la première « est une question parfaitement juridique, parce que ces groupes se forment sous l'empire du droit existant dans l'Etat, et l'on comprend alors que leur création soit régie par des prescriptions juridiques... Au contraire, la formation de l'Etat n'est commandée par aucun ordre juridique préexistant : elle est la condition du droit, elle n'est point conditionnée par le droit »[5].

« Il n'est pas sans exemple que la formation de l'Etat ait été le résultat de la force, ainsi que... la naissance de l'Etat et son premier statut est purement un ‘fait naturel’. En d'autres termes, à l'origine de l'Etat, il n'y a place que pour du fait, et non pour du droit. Tout ce que peut faire le juriste, c'est de constater que l'Etat se trouve formé à partir du moment où la collectivité nationale, fixée sur un certain territoire, possède, en fait, des organes exprimant sa volonté, établissant son ordre juridique et imposant supérieurement sa puissance de commandement. Quant à rechercher par quels processus juridique ces organes primitifs ont été constitués, non seulement ce n'est pas là le problème capital de la science du droit public, mais ce n'est même pas du tout un problème juridique. La doctrine qui prétend, en remontant le cours successif des Constitutions, finir par découvrir la source juridique de l'Etat, repose sur une erreur complète. La source de l'Etat, c'est du fait : à ce fait se rattache ultérieurement le droit »[6].

« Les mouvements révolutionnaires et les coups d'Etat, affirme‑t‑il, constituent des actes de violence et s'opèrent, par conséquent, en dehors du droit établi par la Constitution en vigueur... A la suite d'un bouleversement politique résultant de tels événements, il n'y a plus, ni principes juridiques, ni règles constitutionnelles : on ne se trouve plus ici sur le terrain du droit, mais en présence de la force. le pouvoir constituant tombera aux mais du plus fort »[7].

« Dans toutes ces circonstances, ajoute‑t‑il, ce qu'il y a de certain, c'est que la Constitution nouvelle ne sera point confectionnée selon la procédure, le mode constituant et les formes, qui avaient été prévues et prescrits par sa devancière. Celle-ci ayant été radicalement détruite par l'effet même du coup d'Etat ou la révolution, il ne reste plus rien d'elle ; et par suite, elle ne peut plus fournir d'organes pour la confection de la Constitution future »[8]. Entre la constitution ancienne et la constitution nouvelle, « il n'existe pas de lien juridique ; mais il y a au contraire, entre elles une solution de continuité, un interrègne constitutionnel, un intervalle de crise »[9].

En conclusion selon Carré de Malberg, « il n'y a point de place dans la science du droit public pour un chapitre consacré à une théorie juridique des coups d'Etat ou des révolutions et de leurs effets »[10].

B. La doctrine de Georges Burdeau dans sa thèse de doctorat[11]

 Selon Georges Burdeau, « le juriste ne devrait parler que du pouvoir de révision et jamais du pouvoir constituant, car le pouvoir constituant proprement dit, celui qui établit la première constitution, n'est qu'un fait »[12]. Par conséquent le pouvoir constituant échappe à l'examen juridique. Egalement le pouvoir de révision ne peut jouir de pouvoirs antérieurs à la constitution. car le droit n'existe que dans un Etat pourvu d'organes réguliers. Au-delà de la constitution, il n'y a que des faits. Ainsi, Georges Burdeau, développe son argumentation dans la ligne de Carré de Malberg. « La première constitution, affirme‑t‑il, résulte forcément de circonstances qui ne ressortent pas d'une théorie juridique »[13].

Georges Burdeau n'accepte pas l'existence d'un droit antérieur à l'Etat. « Ce droit, dit-il, n'est pas ‘juridique’, c'est‑à‑dire qu'il ne présente pas ce caractère normatif et nécessaire que renferme le droit de l'Etat. Aussi bien, il s'agit de croyances qui relèvent du domaine de la foi philosophique, bien plus que l'analyse scientifique »[14]. Ainsi Georges Burdeau condamne les considérations empruntées à la morale, et en préférant la doctrine professée par Carré de Malberg, il proclame la plénitude de l'ordre juridique positif, mais de cet ordre seul, considéré comme un tout, capable, comme tel, de se suffire à lui-même, et laissant à la morale sa place en dehors du domaine propre du droit car ce domaine est suffisamment vaste pour qu'il soit inutile de chercher à l'étendre en y introduisant des questions  qui lui sont étrangères »[15].

C. La thèse de Mundhir el Shawi

Mundhir el Shawi réduit la nature du pouvoir constituant à celle du pouvoir politique. Car, selon lui, « le pouvoir constituant est avant tout un pouvoir politique ; il ne devient constituant qu'occasionnellement. Sa manifestation, quelques fois sous la forme constituante, n'empêche nullement sa nature d'être toujours identique à elle-même, c'est‑à‑dire un pouvoir politique avant tout. L'essentiel c'est sa qualité du pouvoir politique ; quant à sa qualité de constituant elle n'est que secondaire. Le pouvoir constituant n'est pas par nature différent du pouvoir politique. Il est l'aspect sous lequel se manifeste une des caractéristiques essentielles du pouvoir politique qui est la faculté de s'organiser lui-même. En effet, de même que le pouvoir peut prendre  la forme législative ou exécutive, de même il se manifeste sous la forme constituante. Il y a donc en quelque sorte une confusion organique entre le pouvoir politique et le pouvoir constituant originaire. En conséquence, le pouvoir constituant ne soulève pas de problèmes propres, parce qu'il n'est pas une notion autonome. Les vrais problèmes, ce sont ceux du pouvoir politique »[16].

Ensuite Mundhir el Shawi estime que « le pouvoir politique n'est pas un phénomène juridique, mais tout simplement un phénomène de pur fait. Toute société en effet se caractérise politiquement par l'existence des hommes qui détiennent une puissance matérielle et ainsi commandent aux autres qui obéissent. Peu importe le motif de l'obéissance ou la cause de la force des gouvernants. Ce qu'il importe de constater, c'est que le pouvoir est un phénomène de force, qui se déploie sur le plan du Sein »[17]. Ainsi il conclut que « pouvoir constituant est un phénomène de force »[18].

II. Les thèses selon lesquelles le pouvoir constituant originaire est un pouvoir juridique

Ces thèses sont construites sur des fondements différents. Nous allons examiner ici celle de Georges Burdeau, de Guy Héraud et de Maurice Duverger.

A. La thèse de Georges Burdeau

1. Exposé

Georges Burdeau fait d'abord un examen critique de la thèse qui voit dans le pouvoir constituant originaire un pur fait. Selon lui, cette thèse soulève une objection très grave, car elle conduit à rejeter hors du droit, non seulement l'acte créateur de la première constitution de l'Etat, mais tout exercice, dans sa plénitude, du pouvoir constituant »[19]. « Quant à moi, dit Georges Burdeau, je ne saurais souscrire à un tel ostracisme qui, laissant intact le pouvoir constituant... et son mystère, ne saurait que réduire la science juridique à l'exégèse des procédures »[20].

Après avoir ainsi critiqué la doctrine positiviste, Georges Burdeau commence à expliquer la nature juridique du pouvoir constituant dans sa conception. Selon lui, « derrière le débat relatif à la valeur de l'activité constituant en dehors de tout ordre juridique préétabli, il y a nécessairement une prise de position sur la signification des révolutions »[21]. En d'autres termes, la question de la nature juridique du pouvoir constituant originaire est liée à celle de la nature juridique des révolutions. car, « si l'on refuse de leur reconnaître un sens juridique, il est évident que l'acte par lequel leurs auteurs fondent le nouvel ordonnancement étatique ne pourra être considéré que comme un simple fait, phénomène historique  échappant à l'emprise du droit. Je me propose, dit-il, au contraire, de mettre en relief le caractère juridique de la révolution, et les arguments qui me paraissent devoir être avancés en ce sens viendront tout naturellement établir la juridicité du pouvoir constituant originaire »[22].

Selon Georges Burdeau, « la révolution implique création d'un ordre nouveau. La validité de cet ordre n'est pas un effet de la réussite du mouvement révolutionnaire, qui transformait le fait en droit... elle est fondée sur un changement de l'idée de droit dominante dans le groupe. de même qu'en période paisible tout ordonnancement juridique repose sur l'idée de droit mise en oeuvre par le gouvernement régulier, de même le soulèvement révolutionnaire s'appuie sur une idée de droit qui concurrence celle qui est officiellement incorporée dans l'Etat »[23].

Certes les forces révolutionnaires « occupent les ministres, contrôlent les stations émettrices de radio et assurent la gestion des services publics essentiels, le gouvernement provisoire qui peut compter sur l'appui de l'armée et de police »[24]. Mais la victoire de l'idée révolutionnaire, « ce n'est pas par le seul effet de quelques mitrailleuses bien placées, ou de l'occupation opportune des centrales électriques »; mais aussi par l'effet de la « substitution d'une idée de droit à une autre »[25]. « Dans ces conditions, écrit Georges Burdeau, la validité juridique de l'oeuvre révolutionnaire et, par voie de conséquence, de l'activité du pouvoir constituant originaire, ne saurait être contestée »[26]. Ainsi selon Georges Burdeau, la révolution « n'est pas une rupture de droit, c'est une transformation de la structure du droit : l'organisation existante se vide de son contenu juridique tandis que celle qui s'ébauche puise par tous les mécanismes dans le droit nouveau »[27].

En conclusion, Georges Burdeau affirme que « l'oeuvre du pouvoir constituant originaire est donc au premier chef une oeuvre juridique, puisqu'elle consiste à réintroduire le droit dans une organisation politique et sociale que la sclérose de l'idée de droit ancienne avait desséchée »[28].

2. Critique

D'abord résumons les idées de Georges Burdeau. Selon lui, les révolutions ne sont pas des purs faits de force. la réussite d'une révolution dépend du changement de l'idée de droit dominante dans la société. Par conséquent, l'oeuvre du pouvoir constituant originaire est une oeuvre juridique.

On peut adresser à la thèse de Georges Burdeau deux critiques : la première concerne le sens des révolutions, la deuxième la notion de l'idée de droit.

a. La critique de sens des révolutions

Le fait que Georges Burdeau lie la réussite d'une révolution au changement de l'idée de droit est critiquable.

Certes, la thèse de Georges Burdeau, à certains égards, contient une part de réalité. Car, on sait que le changement des valeurs dominantes dans une société peut faciliter la réussite de la révolution. En d'autres termes, un mouvement révolutionnaire a peu de chance contre ces valeurs. De plus, comme on le sait, on fait une distinction entre les événements du pouvoir constituant originaire, comme les « révolutions » et les coups d'Etats, suivant l'existence du soutien des masses populaires et d'une idéologie. On dit que la révolution se réfère à une idéologie, et dans laquelle, il y a, dans une certaine mesure, le soutien populaire, tandis que dans un coup d'Etat, il n'y en a pas.

Il est possible que l'opinion de Georges Burdeau soit exacte pour les grandes révolutions, comme la révolution française de 1789. On peut dire que, dans une certaine mesure, une telle révolution coïncide avec le changement de l'idée de droit. Mais il est difficile de l'affirmer pour toutes les révolutions et les coups d'Etat qui donnent naissance au pouvoir constituant originaire. On voit chaque année en Afrique ou en Amérique du Sud beaucoup d'exemples des révolutions et des coups d'Etat. Combien d'entre eux sont résultats du changement de idée de droit ? Pour concrétiser le problème, examinons de plus près les événements du pouvoir constituant originaire en Afrique. Pierre Pactet donne une liste des interventions militaires en Afrique de 1960 à 1980[29]. Selon cette liste, dans l'intervalle de 20 ans, en Afrique, il y a eu 66 coups d'Etat dont 43 réussis et 23 échoués (tentatives de coup d'Etat). Puisqu'il y a 43 coups d'Etat réussis, il serait erroné et naïf de dire que dans divers pays d'Afrique, l'idée de droit est changée 43 fois pendant 20 ans. Prenons un exemple extrême : au Dahomey, dans la période de 10 ans entre 1963 et 1973, il y a eu 7 coups d'Etat dont 6 réussis. maintenant devant cette donnée, peut-on dire que l'idée de droit dominante au Dahomey change à peu près chaque année ?

A notre avis, même si les valeurs dominantes dans une société jouent un rôle important dans les événements du pouvoir constituant originaire, les révolutions et coups d'Etat peuvent être gagnés, contre ces valeurs, – avec les termes de Georges Burdeau – par le soutien de l'armée et de la police, le contrôle des stations émettrices de radio, l'occupation des ministères et même quelques mitrailleuses bien placées.

En conséquence, la thèse selon laquelle la réussite des révolutions et des coups d'Etat est liée au changement de l'idée de droit dominante dans la société ne coïncide pas avec les réalités sociologiques. Peut‑être qu'il y a une relation entre la réussite des révolutions et des coups d'Etat de l'idée de droit, mais c'est l'équilibre de force qui est déterminant, non pas le changement de l'idée de droit.

b. La critique de la notion de l'idée de droit

Même si l'on admet un instant que Georges Burdeau a raison, c'est‑à‑dire que la réussite des révolutions dépend du changement de l'idée de droit dominante dans la société, on peut adresser à la thèse de Georges Burdeau une deuxième critique. Cette critique consiste à dire que la notion de l'idée de droit sur laquelle Georges Burdeau fonde sa théorie est une notion indéfinissable. Comme on l'a vu plus haut, Georges Burdeau construit sa doctrine à partir de cette notion de l'idée de droit. Mais que veut dire l'idée de droit ? Que contient-elle ? Comment peut-elle se préciser ? Est-elle une notion objectivement définissable ? Dans les explications de Georges Burdeau, on ne trouve pas de définition claire de cette notion.

Cependant, dans son manuel de droit constitutionnel, à propos de cette notion, il précise que « la substitution  d'une idée de droit à une autre comme thème directeur de la vie sociale implique l'abrogation de l'organisation politico-sociale existante et son remplacement par un système juridique neuf »[30]. De cette phrase, on peut dégager deux particularités de la notion de l'idée de droit. Premièrement, l'idée de droit est envisagée comme « un thème directeur de la vie sociale », deuxièmement « la substitution d'une idée de droit à une autre implique l'abrogation de l'organisation politico-sociale existante et son remplacement par un système juridique neuf ».

Commençons par la deuxième particularité. Puisque la substitution de l'idée de droit implique l'abrogation de l'organisation politico-sociale existante, on peut dire qu'il y a un rapport entre l'idée de droit et l'organisation politico-sociale. Cependant relever ce rapport ne signifie pas la définition de l'idée de droit. Alors il nous reste la première particularité. Selon cette particularité, l'idée de droit est un thème directeur de la vie sociale. mais que veut dire être un « thème directeur de la vie sociale » ? A notre avis, on ne peut pas donner une réponse objective à cette question. De ce fait, la notion du thème directeur de la vie sociale est aussi une notion indéterminable comme celle de l'idée de droit.

En conséquence, la notion de l'idée de droit est une notion objectivement indéfinissable, autrement dit, une inconnue et que Georges Burdeau tend à expliquer une inconnue par une autre.

Egalement Georges Burdeau utilise cette notion de l'idée de droit dans ses autres ouvrages. Il a la première fois développé cette notion dans son ouvrage sur Le pouvoir politique et l'Etat. Dans cet ouvrage, il réserve une partie à part à l'examen de cette notion[31]. De même il emploie la notion de l'idée de droit dans sa théorie générale comme le fondement des autres notions, comme le pouvoir politique, comme la règle de droit. par exemple il définit le pouvoir comme « énergie de l'idée de droit ». Selon lui, le pouvoir est un phénomène juridique et ne se réduit pas à la force simple. Car, le pouvoir procède de l'idée de droit[32].

On peut appliquer ce raisonnement de Georges Burdeau sur le pouvoir constituant originaire aussi. Puisque le pouvoir est énergie de l'idée de droit, le pouvoir constituant est énergie constituante de l'idée de droit. Par conséquent le pouvoir constituant originaire est un phénomène juridique, car il est engendré par l'idée de droit.

Mais qu'est-ce que cette idée de droit ? Que signifie cette notion ? Que contient-elle ?

Georges Burdeau consacre plus de 50 pages dans Le pouvoir politique et l'Etat[33] et plus de 100 pages dans le Traité de science politique[34] à l'examen de l'idée de droit[35]. Pourtant on n'arrive pas à comprendre facilement ce que veut dire l'idée de droit. A propos de cette notion, Georges Burdeau affirme d'abord qu'elle est la représentation d'un certain mode d'organisation sociale, autrement dit, qu'elle est le fondement de l'aménagement de la vie d'un groupe, et de plus, elle doit être conforme au Bien commun[36].

D'autre part, en ce qui le contenu de l'idée de droit, Georges Burdeau affirme que l'idée de droit est une idée sociale et ne vise que le social[37]. Ensuite, l'idée de droit est une idée d'ordre, c'est‑à‑dire un plan de coordination totale des activités humaines, et elle implique un ordre à base de subordination. Dernièrement, l'idée de droit est une idée de l'avenir, en d'autres termes, une image créatrice de l'avenir[38].

Ici nous n'allons pas discuter l'exactitude de ces affirmations. Notons simplement que durant ces longues explications, on ne trouve pas de définition objective de l'idée de droit, de plus, tout ce qu'il a écrit à propos de cette notion, parait-il, est privée de cohérence.

Pour terminer, cotons les critiques adressées par Georges Scelle à la thèse de Georges Burdeau.

Selon Georges Scelle, le raisonnement de Georges Burdeau est peu scientifique[39], et la notion de l'idée de droit repose sur une confusion entre l'éthique et le juridique[40]. Georges Scelle qualifie l'ensemble de l'ouvrage de Georges Burdeau d'un « anthropomorphisme des ’Idées’ si proche de la fiction ou des illusions verbales »[41]. Et d'après lui, la notion de l'idée de droit « est avant tout politique » et elle n'a guère de contenu spécifiquement juridique »[42].Dans le raisonnement de Georges Burdeau, il y a toujours le syllogisme, l'aphorisme, l'habilité scolastique et le style et la tendance métaphysicienne de la pensée[43]. Il s'agit d'instaurer « une mystique transcendante à la réalité sociologique et historique »[44]. Et, « dans l'identification du Droit et du Pouvoir, il n'y a que spéculation gratuite et sociologie faussée »[45].

Georges Burdeau développe un nouveau concept. Mais selon Georges Scelle, «  le savant ne peut attacher de valeur à un concept que si celui-ci est la représentation ou la synthèse de réalités phénoménales expérimentalement établis »[46]. Et « les concepts ne peuvent donner une réalité à ce qui n'en a pas, et les concepts qui ne répondent pas à des réalités n'ont aucun droit de cité scientifique »[47]. Ainsi selon Georges Scelle« la valeur d'un concept, et d'un concept juridique, dépend de son rapport étroit avec la réalité phénoménal »[48]. Or le concept de l'idée de droit n'en a pas, par conséquent il n'est pas scientifique.

Concluons en empruntant les termes de Georges Burdeau dans sa thèse de doctorat contre Georges Burdeau dans son Traité. Sa notion de l'idée de droit « n'est pas ’juridique’, c'est‑à‑dire [elle] ne présente pas ce caractère normatif et nécessaire que renferme le droit de l'Etat. Aussi bien, il s'agit de croyances qui relèvent du domaine de la foi philosophique, bien plus que l'analyse scientifique »[49]. Et ses arguments « font appel uniquement à des considérations empruntées à la morale ou à la sociologie. Il nous semble, en effet, qu'il faut proclamer la plénitude de l'ordre juridique positif, mais de cet ordre seul, considéré comme un tout, capable, comme telle, de se suffire à lui-même, et laissant à la morale sa place en dehors du domaine propre du droit car ce domaine est suffisamment vaste pour qu'il soit inutile de chercher à l'étendre en y introduisant des questions qui lui sont étrangères »[50].

B. La thèse de Guy Héraud

1. Exposé

D'abord notons que le pouvoir constituant reçoit le nom de « pouvoir originaire » chez Guy Héraud. Il définit le pouvoir originaire comme le pouvoir le plus élevé dans la pyramide juridique interne[51].

Guy Héraud refuse d'utiliser le critère de validité interne en disant que « la juridicité du pouvoir originaire n'est dons pas une question que l'on doive poser et résoudre de la même façon que les problèmes de validité interne ; certes, aussi longtemps qu'il n'existe pas de super-Etat mondial, le pouvoir originaire n'est qu'un degré intermédiaire de l'ordre juridique total, et les compétences originaires sont ainsi déterminées par un droit super-étatique. Seulement cette détermination de compétence qui suffit à attribuer le caractère juridique à un sujet quelconque, ne suffit pas, quand il s'agit du pouvoir originaire, à rendre compte de sa juridicité »[52].

Selon Guy Héraud, le pouvoir originaire « tient son caractère juridique de sa puissance matérielle et non d'une règle supérieure qui lui déléguerait compétence »[53]. En d'autres termes, puisque le pouvoir originaire  est « un pouvoir assez puissant pour imposer socialement ses volontés, il constitue par ce la même un pouvoir juridique »[54]. Et si l'on considère « le pouvoir plus puissant, il n'a pas besoin pour être juridique d'une habilitation, ni d'une détermination de compétence ; il suffit qu'il règne effectivement dans un milieu social donné »[55]. En effet, « si le pouvoir originaire  n'était pas doté d'une puissance matérielle sans rivale, l'ordre normatif ne serait pas efficient, et aucune des règles ne mériterait le qualificatif de juridique »[56].

2. Critique

L'idée centrale de Guy Héraud c'est que la juridicité du pouvoir constituant originaire dépend de son efficacité. En d'autres termes, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir juridique, parce qu'il est efficace. C'est‑à‑dire qu'il utilise la notion de l'efficacité comme critère de juridicité.

Nous allons examiner plus les critères de juridicité. mais notons tout de suite que, comme on va en expliquer les raisons plus tard, la notion d'efficacité ne peut pas être acceptée comme critère de la juridicité d'une norme. Et par conséquent la théorie de Guy Héraud reste inadmissible.

C. La thèse de Maurice Duverger

Maurice Duverger, dans un article publié dans la Revue du droit public[57], essaye d'expliquer la légitimité des gouvernements de fait sur la base du droit positif.

On peut penser que les développements de Maurice Duverger restent en dehors de notre sujet. Parce que, d'une part, le sujet de l'article de Maurice Duverger est les « gouvernements de fait », et non pas le « pouvoir constituant originaire ». D'autre part, l'auteur examine la « légitimité » des gouvernements de fait, et non pas leur la « juridicité ».

certes la première objection est exacte. Car notre objet d'étude est le pouvoir constituant originaire et non pas les gouvernements de fait. Cependant, il est certain qu'il y a un rapport étroit entre le pouvoir constituant originaire et les gouvernements . Parce que les gouvernements de fait sont des événements du pouvoir constituant originaire, a vrai dire, ils sont une phase importante du processus du pouvoir constituant originaire. Sans doute l'éclairage de cette phase peut être très important pour relever la nature du pouvoir constituant originaire.

La deuxième objection elle aussi correspond à la vérité. Car le sujet de ce chapitre est la juridicité du pouvoir constituant originaire, non pas sa légitimité. mais Maurice Duverger, comme on va le voir plus bas, refuse d'examiner la légitimité des gouvernements de fait sur la base du droit naturel, il essaye de l'expliquer sur celle du droit positif. Et sur cette base, comme le sait, les notions de la légitimité et de la juridicité coïncident. dans ce cas, la deuxième objection perd son sens. parce que cette objection est construite sur l'hypothèse où il y a une différence entre la légitimité et la juridicité.

1. Exposé

Maurice Duverger examine d'abord la légitimité en droit naturel. L'auteur note que la conception jusnaturaliste de la légitimité « se heurte à d'insurmontables obstacles », puisqu'il s'agit d'une notion subjective et métaphysique. C'est pourquoi, Maurice Duverger refuse « le concept de légitimité des gouvernements par rapport au droit naturel » et il tente « de définir cette légitimité sur le seul terrain du droit positif »[58].

Maurice Duverger refuse également les thèses positivistes qui voient dans le pouvoir constituant originaire un pouvoir constituant extra-juridique et illimité, en affirmant que cette doctrine «  a le tort de considérer l'organe  constituant primitif comme le produit d'une sorte de génération spontanée, ne se rattachant à aucun acte antérieur à son établissement, ce qui est pratiquement faux et logiquement absurde. Lorsque Carré de Malberg écrit ; ‘tout organe, même celui qui est appelé à exercer llapuissance constituante, procède essentiellement de la Constitution, et tient d'elle sa capacité’, l'erreur apparaît en pleine lumière : car c'est la Constitution qui tire son autorité de l'organe constituant, et non l'organe constituant qui tire son autorité de la Constitution »[59]. Et ajoute-t-il d'une façon ironique : « Etant le père de la constitution, on voit mal comment l'organe constituant pourrait en être également le fils »[60] !

Après avoir adressé ces critiques au droit naturel et au positivisme juridique, Maurice Duverger commence à exposer la légitimité des gouvernements de fait selon sa propre conception.

Selon l'auteur,  « tout gouvernement de fait se réclame d'un certain nombre de principes juridiques, d'une certaine philosophie du droit, qu'il considère comme la base de son action présente, et qui formeront les fondements de régime régulier postérieurement organisé par une Constitution. Ces principes et cette philosophie n'ont pas seulement une importance politique, en tant qu'ils traduisent un programme d'action positive ; ils possèdent également une valeur juridique incontestable qu'on a trop souvent d'ailleurs tendance a minimiser »[61].

Maurice Duverger donne des exemples pour illustrer sa thèse. Le « décret du Gouvernement provisoire du 5 mars 1848 qui convoque l'Assemblée constituante, les décrets de gouvernement de la Défense Nationale du 8 septembre 1870 et du 29 janvier 1871 qui instaurent l'Assemblée Nationale impliquaient un choix parmi les doctrines relatives au pouvoir et à la souveraineté  : ils écartaient l'idée de droit divin et les théories autoritaires, pour affirmer la souveraineté nationale et la démocratie. Ce faisant, ils imposaient le même choix à l'organe constituant qu'ils instauraient, dans la rédaction de sa Constitution : il n'était pas possible, non seulement en pratique mais même en droit, aux assemblées de 1848 et de 1871 de faire des Constitutions contraires aux principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, en vertu desquels ces assemblées avaient été convoquées, et qui formaient ainsi le fondement de leur pouvoir »[62].

« En 1250, le jurisconsulte anglais Bracton écrivait : ’Le Roi a pour supérieur Dieu, et ensuite la loi qui l'a fait roi’ ». Maurice Duverger pense que cette affirmation explique parfaitement  »le mécanisme de cette limitation des organes constituants : le roi a pour supérieur la loi même qui l'a fait roi, parce qu'en touchant à cette loi, il mettrait en cause la source même de son pouvoir royal. De même, si un organe constituant reposant sur la souveraineté nationale proclamait dans la Constitution qu'il élabore la fausseté de ce principe, il ôterait par là-même tout fondement à son propre pouvoir constituant, et par conséquent toute valeur à sa Constitution »[63].

Maurice Duverger estime que « la thèse de l'indépendance juridique absolue de l'organe chargé d'élaborer une Constitution nouvelle ne résiste donc point à un examen rigoureux des faits : au contraire, en affirmant certains principes juridiques, d'après lesquels il définira la structure de cet organe, un gouvernement de fait aboutit par conséquent à engager dans une certaine mesure, à leur et à limiter sa compétence »[64].

Ainsi selon Maurice Duverger, le gouvernement de fait « s'engage, il se lie, il se limite lui-même : et l'on voit alors surgir une notion de légitimité qui demeure sur le seul terrain du droit positif. la légitimité d'un gouvernement de fait ne consiste plus dans la conformité de ses actes avec les principes de droit naturel, mais dans leur conformité avec les principes de droit positif qu'il a lui-même proclamés »[65]. « En les affirmant, en effet, déclare l'auteur, le gouvernement provisoire a posé les bases d'un ordre juridique nouveau, embryonnaire sans doute, mais déjà positif. Ces bases seront nécessairement celles de la future Constitution ; l'ordre juridique nouveau ne date donc pas de celle-ci : il lui est antérieur. Il naît généralement en même temps que le gouvernement de fait qui s'organise et après la chute de l'organe ancien : car une révolution n'est jamais un pur phénomène de force, elle s'accompagne toujours de l'affirmation d'une philosophie. Le triomphe de la révolution et la naissance du gouvernement qui en émane signifient donc l'avènement de nouveaux principes juridiques, qui commencent à s'appliquer immédiatement ; le suffrage universel ne date pas de la Constitution du 4 novembre 1848, mais du décret du gouvernement provisoire du 2 mars ; la souveraineté nationale n'a pas été mise en vigueur par la Constitution de 1791, mais par la décision des Etats généraux de se transformer en Assemblée constituante, en juillet 1789 »[66].

D'après Maurice Duverger, « un gouvernement de fait n'est donc pas libre de ses actes, son pouvoir n'est pas illimité : il doit se conformer aux principes qui forment ainsi l'ordre juridique nouveau que visait à établir la révolution qui l'a fait naître, et qui seront précisés et développés – mais non créés, ni abolis – par la future Constitution, élaborée elle-même par une autorité organisée selon ces principes. Dans la mesure seulement où il les respecte, le gouvernement de fait peut être considéré comme légitime »[67].

En comparant la légitimité d'un gouvernement de fait avec la légalité d'un gouvernement régulier, Maurice Duverger conclut  « Un gouvernement est légal dans la mesure où il se conforme aux principes juridiques régulièrement exprimés et formulés dans une Constitution. Un gouvernement de fait est légitime dans la mesure où il se conforme à des principes juridiques non encore inscrits dans une Constitution régulière, mais reconnus par lui-même comme le fondement de l'autorité et la base de la future Constitution. Si le gouvernement de fait viole ces principes, la situation juridique est à peu près identique à celle d'un gouvernement légal qui viole la Constitution »[68].

2. Critique

D'abord résumons la thèse de Maurice Duverger que nous venons d'exposer. La thèse de Maurice Duverger peut être considérée au fond comme une théorie d'autolimitation du pouvoir constituant originaire. Selon l'auteur, les gouvernements de  fait déclarent un certain nombre de principes juridiques et philosophiques, dès la prise du pouvoir. Ces principes constituent le fondement de la future constitution, et par conséquent ils ont une valeur, embryonnaire sans doute, mais déjà positive. En les affirmant, un gouvernement de fait, se lie, se limite lui-même. Ainsi un gouvernement de fait est légitime dans la mesure où il se conforme à ces principes.

Constatons d'abord la différence de la thèse de Maurice Duverger par rapport aux autres. Maurice Duverger refuse d'une part, la thèse positiviste selon laquelle le pouvoir constituant originaire est de nature extra-juridique et d'autre part, la conception jusnaturaliste de la légitimité. Il veut expliquer la légitimité des gouvernements de fait sur le seul terrain du droit positif. Mais en faisant cela, il ne veut être ni jusnaturaliste, ni positiviste.

a) Mais, cette approche différente de Maurice Duverger résout-elle le problème ? A notre avis, non. Le professeur Duverger lie l'ordre juridique aux principes qui sont proclamés par les gouvernements de fait avant même établissement de la constitution. C'est‑à‑dire, la date de naissance de l'ordre juridique n'est pas celle de la constitution, mais celle de la proclamation de ces principes. Cependant il faut remarquer que Maurice Duverger n'acceptent pas l'existence de ces principes avant leur proclamation par le gouvernement provisoire. En d'autres termes, ces principes n'existent pas avant que le pouvoir constituant originaire les exprime. Ainsi, ces principes ne naissent qu'après la formation d'un gouvernement provisoire. Cela veut dire que le professeur Duverger n'éclaire pas l'ensemble du processus du pouvoir constituant originaire ; il ne s'intéresse qu'à une phase de processus. Il nous propos un critère seulement pour la phase des gouvernements de fait. Ce critère est loin de résoudre le problème de l'origine du pouvoir constituant originaire, c'est‑à‑dire celui des révolutions. Car, répétons-le, ces principes ne se proclament qu'après la réussite de la révolution, avec la formation du gouvernement provisoire. Par conséquent, ils ne peuvent jouer un rôle que dans la période postérieure à la révolution. De ce fait, la période antérieure, c'est‑à‑dire la période révolutionnaire, reste non susceptible de la qualification juridique.

b) Nous venons de dire que le critère que propose Maurice Duverger est valable seulement pour la phase des gouvernements de fait, non pas pour l'ensemble du processus du pouvoir constituant originaire. Mais ce critère tel quel est-il fondé ? C'est‑à‑dire ces principes proclamés par les gouvernements de fait ont-ils une valeur juridique ? Et lient-ils vraiment les gouvernements de fait ?

A notre avis, non. Ces principes ne lient pas gouvernements de fait. D'abord, dans le cas où ils sont violés, par  la nature même de cette thèse, il n'existe pas d'organe qui va constater leur violation et par la suite, qui va appliquer les sanctions. D'autre part, il est logiquement impossible de lier les gouvernements de fait avec ces principes. Car, un sujet qui pose un principe est capable aussi de le changer à tout moment en respectant les règles de forme. De plus puisque l'on se trouve dans une phase du gouvernement de fait, il n'existe pas de règle de forme par définition même de cette période. Par conséquent, un gouvernement de fait se trouve dans l'impossibilité de violer les principes qu'il a posés. Parce que ces principes et les actes contraires à ceux-ci ont la même valeur en tant qu'actes émanant du même sujet. En d'autres termes, puisqu'il n'existe pas de hiérarchie entre eux, ni de règle de forme, il ne peut pas exister non plus de violation. Selon le principe lex posterior derogat a priori les actes contraires à ces principes doivent être interprétés comme leur modification, et non pas comme leur violation.

En conséquence, la thèse défendue par Maurice Duverger peut être considérée comme une théorie d'autolimitation du pouvoir constituant originaire. mais comme toute théorie d'autolimitation, cette théorie elle aussi est privée de la logique et du mécanisme qui vont assurer le respect du sujet auto-limité aux principes qu'il a adoptés.

III. L'appréciation générale du problème

A notre avis, la divergence des doctrines sur la nature juridique du pouvoir constituant originaire résulte du conflit entre les écoles du droit naturel et du positivisme juridique. C'est‑à‑dire que la nature du pouvoir constituant originaire dépend des conceptions de juridicité. De ce fait, le problème de la nature du pouvoir constituant originaire se transforme  en celui du sens de la notion de juridicité. En d'autres termes, celui qui veut savoir la nature juridique du pouvoir constituant originaire doit raisonner sur le sens du droit, non pas sur ce pouvoir ; et doit se poser les questions « qu'est-ce que le droit », « que signifie la juridicité » au lieu de celle « quelle est la nature du pouvoir constituant originaire ».

C'est pourquoi, nous allons d'abord rechercher ici une réponse à ces questions. En d'autres termes, nous allons d'abord essayer de définir le concept du droit, pour revenir au problème de la nature juridique du pouvoir constituant originaire.

Nous pensons que la nature juridique d'une norme peut être appréciée selon trois points de vue différents : la justice, l'efficacité et la validité.

A. Le critère de justice : l'Ecole du droit naturel

Le problème de la justice d'une norme s'apprécie par un certain nombre d'idéals. Pour savoir si la norme est juste ou non, il faut comparer cette norme avec ces idéals. Si la norme est conforme à ces idéals, elle est juste ; si ce n'est pas le cas, elle est injuste. En d'autres termes, on cherche s'il y a une coïncidence entre le « monde réel » et le « monde idéal » ; entre « ce qu'il est » et « ce qu'il doit être ». C'est pourquoi, le problème de justice d'une norme est un problème déontique du droit.

A notre avis, la justice ne peut pas être le critère de la juridicité. Car, le problème de la justice d'une norme est résolu dans un jugement de valeur. cela veut dire que la recherche de justice d'une norme nécessite une comparaison de cette norme avec une valeur qui réside en dehors de celle-ci.

L'école du droit naturel constitue l'exemple historique de ce critère. Selon la conception jusnaturaliste du droit, la « justice » est le critère du droit. En d'autres termes, le droit est identifié à la justice. A cet égard, on peut brièvement définir la conception jusnaturaliste du droit comme une conception qui dit qu'« une loi pour être loi doit être juste ». Autrement dit, selon cette conception, « le droit doit être juste ». Un acte,  pour avoir la qualité « juridique », doit être conforme à la justice.

Ainsi on peut dire que selon la conception jusnaturaliste du droit, le pouvoir constituant originaire est juridique dans la mesure où il est conforme à la justice.

La critique la plus destructive qui est adressée à la conception jusnaturaliste du droit se concentre sur le fait qu'il n'existe pas de critère universel et objectif qui permet de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui injuste ». D'ailleurs on ne peut pas obtenir un tel critère par voie de l'observation de la nature. Et si cela est exact, la question suivante est inévitable : à qui appartient la tâche de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui est injuste » ? Il y a deux réponses probables à cette question. Selon la première, la tache de déterminer « ce qui est juste« » appartient à ceux qui détiennent le pouvoir. Il est évident que cette réponse nous éloigne du droit naturel, pour nous emmener au positivisme étatique. Selon la deuxième réponse, cette tâche appartient à tous les citoyens. Mais dans cette hypothèse-là, les principes de la justice présentent nécessairement un caractère largement subjectif. Car, ces principes sont conçus « par chaque homme selon les données de sa propre conscience ; il y a sans doute des éléments communs à ces différentes conceptions personnelles ; mais l'expérience prouve la difficulté de les dégager, faute d'une autorité capable de les formuler d'une façon indiscutable et infaillible. En fait, chacun demeure libre de concevoir le droit naturel selon les exigences de sa propre conscience »[69].

D'autre part, comme l'a bien montré Hans Kelsen, il n'existe pas de valeur absolue. « Toutes les valeurs morales sont relatives. Ceci étant admis, on ne peut attribuer à l'affirmation que des normes sociales ne peuvent être considérées comme droit que si leur contenu est moral, est juste »[70]. Et « étant donné l'extraordinaire diversité de ce que les hommes tiennent pour bon ou mauvais, pour juste ou pour injuste, selon les époques et selon les lieux, on ne peut constater l'existence d'aucun élément commun à tous les ordres moraux »[71]. Par conséquent, « il faut distinguer l'un de l'autre le droit et la morale en général, le droit et la justice en particulier »[72].

A la lumière de ces critiques générales, on peut affirmer que les thèses jusnaturalistes sur la nature du pouvoir constituant originaire ne sont pas fondées . Car, l'idée de justice selon chaque individu ; c'est‑à‑dire que chaque individu peut apprécier comme il l'entend la nature du pouvoir constituant originaire? Dans ce cas, le pouvoir constituant originaire serait de nature juridique pour les uns ; et de nature non juridique pour les autres. Il est évident qu'un tel résultat n'est pas objective, ni scientifique, et par conséquent non admissible.

 

B. Le critère d'Efficacité : l'école sociologique et la doctrine réaliste américaine

Le problème de l'efficacité d'une norme juridique consiste en le fait qu'elle est suivie ou obéie par ceux sur la conduite desquelles elle porte »[73]. En d'autres termes, la norme est efficace parce qu'elle est exécutée en fait par les individus qui sont les destinataires, en un mot parce qu'elle est obéie. Mais les causes de cette obéissance ne sont pas importantes. Il se peut que cette obéissance soit provoquée par différents motifs : soit par la crainte des sanctions du droit, soit par la crainte des sanctions de Dieu, soit par seulement le souhait d'éviter certains désavantages sociaux[74].

L'exemple historique de cette théorie est l'école sociologique en Europe et la doctrine réaliste aux Etats-Unis. Selon ces courants, le vrai droit est celui effectivement appliqué et obéi dans les relations quotidiennes des hommes, non pas celui qui est exprimé dans les lois. Autrement dit, ces courants considèrent seulement les normes qui sont effectivement appliquées et obéies comme normes juridiques. Par exemple, selon Alf Ross, « le droit vise à la connaissance de la conduite effective des hommes » et « le droit doit être décrit, non pas comme un système de normes valables, mais comme un agrégat d'actes effectifs de conduites humaines ». « Le droit n'est pas une norme, mais une conduite effective »[75].

A notre avis, l'efficacité ne peut pas être admis comme le critère de la juridicité. Parce que la recherche de l'efficacité d'une norme est une recherche sociologique et psychologique qui nécessite l'examen des comportements d'un groupe social. En d'autres termes, l'efficacité s'apprécie elle-même sur le plan du fait. C'est pourquoi, le problème de l'efficacité d'une norme est un problème phénoménologique du droit, et par conséquent il reste en dehors de la science du droit.

 

 

C. Le critère de validité : l'Ecole positiviste

La validité d'une norme se définit par le fait qu'elle fait partie ou non d'un ordre juridique déterminé. En d'autres termes, la validité d'une norme se détermine par son appartenance à un ordre normatif donné, non pas par une qualité factuelle et abstraite émanant de son contenu.

On voit l'exemple historique de cette théorie dans l'école positiviste. par exemple, selon Kelsen, une norme pour faire partie de l'ordre juridique, c'est‑à‑dire pour être valable, doit être avoir été élaborée conformément aux conditions posées par une norme supérieure et préalable. « Une norme dit Kelsen, n'est pas valable parce qu'elle est créée d'une certaine façon, et plus précisément, d'une façon qui est déterminé par une [autre] norme... »[76]. En d'autres termes, le fondement de la validité d'une norme est toujours une autre norme. La norme ne peut naître que d'une norme préexistante. Une norme est engendrée par une autre. Selon cette solution, on peut dégager deux hypothèses : Si un acte repose sur une norme juridique préalable, il est valable, par conséquent juridique ; si ce n'est pas le cas, il n'est pas valable, par conséquent, il n'est pas juridique.

A notre avis, le critère de la juridicité est celui de la validité, non de la justice, ni l'efficacité. Car, le critère de validité nécessite une recherche de type empirique et rationnel (la comparaison d'une norme avec une autre), tandis que le critère de justice nécessite une recherche déontique (la comparaison d'une norme avec un idéal, avec une valeur morale) et celui d'efficacité, une recherche phénoménologique (la comparaison de la norme avec une conduite humaine effectivement appliquée). C'est pourquoi, ces deux derniers restent en dehors de la science du droit.

* * *

Maintenant recherchons la juridicité du pouvoir constituant originaire selon le critère de validité.

Comme on l'a vu dans le chapitre préliminaire, le pouvoir constituant originaire est le pouvoir de faire une nouvelle constitution. Dans ce but, il abolit d'abord la constitution existante. Il est évident que cet acte n'est pas prévu par la constitution abolie. C'est‑à‑dire que l'acte de l'abolition de la constitution ne repose pas sur une norme juridique préexistante. Cela veut dire que cet acte n'est pas valable, par conséquent il n'est pas juridique. D'autre part, le pouvoir constituant originaire établit une nouvelle constitution. Il est aussi évident que cet acte n'est pas régi par l'ancienne constitution. C'est‑à‑dire que l'acte d'établissement d'une constitution nouvelle ne repose pas sur une règle juridique préalable. cela veut dire que cet acte n'est pas valable, par conséquent il n'est pas juridique.

Ainsi nous arrivons à la thèse positiviste : le pouvoir constituant originaire est un pouvoir de nature non juridique[77].

 

Chapitre premierLa question de La nature juridique du pouvoir constituant originaire          10

I. Les thèses selon lesquelles le pouvoir constituant originaire est un pouvoir constituant de nature extra-juridique........................................................................................................................ 10

A. La thèse de Carré de Malberg............................................................................... 11

B. La doctrine de Georges Burdeau dans sa thèse de doctorat............................... 13

C. La thèse de Mundhir el Shawi............................................................................... 14

II. Les thèses selon lesquelles le pouvoir constituant originaire est un pouvoir juridique 15

A. La thèse de Georges Burdeau............................................................................... 15

1. Exposé........................................................................................................... 15

2. Critique.......................................................................................................... 16

a. La critique de sens des révolutions.................................................... 17

b. La critique de la notion de l'idée de droit.......................................... 18

B. La thèse de Guy Héraud........................................................................................ 22

1. Exposé........................................................................................................... 22

2. Critique.......................................................................................................... 23

C. La thèse de Maurice Duverger.............................................................................. 23

1. Exposé........................................................................................................... 24

2. Critique.......................................................................................................... 27

III. L'appréciation générale du problème........................................................................... 29

A. Le critère de justice : l'Ecole du droit naturel.................................................... 30

B. Le critère d'Efficacité : l'école sociologique et la doctrine réaliste américaine 32

C. Le critère de validité : l'Ecole positiviste........................................................... 33

 


 

[1]. Pour ne pas donner une fausse interprétation aux thèses sur la nature juridique du pouvoir constituant originaire, il convient d'abord de déterminer le sens du mot « juridique ». Ce mot a principalement deux sens : l'un est large l'autre restreinte. dans le sens large, le mot « juridique » signifie « ce qui concerne le droit » ; dans le sens restreint, il signifie « ce qui est conforme au droit » ou bien ce qui résulte du droit ».

Dans notre étude, nous utilisons le mot « juridique » dans son sens restreinte. En effet, lorsque le mot « juridique » est pris dans son sens large, notre débat perde tout son sens. Parce qu'un pouvoir qui fait la constitution, qui établit l'ordre juridique est, avant tout, de nature juridique dans le sens large ; car naturellement en tant que son créateur, il concerne le droit. Dans ce sens-là, on peut dire que, dans la doctrine positiviste même, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir « juridique », car en créant le droit, il le concerne. C'est pourquoi, nous entendons dans notre travail par le mot « juridique » son sens restreint, c'est‑à‑dire, « ce qui est conforme au droit » ou bien « ce qui résulte du droit ».

 

[2]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.490.

 

[3]Ibid.

 

[4]Ibid., p.490-491.

 

[5]Ibid., p.491.

 

[6]Ibid., p.491-492. C'est nous qui soulignons.

 

[7]Ibid., p.496.

 

[8]Ibid., p.496-497.

 

[9]Ibid., p.497.

 

[10]Ibid. C'est nous qui soulignons.

 

[11]. On sait qu'il y a deux phases dans la pensée juridique de Georges Burdeau. Etant un positiviste ardent dans sa thèse de doctorat (1930), il rompt avec ce « péché de jeunesse » (l'expression utilisée par Shawi (op. cit., p.16) à propos de revirement de Georges Burdeau) dans son ouvrage Pouvoir politique et l'Etat (Paris, L.G.D.J., 1943) où il écrira « dans cette controverse qui oppose les partisans du droit naturel aux positivistes, nous ne saurions prendre parti » (p.79) ; pour finir, dans son Traité de science politique (Paris, L.G.D.J., 1950) par accuser le positivisme de « réduire la science juridique à l'exégèse des procédures » (t.III, p.18).

L'exemple de Georges Burdeau est significatif. A cette occasion, notons qu'il est intéressant de constater qu'après la Deuxième Guerre mondiale, il y a eu un certain revirement doctrinal sur la nature du pouvoir constituant. Les thèses positivistes ont perdu du terrain au profit de celles du droit naturel.

 

[12]. Georges Burdeau, Essai d'une théorie de la révision des lois constitutionnelles en droit français, (Thèse pour le doctorat en droit, Faculté de droit de Paris), Paris, Macon, 1930, p.XV.

 

[13]Ibid., p.XXII.

 

[14]Ibid., p.XXI.

 

[15]Ibid.

 

[16]. Mundhir el Shawi, Contribution à l'étude du pouvoir constituant, (Thèse, Faculté de droit de Toulouse, Multigraphiée par le Centre d'éditions universitaires de l'A.G.E.T., Juin 1961)., p.21.

 

[17]Ibid., p.58-59.

 

[18]Ibid., p.60.

 

[19]. Burdeau, Traité..., op. cit., t.IV, p.200.

 

[20]Ibid., p.202.

 

[21]Ibid.

 

[22]Ibid.

 

[23]. Georges Burdeau, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, L.G.D.J., 14e édition, 1969, p.19-80.

 

[24]. Burdeau, Traité..., op. cit., t.IV, p.202.

 

[25]Ibid.

 

[26]. Burdeau, Droit constitutionnel..., op. cit., 14e éd., p.80.

 

[27]Ibid.

 

[28]Ibid.

 

[29]. Pactet, op. cit., p.162.

 

[30]. Burdeau, Droit constitutionnel..., op. cit., 14e éd., p.80.

 

[31]. Georges Burdeau, Le pouvoir politique et l'Etat, Paris, L.G.D.J., 1943, p.58-114.

 

[32]Ibid., p.1466150.

 

[33]op. cit., p.55-114.

 

[34]. Georges Burdeau, Traité de science politique, Paris, L.G.D.J., 3e édition, 1980, t.I, vol.I, p.218-350.

 

[35]. Notons que l'analyse détaillée de cette notion n'est pas notre objectif. Car, elle est trop vaste, trop vague pour être abordée ici. Nous n'allons faire que quelques remarques sur cette notion.

 

[36]. Burdeau, Le pouvoir politique et l'Etat, op. cit., p.58-64 ; Burdeau, Traité..., op. cit., t.I, vol. 1, p.222-229.

 

[37]. Burdeau, Traité..., op. cit., t.I, vol.I, p.259-266.

 

[38]Ibid., t.I, vol.1, p.306-312.

 

[39]. Georges Scelle, « Pouvoir étatique et droit des gens », Revue du droit public, 1943, p.195.

 

[40]Ibid., p.192.

 

[41]Ibid., p.195.

 

[42]Ibid.

 

[43]Ibid., p.198.

 

[44]Ibid.

 

[45]Ibid., p.200.

 

[46]Ibid., p.195.

 

[47]Ibid.

 

[48]Ibid., p.198.

 

[49]. Burdeau, Essai d'une théorie de la révision des lois constitutionnelles, op. cit., p.XXI.

 

[50]Ibid.

 

[51]. Guy Héraud, L'ordre juridique et le pouvoir originaire, (Thèse pour le doctorat en droit, Faculté de droit de Toulouse), Paris, Sirey, 1946, p.183.

 

[52]Ibid., p.457.

 

[53]Ibid., p.143.

 

[54]Ibid., p.458.

 

[55]Ibid.

 

[56]. 457.

 

[57]. Maurice Duverger, « Contribution à l'étude de la légitimité des gouvernements de fait », Revue du droit public, 1945, p.73-100.

 

[58]Ibid., p.77.

 

[59]Ibid., p.78-79.

 

[60]Ibid. Avant de passer à la critique de la thèse de Maurice Duverger, notons tout de suite que la critique qu'il a adressé à Carré de Malberg résulte du fait qu'il a confondu le pouvoir constituant originaire avec le pouvoir constituant dérivé (pouvoir de révision constitutionnelle). Car la citation en question est faite du titre n° 445 de Contribution à la théorie générale de l'Etat (op. cit., t.II, p.500) où Carré de Malberg examine le « système juridique de la révision de la Constitution par l'organe régulièrement désigné à cet effet », c'est‑à‑dire, le pouvoir constituant dérivé, tandis qu'il examine, dans les titres n°442 (Ibid., p.490) et n° 444 (Ibid., p.495), la question de l'origine de la première constitution et les « cas dans lesquels les changements de Constitution cessent d'être régis par le droit« ,  le pouvoir constituant originaire. Il est évident que quand Carré de Malberg écrit que « tout organe, même celui qui est appelé à exercer la puissance constituante, procède essentiellement de la Constitution et tient d'elle sa capacité » (Ibid., p.500), il vise par là le pouvoir constituant dérivé, non pas le pouvoir constituant originaire. Et pour le pouvoir constituant dérivé, l'affirmation de Carré de Malberg est exacte.

L'erreur commise par Maurice Duverger est une confusion habituelle entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé. Mais cette erreur ne résulte pas seulement d'une simple ignorance sur les modalités des pouvoir constituant, mais aussi d'une mauvaise foi. Car, il aurait pu lire le titre du paragraphe duquel il a tiré la citation. Ainsi il pouvait voir que Maurice Duverger parle, là, du pouvoir constituant dérivé. De même Georges Burdeau commet la même erreur en citant celle du Maurice Duverger (Voir Burdeau, Traité..., op. cit., t.IV, p.200, note 69).

 

[61]Ibid., p.77-78.

 

[62]Ibid., p.79.

 

[63]Ibid.

 

[64]Ibid., p.80.

 

[65]Ibid.

 

[66]Ibid.

 

[67]Ibid., p.80-81.

 

[68]Ibid., p.81.

 

[69]. Duverger, op. cit., p.77.

 

[70]. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Traduction française de la 2e édition de la « Reine Rechtslehre » par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, p.87.

 

[71]Ibid.

 

[72]Ibid., p.90.

 

[73]Ibid., p.16.

 

[74]Ibid., p.284.

 

[75]. Alf Ross, Toward a Realistic Jurisprudence, Copenhague, 1946, cité par Kelsen, op. cit., p.282 et 286.

 

[76]. Kelsen, op. cit., p.261.

 

[77]. Notons que la juridicité de la constitution est un autre problème. Nous pensons que ce problème reste en dehors de notre sujet qui consiste à examiner l'acte d'abolir et d'établir la constitution, non pas à examiner la constitution elle-même. En d'autres termes, nous examinons le pouvoir constituant originaire lui-même, non pas l'oeuvre de celui-ci. Cependant précisons que la juridicité de la constitution­ en tant que source de l'ordre juridique est généralement acceptée. A vrai dire, la juridicité de la constitution n'est pas une réalité, mais juste un postulat qui est nécessaire pour expliquer la juridicité de l'ordre juridique.

Comme on l'a expliqué plus haut, une norme est juridique dans la mesure où elle repose sur une autre norme préexistante. En d'autres termes, le fondement de la validité d'une norme est toujours une autre norme. Ainsi, pour expliquer la juridicité des normes juridiques, on construit une chaîne des normes allant de l'une à l'autre. puisque cette chaîne ne peut pas s'allonger infiniment, il est inévitable e s'arrêter sur un certain point. Or ce point correspond à la constitution. Au-delà de la constitution, il n'existe plus de norme sur laquelle la constitution peut reposer. Autrement dit, le fondement de la validité de toutes les autres normes est, en dernière analyse, la constitution. Mais quel est le fondement de la validité de la constitution ? les théoriciens du droit, pour échapper à  cette impasse, ont dû inventer le postulat de la validité de la norme fondamentale. Par exemple, selon Kelsen, la norme fondamentale « ne peut être que ’supposée’ » (op. cit., p.261).

A notre avis, il faut admettre que le résultat d'un acte non juridique peut être juridique. Car, – le droit n'étant pas éternel – si cela n'était pas possible aucune règle de droit ne pourrait pas naître.

D'ailleurs dire que le pouvoir constituant originaire est de nature non juridique n'est pas un jugement de valeur. Un mouvement du pouvoir constituant originaire peut être au profit du pays, tandis qu'il est de nature non juridique. On entend par là, simplement, que le pouvoir constituant originaire fonctionne en dehors des règles juridiques. L'appréciation de la valeur d'un pouvoir constituant originaire du point de vue des intérêts du pays est un autre problème.  

 
 
 
Deuxième chapitre
le titulaire du pouvoir constituant originaire

 

 

Après avoir vu le problème de la nature juridique du pouvoir constituant originaire, maintenant nous allons voir celui du titulaire de ce pouvoir.

Le problème du titulaire du pouvoir constituant originaire suscite beaucoup de discussions[1].

Selon les auteurs positivistes, le titulaire du pouvoir constituant originaire se détermine par les circonstances de force. Par exemple, Carré de Malberg estime que « les mouvements révolutionnaires et les coups d'Etat... constituent des actes de violence et s'opèrent, par conséquent, en dehors du droit établi par la constitution en vigueur. Dès lors, il serait  puéril de se demander, en pareil cas, à qui appartiendra l'exercice légitime du pouvoir constituant. A la suite d'un bouleversement politique résultant de tels événements, il n'y a plus, ni principes juridiques, ni règles constitutionnelles : on ne se trouve plus ici sur le terrain du droit, mais en présence de la force. Le pouvoir constituant tombera aux mains du plus fort. Tantôt on verra, au lendemain d'un coup d'Etat, un dictateur imposer au pays une Constitution qui sera son oeuvre personnelle »[2]. Pendant la Révolution, « le peuple n'a plus de ‘représentants’ réguliers. Ainsi, entre la Constitution ancienne... et la Constitution nouvelle... la puissance constituante de la nation  n'aura d'autres organes que les personnages ou les corps, qui, à la faveur des circonstances, seront parvenus à mettre la main sur elle »[3]. Georges Burdeau, lui aussi, dans sa thèse de doctorat, affirme que « la première constitution d'un Etat résulte forcément de circonstances qui ne ressortent pas d'une théorie juridique »[4].

D'autre part, Roger Bonnard estime que « le pouvoir constituant pourrait appartenir au gouvernement de fait qui s'est établi spontanément à la chute du régime politique renversé par la révolution »[5]. Mais pour cela il faut qu'il y ait « nécessité et urgence à ce que la nation soit dotée d'un gouvernement, on n'a pas le temps de constituer un régime politique suivant les formes régulières ». Ainsi, « c'est dans ces conditions que le gouvernement de fait peut détenir et exercer  le pouvoir constituant originaire »[6].

Selon Shawi, la nature du pouvoir constituant originaire; comme on l'a vu plus haut, se réduit à celle du pouvoir politique. Car, d'après lui, le pouvoir constituant n'est autre chose que « le pouvoir politique vu sous son aspect organisateur ». Ainsi, le problème du titulaire du pouvoir constituant originaire devient plus aisé à résoudre. « En effet, dit-il, il suffit de rechercher, tout simplement, dans chaque groupe politique le titulaire réel du pouvoir politique. Ainsi ce serait ce titulaire, ou plus exactement ce détenteur du pouvoir politique qui serait en même temps titulaire, ou si l'on veut détenteur du pouvoir constituant. Par conséquent le pouvoir constituant appartient aux détenteurs de la force politique prépondérante dans le groupe social... Ainsi, le pouvoir constituant appartient automatiquement aux véritables détenteurs du pouvoir politique, sans autre considération aucune. Or il n'y a pas d'autres détenteurs du pouvoir que les gouvernants. Ce sont donc les gouvernants qui seront les titulaires du pouvoir constituant »[7].

Selon Georges Burdeau, le titulaire du pouvoir constituant originaire se détermine en fonction  de l'idée de droit. « Le pouvoir constituant, affirme l'auteur, appartient à l'individu ou groupe en lequel s'incarne, à un moment donné, l'idée de droit. Le titulaire du pouvoir constituant originaire peut ainsi être le peuple, lorsque c'est lui qui en l'absence de tout chef reconnu et consenti, est le porteur direct de l'idée de droit. Mais ce titulaire peut aussi être un individu, le chef en qui s'incarne toute l'énergie de l'idée de droit »[8].

D'autre part, les théoriciens de la souveraineté attribuent le pouvoir constituant originaire à un titulaire qui se détermine selon leur conception[9]. Par exemple, selon les théoriciens du droit divin, l'origine du pouvoir réside dans la volonté de Dieu, et le titulaire du pouvoir est le roi sacré qui est reçu une attribution surnaturelle[10]. Il résulte de cela que l'origine du pouvoir constituant originaire se trouve dans la volonté de Dieu, et par conséquent il appartient au roi qui est le lieutenant de Dieu. Par contre, selon la théorie de la souveraineté populaire, le titulaire du pouvoir constituant originaire ne pourrait être que le peuple. Parallèlement, les théoriciens de la souveraineté nationale défendent que ce pouvoir appartient à la nation[11].

A notre avis, il n'est pas nécessaire de discuter le bien fondé de ces thèses. En effet, en partant d'une hypothèse, on peut arriver à une certaine solution. Par exemple, en partant de la théorie de la souveraineté nationale, on peut affirmer que le pouvoir constituant originaire doit appartenir à la nation, et par conséquent l'attribution de ce pouvoir à un monarque est contraire au principe de la souveraineté nationale. C'est une solution cohérente, mais à vrai dire elle ne signifie rien. En partant d'une autre hypothèse, on peut obtenir une autre solution qui est aussi valable que celle-ci. Ce qui est important, ce sont les hypothèses, non pas les résultats. Et entre ces hypothèses, on ne peut pas faire un choix objectif. Toutes ces hypothèses ont la même valeur en tant qu'hypothèses. Revenons à notre exemple. l'attribution du pouvoir constituant originaire à un monarque est contraire à la théorie de la souveraineté nationale ; mais conforme aux théories théocratiques de la souveraineté, surtout à celle du droit divin surnaturel. D'ailleurs, ce problème ne nous intéresse point. L'attribution du pouvoir constituant originaire à tel ou tel sujet peut être conforme ou contraire à tel ou tel principe. Mais ceci ne signifie pas qu'elle est contraire ou conforme au droit. Car, selon nous, le droit se définit par le critère de validité, non pas par tel ou tel principe. En d'autres termes, l'attribution du pouvoir constituant originaire à un monarque ou à un dictateur peut être contraire à la théorie de la souveraineté nationale ; mais ceci ne veut pas dire qu'elle est aussi contraire au droit. car, répétons-le, le droit se définit par le critère de validité, non pas par la théorie de la souveraineté nationale.

Pour nous le problème du titulaire du pouvoir constituant originaire dépend logiquement de la nature de ce pouvoir. Nous sommes alors obligé de résoudre ce problème conformément à notre conclusion sur sa nature. Comme nous admettons qu'il n'est qu'un pur fait, le problème du de son titulaire demeure en dehors du droit. Par conséquent, la question de savoir qui est le titulaire du pouvoir constituant originaire est une question à laquelle on ne peut pas donner une réponse juridique. En d'autres termes, le problème du titulaire du pouvoir constituant originaire est un problème, peut-être sociologique, mais en tout cas non juridique.

Par ailleurs, on ne peut pas savoir lequel entre les titulaires probables de fait du pouvoir constituant originaire est conforme au droit, lequel y est contraire. car, le pouvoir constituant originaire, en toute hypothèse est un pouvoir constituant non juridique. C'est pourquoi, il n'y a aucune différence juridique entre son attribution à la nation ou à un dictateur. Son attribution à la nation plutôt qu'à un dictateur ne le rend pas le plus juridique.

 

Deuxième chapitrele titulaire du pouvoir constituant originaire.............................. 35

 


 
[1]. Georges Burdeau et Mundhir el Shawi, dans leurs thèses, notent que quand on parle du pouvoir constituant, on pense toujours à son rôle (Burdeau, Essaie d'une théorie de la révision des lois constitutionnelles, op. cit., p.XIV ; Shawi, op. cit., p.7). Pourtant, il est intéressant de voir que, dans la doctrine constitutionnelle, plusieurs auteurs s'intéressent à son titulaire plutôt qu'à ses autres particularités. Dès les origines de l'idée du pouvoir constituant, la question « a qui appartiendra ce pouvoir » a fasciné plusieurs auteurs. Par exemple, Sieyès, son principal explorateur même, parle plus de son que du pouvoir constituant en lui-même. De plus, il y a des auteurs qui déclarent qu'en ce qui concerne le pouvoir constituant originaire, « la seule véritable question est celle du titulaire de ce pouvoir » (Dominique Turpin, Droit constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992, p.81). Ainsi plusieurs auteurs, au lieu d'examiner ce pouvoir en lui-même, se sont passionnés pour son titulaire. Et selon leur conviction politique et philosophique, ils ont proposé un titulaire à ce pouvoir.

 

[2]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.496.

 

[3]Ibid., p.497.

 

[4]. Burdeau, Essaie d'une théorie de la révision des lois constitutionnelles, op. cit., p.XXII.

 

[5]. Roger Bonnard, « Les actes constitutionnels de 1940 », Revue du droit public, 1942, p.58.

 

[6]Ibid., p.59.

 

[7]. Shawi, op. cit., p.61-62.

 

[8]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 14e éd., p.79.

 

[9]. A cet égard, notons que Walter Leisner, dans sa thèse, identifie le pouvoir constituant à la souveraineté. Selon lui, « la principale manifestation de la souveraineté en droit interne est le pouvoir constituant » (Walter Leisner, Le pouvoir constituant, Thèse pour le doctorat en droit, Université de Paris, Faculté de droit, mai 1956, dactyl., p.112). Et il examine les théories de la souveraineté au lieu du titulaire du pouvoir constituant originaire (Voir Ibid., p.6-111).

 

[10]. Héraud, op. cit., p.396.

 

[11]. Par exemple, selon Sieyès, pouvoir constituant appartient à la nation. D'après lui, la nation est « la source et le maître suprême de toute loi de droit positif » (Qu'est ce que le Tiers Etat ?, ch. V, édition de Zapperi, op. cit., p.183). « La nation existe avant tout, elle est l'origine de tout » (Ibid., ch.V, p.180). Cependant Sieyès acceptait le régime représentatif en matière de pouvoir constituant. « Puisqu'une grande nation ne peut s'assembler elle-même en réalité toutes les fois  que des circonstances hors de l'ordre commun pourraient l'exiger, il faut qu'elle confie à des représentants extraordinaires » le pouvoir constituant. « Un corps de représentants extraordinaires suppléé à l'assemblée de cette nation... il ne lui faut qu'un pouvoir spécial... Ils sont mis à la place de la nation elle-même ayant à régler  la constitution. Ils en sont indépendants comme elle » (Ibid., ch.V, p.185). En résumé selon Sieyès, le pouvoir constituant appartient à la nation ; pourtant il peut être exercé par ses représentants extraordinaires.

 
 
 
Troisième chapitre
Les limites du pouvoir constituant originaire

 

 

La question de savoir si le pouvoir constituant originaire est limité est une question très controversée. Pour les uns, le pouvoir constituant originaire est limité ; pour les autres, illimité.

I. La thèse selon laquelle le pouvoir constituant originaire est limité

Les défenseurs de cette thèse fondent la limitation du pouvoir constituant originaire de manières très différentes. Ils proposent diverses limites à l'exercice de pouvoir. Nous allons voir ici deux d'entre elles : la limitation du pouvoir constituant originaire par les droits de l'homme et par le droit international.

A. La limitation du pouvoir constituant originaire par les droits de l'homme

La figure habituelle utilisée dans le fondement de la limitation du pouvoir constituant originaire est celle des droits de l'homme. Selon une opinion assez répandue, tous les pouvoirs sont limités par les droits de l'homme, y compris le pouvoir constituant originaire. L'établissement des constitutions est la tâche du pouvoir constituant originaire, pourtant ce pouvoir ne peut pas faire une constitution selon son bon gré. Les constitutions elles-mêmes sont limitées par les droits de l'homme. Ainsi René Château affirme que, « dans une démocratie véritable les droits de l'individu sont supérieurs à tout, à tous les pouvoirs, et même au pouvoir constituant »[1].

Il est intéressant de voir que l'idée de la limitation du pouvoir constituant par les droits de l'homme se trouve aussi chez Sieyès, explorateur principal de la notion du pouvoir constituant. Sieyès devant le comité de Constitution, en juillet 1789, déclarait que « toute union sociale, et par conséquent, toute constitution politique, ne peut avoir pour objet que de manifester, d'étendre et d'assurer, les droits de l'homme et du citoyen. Les représentants de la nation française doivent d'abord s'attacher à reconnaître ces droits ; leur exposition raisonnée doit précéder le plan de Constitution, comme en étant le préliminaire indispensable. Reconnaître et exposer ces droits, c'est présenter à toutes les Constitutions politiques l'objet ou le but que toutes sans distinction doivent s'efforcer d'atteindre »[2].

Cette idée se retrouve également dans la Déclaration des droits de l'homme et di citoyen. Le préambule de la Déclaration rappelle que « l'ignorance, l'oubli ou le merci des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements ». L'article 2 spécifie que le « but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme ». L'article 16 conclut que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée... n'a point de constitution ». En résumé, selon la conception de la Déclaration de 1789, la constitution a pour objet de garantir les droits de l'homme. Par conséquent, le pouvoir constituant originaire qui fait la constitution se trouve limité logiquement par ce but.

Critique. – A notre avis, cette thèse repose sur une erreur fondamentale : elle confond ce qui est avec ce qui doit être. car dire que le pouvoir constituant originaire est limité est autre chose que de dire qu'il doit être limité. A cet égard, la thèse de la limitation du pouvoir constituant originaire exprime ce qui doit être, non pas ce qui est. De plus, quand on regarde de point de vue de ce qui est, on voit que les pouvoirs constituants originaires ne sont pas liés par les droits de l'homme, au contraire, dans la mesure où ils en ont trouve l'occasion et en ont la possibilité, ils n'hésitent pas à violer les droits de l'homme. On peut donc conclure que la thèse de la limitation du pouvoir constituant originaire est loin des réalités. D'ailleurs ce que discute cette thèse est ce par quoi, et non pas comment le pouvoir constituant originaire est limité. Les défenseurs de cette thèse doivent d'abord prouver comment le pouvoir constituant originaire est limité, avant de dire qu'il est limité par quelque chose. En conséquence, cette thèse est entachée d'une erreur fondamentale de l'argumentation.

B. La limitation du pouvoir constituant originaire par le droit international

Selon Guy Héraud, le pouvoir constituant originaire est limité par le droit international. D'après lui, si le pouvoir constituant originaire est investi de la compétence totale, c'est uniquement dans son ordre juridique propre, c'est‑à‑dire, l'ordre interne. En effet, « le pouvoir originaire étatique n'est lié par aucune règle de droit interne, mais sa compétence n'en subit pas moins les limitations du droit international. Ces limitations sont de deux sortes : règles écrites et règles coutumières. Les règles coutumières s'imposent d'elles-mêmes à la volonté des Etats ; les règles écrites s'imposent par le jeu de la règle pacta sunt servanda »[3].

il est vrai que les théoriciens du droit international public n'acceptent pas qu'un Etat disparaisse lorsque son régime politique s'effondre. « Lorsqu'un Etat s'engage à l'égard d'un autre Etat... cet engagement continuera à le lier quelles qu'aient pu être les modifications institutionnelles qui l'ont affecté (changements de gouvernement ou révolutions par exemple)... Ce principe de la continuité... est essentiel pour assurer la stabilité des relations juridiques. Il est d'ailleurs inhérent à la souveraineté de l'Etat qui est à la fois continue et perpétuelle »[4].

C'est pourquoi, un pouvoir constituant originaire qui renverse un régime politique à la suite d'une révolution, ne peut pas refuser de se reconnaître lié par les engagements du régime renversé. dans ce sens-là, on peut dire que le pouvoir constituant originaire est lié par le droit international.

Cependant nous pensons que le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire par le droit international ne nous intéresse pas. Car, dans notre étude, le pouvoir constituant originaire est avant tout un pouvoir d'ordre interne. Les relations de ce pouvoir avec l'ordre international restent en dehors de notre sujet. D'ailleurs, soulignons que, comme on le sait, la validité elle-même du droit international est très contestée. Enfin, dans la pratique, il y a des pouvoirs constituants originaires qui ne connaissent pas le principe de la continuité de l'Etat pour échapper à leurs dettes passées. L'exemple le plus célèbre en est fourni par l'U.R.S.S. qui a refusé de connaître les emprunts contractés par le régime tsariste[5].

II. La thèse selon laquelle le pouvoir constituant originaire est illimité

Selon cette thèse, lorsque le pouvoir constituant originaire fait une nouvelle constitution, il ne rencontre aucune règle qui va le limiter. Puisque la constitution a été abolie, on se trouve dans un vide juridique, c'est-à-dire qu'il n'existe plus de règle supérieure à la volonté du pouvoir constituant originaire. par conséquent, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir illimité.

Il est étonnant de voir que Georges Burdeau, défenseur ardent de la juridicité du pouvoir constituant originaire, voit un pouvoir illimité dans ce pouvoir. Selon lui, « le pouvoir constituant est un pouvoir initial, autonome et inconditionné. Il est initial parce qu'il n'existe pas au-dessus de lui, ni en fait ni en droit, aucun autre pouvoir. C'est en lui que s'exprime, par excellence, la volonté du souverain ; or nous savons que, dans une collectivité donnée, le souverain est l'instance la plus haute, aussi bien politiquement que juridiquement. Du point de vue politique, le pouvoir incarne la force prépondérante puisque l'idée de droit qu'il exprime est celle qui est parvenue à s'imposer parmi le parallélisme ou la concurrence des idées de droit rivales. Au point de vue juridique, il est également l'autorité suprême puisque d'une part, c'est lui qui décide quelle est l'idée de droit valable dans le groupe et, d'autre part, c'est lui qui est à l'origine de l'ordre juridique étatique en qualifiant les gouvernants et en fixant leur compétence. L'autonomie du pouvoir constituant est corollaire de son caractère initial. Il appartient, en effet, au souverain seul de décider si l'idée de droit qui, à la suite du pouvoir institutionnalisé, va être incorporée dans l'Etat, est bien l'idée de droit selon laquelle entend vivre la collectivité. Nul individu, nul groupe, nul collège ne peut invoquer un titre quelconque à faire pression sur le souverain, ni, à plus forte raison, se substituer à lui. C'est en ce sens que l'on peut dire que le pouvoir constituant est inconditionné car, dans sa tache, il n'est subordonné à aucune règle de forme ni de fond. En forme, il est libre de se prononcer selon ses modalités que lui seul à qualité pour fixer ; quand au fond, aucune considération ne vient limiter son indépendance »[6].

III. Notre opinion

A notre avis, le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire doit être résolu en partant de sa nature juridique. En d'autres termes, la nature juridique de ce pouvoir joue un rôle d'hypothèse pour le problème de sa limitation. car, il y a une corrélation logique entre les notions de la nature juridique et de la limitation. Il est évident que si un pouvoir est juridique, il sera nécessairement limité. Il est anormal de dire qu'un pouvoir est à la fois juridique et illimité. Alors le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire dépend logiquement de sa nature juridique.

Comme nous avons admis que le pouvoir constituant originaire est un pouvoir non juridique, nous sommes obligé d'admettre aussi que ce pouvoir est illimité.

IV. Une note sur les limites sociologiques du pouvoir constituant originaire

Nous venons d'aborder le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire d'un point de vue strictement juridique. Et de ce point de vue, nous avons conclu que c'est un pouvoir constituant illimité. Mais, lorsqu'il fait une constitution, la volonté du pouvoir constituant originaire est-elle vraiment illimité ? En d'autres termes, le fait qu'il est un pouvoir juridiquement illimité signifie-t-il aussi qu'il es loin de toute influences de fait ?

A notre avis, non. Le pouvoir constituant originaire est examiné ici en tant qu'abstraction. En réalité, il fonctionne dans un cadre social : il est influencé par lui, comme il l'a influencé. En effet, sa volonté serait limitée par plusieurs facteurs sociaux comme les circonstances de force, les valeurs et la structure de la société dans laquelle il apparaît. Autrement dit, la constitution que le pouvoir constituant originaire a fait, en fait, s'est formée par le conflit et la synthèse des diverses forces sociales. La source véritable de la constitution est les relations des individus et des groupes dans la société.

En conséquence, il faut distinguer ce que le pouvoir constituant originaire peut faire en droit de ce qu'il pourrait faire en fait.

Il est cependant impossible de déterminer d'avance les facteurs limitant le pouvoir constituant originaire. car, dans chaque société le pouvoir constituant originaire fonctionne dans des circonstances particulières. C'est pourquoi, nous n'allons pas tenter ici d'examiner ces facteurs. D'ailleurs, un tel examen reste en dehors de notre travail, car un tel examen nécessite des études de cas qui dépassent largement le cadre limité de notre travail. Enfin, un tel examen nous conduirait à des erreurs probables, car sans une analyse profonde, les observations superficielles sont contraires à la réalité.

D'autre part, il ne faut pas confondre la supériorité du pouvoir constituant avec l'efficacité des règles qui sont posée par lui. Le fait que le pouvoir constituant est un pouvoir suprême et illimité ne signifie pas que son oeuvre elle aussi sera efficace dans la plus grande mesure. La règle que le pouvoir constituant a posée se situe au sommet de la hiérarchie, cependant cette règle peut être inefficace. On ne peut pas dire que les règles posées par le pouvoir constituant originaire seront accueillies par un grand respect dans la société grâce au seul fait qu'elles sont posées par un pouvoir suprême. Si le pouvoir constituant originaire ne prend pas en considération les circonstances de la société, les règles posées par lui risquent de naître mortes. C'est aussi un problème qui dépasse le cadre limité de notre travail.

 

Troisième chapitreLes limites du pouvoir constituant originaire............................. 39

I. La thèse selon laquelle le pouvoir constituant originaire est limité............................ 39

A. La limitation du pouvoir constituant originaire par les droits de l'homme...... 39

B. La limitation du pouvoir constituant originaire par le droit international........ 41

II. La thèse selon laquelle le pouvoir constituant originaire est illimité............... 42

III. Notre opinion................................................................................................................. 43

IV. Une note sur les limites sociologiques du pouvoir constituant originaire............... 43

 


 
[1]. René Château, Introduction  à la politique, Paris, Publications Chateaubriand, sans date, p.484.

 

[2]Archives parlementaires, t.VII, p.256, cité par Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.518.

 

[3]. Héraud, op. cit., p.178.

 

[4]. Dominique Carreau, Droit international, Paris, Pédone, 2e édition, 1988, p.356. Voir aussi pour un examen détaillé du principe de la continuité : Paul Martin, Portée juridique des révolutions en droit interne, Thèse, Montpellier, Imprimerie Mari-Lavit, 1938, p.169-247.

 

[5]. Carreau, op. cit., p.357.

 

[6]. Burdeau, Traité..., op. cit., t.IV, p.174.

 

 

 

Quatrième chapitre
Les circonstances de l'apparition du pouvoir constituant originaire

 

 

 

Comme nous l'avons vu dans le chapitre préliminaire, le pouvoir constituant originaire est le pouvoir de faire une nouvelle constitution, tandis que le pouvoir constituant dérivé est celui de modifier la constitution dans le cadre prévu par cette constitution elle-même. Par conséquent, on se trouve devant le pouvoir constituant originaire dans la mesure où l'on sort de ce cadre. En d'autres termes, le pouvoir constituant originaire apparaît dans toutes les circonstances où l'on fait une nouvelle constitution ou si l'on modifie une règle constitutionnelle en dehors des formes prévues par la constitution elle-même à cet effet.

En pratique ces circonstances peuvent se produire de façons très différentes. Plus bas, nous allons tenter d'exposer ces circonstances. Pourtant, il convient de préciser qu'il est impossible de faire une liste exhaustive de ces circonstances. Notre exposé ne contiendra que quelques exemples de ces circonstances. D'ailleurs faire une liste complète est inutile, tout comme impossible. Ce qui est important, répétons-le, c'est de savoir que nous sommes devant un pouvoir constituant originaire dans toutes circonstances où l'on établit ou révise la constitution de la manière qui n'est pas prévue par cette constitution.

Nous avons dit que ces circonstances peuvent se produire de façons très différentes ; mais en tout état de cause en sortant du cadre constitutionnel. Or, sortir de la constitution, c'est entrer dans le vide juridique. car, au-delà de la constitution, il n'existe plus de règle juridique. C'est‑à‑dire que le pouvoir constituant originaire apparaît dans le vide juridique. dans ces cas, pour savoir les circonstances de l'apparition du pouvoir constituant originaire, il faut d'abord déterminer celle de l'apparition di vide juridique.

A notre avis, il y a deux types de vide juridique : le vide juridique déjà existant et le vide juridique crée.

I. Le vide juridique déjà existant : la naissance d'un nouvel Etat

Le vide juridique déjà existant se produit dans la naissance d'un nouvel Etat. dans ce cas, le pouvoir constituant originaire crée un Etat tout neuf qui n'a pas de prédécesseur, et par conséquent il n'existe pas de constitution que le pouvoir constituant originaire doit abroger. Le pouvoir constituant originaire, pour fonder un nouvel Etat, pour établir une nouvelle constitution, ne détruit pas un Etat, n'abroge pas une constitution ; il construit seulement. dans une telle situation, le pouvoir constituant originaire comble le vide juridique en faisant une nouvelle constitution, en fondant un nouvel Etat. L'Etat qu'il fonde ainsi est un Etat tout neuf qui n'existait pas du tout avant ; la constitution qu'il établit ainsi est aussi la toute première constitution de l'Etat.

A notre avis, la naissance d'un nouvel Etat peut se produire dans plusieurs circonstances dont cinq d'entre elles sont les suivantes :

A. Le passage de la féodalité du moyen-age aux monarchies absolues

L'Etat national est une organisation qui rassemble les hommes autour des notions du territoire et de la nation, qui étaient partagés entre les autorités dispersées. comme on le sait, dans ce sens, l'Etat est une institution nouvelle qui est née à a fin du moyen-âge, avec l'effondrement de la féodalité et l'affaiblissement de l'influence de l'Eglise. Ainsi sur le continent européen, avec la désintégration de l'organisation médiévale, plusieurs nouveaux Etats indépendants sont nés[1].

B. La guerre

L'apparition d'un nouvel Etat se produit ensuite dans les circonstances d'après la guerre. Par exemple, la naissance de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie après la Première Guerre mondiale.

C. L'accession à l'indépendance

Le troisième cas de la formation d'un nouvel Etat est l'accession à l'indépendance des pays jusque-là colonisés.

Il y a principalement deux types d'accession à l'indépendance.

1. La guerre d'indépendance

Dans ce cas, le pays colonisé fait la guerre d'indépendance contre le pays colonisateur. Après avoir obtenu la victoire, les leaders du combat d'indépendance fondent un nouvel Etat qui n'existait pas jusque-là, et rédigent la première constitution du pays[2]. Par exemple, plusieurs pays d'Afrique, dans les années 1960, ont été fondés ainsi. Les Etats-Unis d'Amérique eux aussi ont été créés à la suite d'une guerre d'indépendance.

2. La sécession pacifique 

La deuxième modalité de l'accession à l'indépandance est pacifique. Dans ce cas, le pays colonisateur renonce à ses prérogatives sur le pays colonisé ; ainsi il reconnaît son indépendance. dans certains cas, le pays colonisateur fonde lui-même le nouvel Etat, en lui donnant une constitution. Notamment, la Grande Bretagne a utilisé cette méthode. Par exemple, les constitutions australienne et néo-zélandaise sont originairement des lois britanniques[3].

 

D. La fédération des Etats indépendants

il y a également formation d'un nouvel Etat lorsque plusieurs Etats indépendants décident de sa fédérer, en adoptant une nouvelle constitution. Par exemple, la Constitution fédérale des Etats-Unis en 1787 et la première Constitution fédérale helvétique en 1848 ont été établies ainsi.

E. Le démembrement d'un Etat

C'est l'inverse de la situation précédente. dans ce cas, un Etat fédéral ou bien un Etat unitaire se démembre en plusieurs Etats indépendants soit par de manière pacifique, soit de manière violente. Et après le démembrement, chaque Etat devenu indépendant fait sa première constitution. le meilleur exemple en est fourni par le démembrement de l'U.R.S.S. et par celui de la Yougoslavie actuelle.

Notons une fois de plus que ces cas ne sont pas limités. On peut envisager encore plusieurs circonstances de l'apparition d'un nouvel Etat. par exemple, certains Etats ont été créés sur des territoires neufs, par les divers pouvoirs et selon différents modes. L'exemple intéressant est celui du Liberia. Cet Etat a té créé par une société philanthropes américains (American Colonisation Society) pour favoriser le retour en terre d'Afrique des noirs transportés en Amérique comme esclaves. De même cette « société » a octroyé une Constitution aux personnes de couleur envoyées par elle en Afrique, c'est‑à‑dire aux citoyens du Liberia[4].

II. Le droit vide juridique créé : le changement de régime dans un Etat déjà existant

Ce type de vide juridique apparaît dans le changement de régime dans un Etat déjà existant. Dans ce cas, il existe déjà un ordre juridique en vigueur. Le pouvoir constituant originaire créé d'abord un vide juridique en abrogeant la constitution existante, ensuite en faisant une nouvelle constitution, il comble ce vide juridique. C'est‑à‑dire que le pouvoir constituant originaire détruit d'abord, reconstruit ensuite. dans ce sens-là, on peut dire qu'il y a deux aspects du pouvoir constituant originaire : l'un est négatif (l'abrogation de la constitution) et l'autre positif (l'établissement de la constitution). L'aspect négatif du pouvoir constituant peut être baptisé comme le pouvoir déconstituant en empruntant le terme de Guy Héraud[5]. Dans cette hypothèse, on ne crée pas un Etat nouveau[6]. Il s'agit simplement du renouvellement de la fondation de l'Etat[7] ou bien en d'autres termes, du changement de régime dans un Etat déjà existant.

Le renouvellement de la fondation de l'Etat ou bien le changement de régime peut se produire dans différentes circonstances, pacifiques ou violentes.

Avant de passer à l'examen de ces circonstances, il convient d'abord d'expliquer les notions d'abrogation de la constitution et de déconstitutionnalisation par l'effet des révolutions.

il y a abrogation de la constitution quand le texte de la constitution cesse d'avoir force obligatoire[8]. La constitution abrogée n'a plus de valeur juridique. Elle disparaît en totalité[9].

Toutefois la doctrine admet une exception à l'abrogation totale. D'abord, on sait que les lois ordinaires survivent aux révolutions. Elles restent en vigueur à moins qu'elles ne soient abrogées explicitement. D'autre part, on sait aussi que les constitutions contiennent des dispositions qui n'ont pas de rapport nécessaire avec la forme de gouvernement. Elles sont de simples dispositions de droit administratif, de droit pénal ou de droit financier. Normalement, ces questions peuvent être réglées par les lois ordinaires. Et si ces dispositions ont fait l'objet d'une loi ordinaire, elles ne seront pas affectées par la révolution. « les traiter différemment pour la seule raison qu'elles ont été insérées dans la constitution serait peu logique ; peu pratique aussi »[10]. C'est pourquoi, on admet que la révolution n'opère pas l'abrogation de ces règles. autrement dit, ces règles restent en vigueur à moins qu'elles ne soient abrogées expressément. Néanmoins ces dispositions perdent leur valeur constitutionnelle ; elles se transforment en dispositions de loi ordinaire. Elles survivent comme règles législatives. Elles ne bénéficient pas de la supériorité de la constitution. Par conséquent elles peuvent désormais être modifiées par la loi ordinaire. En résumé, la constitution n'abroge pas ces dispositions mais les « déconstitutionnalise ». C'est pourquoi, en droit constitutionnel, on appelle cela la « déconstitutionnalisation par l'effet des révolutions »[11]. Par exemple, l'article 75 de la Constitution de l'an VII, qui stipulait que toute poursuite contre les fonctionnaires devait être autorisée par le Conseil d'Etat, a survécu à l'Empire et a protégé les fonctionnaires de Louis XVIII. Cet article a traversé quatre régimes pour être finalement abrogé par le décret du Gouvernement de la Défense nationale du 18 septembre 1870[12]La cour de Cassation a considéré que l'article 75 est « exclusivement relatif à l'ordre administratif et ne se réfère nullement à l'ordre politique »[13].

Maintenant voyons les circonstances de l'apparition du vide juridique créé, autrement dit, celles du changement de régime dans un Etat existant.

A. La révolution et les coups d'Etat[14]

Le vide juridique créé se produit d'abord à la suite d'une révolution ou d'un coup d'Etat qui reverse le régime politique et juridique existant. Les révolutionnaires qui détiennent le pouvoir créent un vide juridique en abrogeant la constitution existante, et ensuite ils le comblent en en faisant une nouvelle. Répétons-le, dans cette situation, on ne fond pas un nouvel Etat, on change simplement le régime politique d'un Etat.

B. La guerre

Le vide juridique peut enfin se produire à l'occasion d'une guerre. Le pays qui a un moment disparu sous l'occupation étrangère, après sa libération, se trouve devant un vide juridique. Dans ce cas, il y a deux solutions probables. Premièrement on peut faire une nouvelle constitution : tel a été le cas de la France après la Seconde Guerre mondiale. Deuxièmement, on peut simplement remettre en vigueur la constitution antérieure. tel a été le cas de l'Autriche qui, en 1945, a préféré remettre en vigueur la Constitution de 1920 dont l'application avait été interrompue, en 1936, par l'Anschluss[15].

* * *

Nous avons déjà remarqué qu'il est impossible de faire une liste exhaustive des circonstances dans lesquelles le pouvoir constituant originaire apparaît et que notre inventaire de circonstances ne concerne que quelques exemples de cette liste. D'ailleurs, il faut noter les catégories que nous avons essayé de relever plus haut ne sont pas des types purs. Les exemples historiques des événements du pouvoir constituant originaire peuvent entrer dans plusieurs catégories, non seulement dans une. par exemple, le pouvoir constituant originaire américaine en 1787 sert d'exemple à la fois à la guerre d'indépendance et à la fédération des Etats.

En conclusion, il y a le pouvoir constituant originaire dans toute circonstance où l'on fait une nouvelle constitution ou si l'on change une règle constitutionnelle en dehors des formes prévues par la constitution elle-même à cet effet. En d'autres termes, le pouvoir constituant originaire apparaît toujours dans le vide juridique qui est déjà existant ou bien créé.

 

Quatrième chapitreLes circonstances de l'apparition du pouvoir constituant originaire         45

I. Le vide juridique déjà existant : la naissance d'un nouvel Etat...................................... 46

A. Le passage de la féodalité du moyen-age aux monarchies absolues................. 46

B. La guerre................................................................................................................. 47

C. L'accession à l'indépendance................................................................................ 47

1. La guerre d'indépendance............................................................................. 47

2. La sécession pacifique ................................................................................ 47

D. La fédération des Etats indépendants................................................................... 48

E. Le démembrement d'un Etat.................................................................................. 48

II. Le droit vide juridique créé : le changement de régime dans un Etat déjà existant... 48

A. La révolution et les coups d'Etat.......................................................................... 50

B. La guerre................................................................................................................. 50

 


 
[1]. Charles Cadoux, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Cujas, 3e éd., 1988, t.I, p.106.

 

[2]. Bernard Chantebout, Droit constitutionnel et science politique, Paris, Armand Colin, 9e édition, 1989, p.32.

 

[3]Ibid.

 

[4]. Héraud, op. cit., p.278.

 

[5]Ibid., p.323.

 

[6]. Comme on l'a déjà noté (voir, supra, Chapitre 3, II, B) en vertu du principe de la continuité de l'Etat, on n'accepte pas qu'un Etat disparaisse lorsque son régime politique s'effondre.

 

[7]. L'expression appartient à Jean Gicquel (Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 10e éd., 1989, p.185).

 

[8]. Pour l'abrogation de la constitution voir, Georges Liet-Veaux, Essai d'une théorie juridique des révolutions, (Thèse, Faculté de droit de Rennes), Paris, Sirey, 1942, p. 46-52.

 

[9]. Julien Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2e édition, 1947, p.302.

 

[10]Ibid., p.304.

 

[11]. Pour l'explication et la critique de cette notion, voir Liet-Veaux, op. cit., p.142-165 ; Martin, op. cit., p.138-165 ; Shawi, op. cit., p.239-245.

 

[12]. Liet-Veaux, op. cit., p.143-155.

 

[13]. Cass. Crim., 20 novembre 1821 (S. chr. VII, 527) cité par Liet-Veaux, op. cit., p.146.

 

[14]. Les théoriciens du droit public font une distinction entre les révolutions proprement dites et les coups d'Etat (Voir par exemple, Pactet, op. cit., p.73). Pour nous ils sont pareils dans la mesure où ils sont un événement du pouvoir constituant originaire.

 

[15]. Pactet, op. cit., p.69.

 

 

Cinquième chapitre
Les formes du pouvoir constituant originaire :
Les modes d'établissements des constitutions

 

 

Quelles sont les formes du pouvoir constituant originaire ? Existe-t-il des modes communs d'établissements des constitutions ? S'il y en a, lesquels ? Ces questions feront l'objet de ce chapitre.

Si l'on consulte un manuel quelconque de droit constitutionnel, on peut trouver les renseignements suffisants sur les procédés d'établissement des constitutions. On peut dire même que la partie du pouvoir constituant originaire qui a le plus de chance d'avoir été examinée est celle de ses formes, autrement dit, les modes d'établissement des constitutions. Les manuels de droit constitutionnel déterminent et examinent ces modes à peu près de la même façon. Cette observation pourrait nous amener à la conviction selon laquelle les formes du pouvoir constituant originaire peuvent être déterminées.

Pourtant cette opinion est fausse. Même s'il est traditionnel de déterminer et de classifier les modes d'établissement des constitutions, il est pour nous impossible d'accepter l'idée selon laquelle les formes du pouvoir constituant originaire peuvent être déterminées, en raison de l'hypothèse que nous avons adoptée au début de ce travail. Comme on le sait, nous avons admis que le pouvoir constituant originaire est un pouvoir de nature non juridique, est un pur fait. Ainsi nous avons résolu les problèmes que nous avons rencontrés en partant de cette hypothèse. Nous allons ici aussi suivre le même raisonnement : étant donné que le pouvoir constituant originaire est un pouvoir constituant non juridique, ses formes elles aussi son des formes non juridiques ; autrement dit, les modes d'établissement des constitutions son des modes purs , non susceptibles de qualification juridique. Nous pouvons alors conclure que les formes que le pouvoir constituant originaire va utiliser pour établir une nouvelle constitution ne peuvent pas être juridiquement déterminées.

Cependant, nous pouvons d'abord déterminer les principaux modes d'établissement des constitutions utilisées en fait jusqu'à maintenant, après nous pouvons les classifier en partant d'un critère de distinction. ainsi nous allons plus bas tenter de faire une telle classification. Il convient de rappeler que ces modes ne sont pas des modes juridiques. Il ne faut pas absolument pas oublier que le pouvoir constituant originaire n'est pas lié par ces modes[1]. Il peut utiliser l'un de ces modes, comme il peut faire un mélange entre ; ou bien il peut utiliser un mode tout à fait original qui n'a pas été utilisé jusque-là.

I. Exposé des modes

Comme nous venons de le voir, les modes d'établissement des constitutions peuvent être classifiés en partant d'un critère choisi. Nous avons pris ici les théories de la souveraineté comme un tel critère. dans ce cas, les modes d'établissement des constitutions dépendent des théories de la souveraineté. Autrement dit, la réponse à la question de savoir quel organe va établir la constitution et par quelle procédure change selon la question de savoir à qui appartient la souveraineté. Car, c'est celui qui détient la souveraineté qui va établir la constitution. Si la souveraineté appartient à un monarque, la constitution sera établie par la forme de l'octroi qui est accordé par lui ; si elle est partagée entre un monarque et une assemblée, la constitution sera établie par la forme du pacte qui traduit le compromis entre eux. ce sont les procédés monarchiques d'établissement des constitutions. Il y a aussi les procédés démocratiques d'établissement des constitutions. En effet, dans une démocratie, la souveraineté ne peut appartenir qu'à la nation ou au peuple. Si la souveraineté appartient à la nation, la constitution sera établie par le mode de l'assemblée constituante ; si elle appartient au peuple, la constitution sera établie par le mode du référendum constituant.

A. Les modes monarchiques

Ils sont employés dans les pays et époques où la puissance prépondérante est le monarque[2]. Dans e cas, le pouvoir constituant originaire appartient encore au monarque seul, ou bien il est partagé entre lui et des assemblées. dans le premier cas, on parle de l'octroi, dans le second du pacte.

1. L'octroi

Dans ce procédé, l'établissement de la constitution est l'oeuvre unilatérale du monarque qui, dans le libre exercice de sa souveraineté jusque-là illimité, décide d'accorder une constitution à ses sujets[3]. dans la monarchie absolue, le roi possède régulièrement la plénitude du pouvoir, par conséquent il a le droit d'aménager et limiter son pouvoir[4]. En d'autres termes, le roi qui peut tout, peut donner aussi à ses sujets une constitution comme toute autre loi. Mais on exclut toute intervention du peuple[5]. C'est‑à‑dire que l'octroi est un acte unilatéral du souverain[6]. Ainsi l'octroi est une concession gracieuse, un bon plaisir, une bienveillance du monarque. le sens du mot « octroyer » exprime très clairement cette spécificité de ce procédé. Le verbe « octroyer » signifie « accorder à titre de faveur, de grâce »[7].

Cette particularité se trouve dans plusieurs établie sous la forme de l'octroi. Par exemple, Louis XVIII, dans le préambule de la Charte de 1814 avec un « magnanime condescendance »[8] déclarait : « nous avons volontairement et par le libre exercice de notre autorité royale, accordé et accordons, fait concession et octroi à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la Charte il n'y a pas de qui suit ». cette particularité est aussi exprimée d'une meilleure façon dans la Constitution de l'Ethiopie de 1931. L'empereur disait : « sans que nul Nous en ait sollicité, Nous avons, de bon vouloir, décret la présente Constitution »[9].

Cela semble être une magnanimité. mais en réalité, « il s'agit là d'un euphémisme : ce n'est pas généralement par leur bon plaisir que les monarques concèdent une constitution ; c'est parce que la conjoncture politique les y contraint »[10]. Politiquement c'est une nécessité à laquelle le monarque est contraint sous la pression des circonstances de fait, mais juridiquement la constitution est l'oeuvre exclusive du monarque[11].

On peut trouver plusieurs exemples à la constitution octroyée en dehors de la Charte de 1814 et de la Constitution éthiopienne de 1931 que nous avons citées plus haut. Par exemple, la Constitution bavaroise de 1818, le statut fondamental italien de 1848, la Constitution de Monaco de 1011, la Constitution japonaise de 1889 et la Constitution russe de 1905[12].

Le procédé de l'octroi marque le passage de la monarchie absolue à la monarchie limitée[13]. Ainsi en décidant unilatéralement de donner une constitution à ses sujets, le monarque organise et limite ses pouvoirs et s'engage à les respecter[14].

D'autre part, le procédé de l'octroi est conforme à la doctrine providentielle. selon cette doctrine, le monarque peut octroyer une constitution par son bon plaisir à ses sujets[15].

Pourtant ce mode d'établissement des constitutions est entaché d'un petit vice : il blesse la dignité des citoyens en paraissant leur octroyer des droits qui leur appartiennent réellement »[16]. D'ailleurs il faut noter que le mot même « octroyer » porte un sens péjoratif[17].

L'octroi, acte unilatérale du monarque, lie-t-il le monarque ? Autrement dit, le monarque peut-il le révoquer ? Selon une thèse admise sous la Restauration, l'octroi lie le monarque. Il est irrévocable ; le monarque n'est pas libre de le retirer. Car, le roi s'engage d'après la constitution, « tant pour lui que pour ses successeurs. Un engagement, même unilatéral, suffit à lier une volonté. la constitution serait indigne de son nom, elle n'offrait aucune espèce des garanties qu'elle promet, s'il était possible à celui qui l'accorde de la modifier ultérieurement »[18]. Les défenseurs de cette thèse citent encore aussi le passage de la Charte de 1814 que nous avons déjà cité plus haut. Dans ce passage Louis XVII disait que « nous avons volontairement... accordé... tant pour nous que pour nos successeurs et à toujours... ». Le roi s'engageait pour toujours, par conséquent, il ne pouvait pas retirer l'octroi.

Néanmoins il y a une contradiction entre les idées de concession volontaire et de « toujours »[19]. En conséquence, an accepte au moins théoriquement que l'octroi, en tant qu'acte unilatéral, est révocable[20].

2. Le pacte

Dans ce procédé le pouvoir constituant originaire est partagé entre le monarque et le peuple[21]. L'établissement de la constitution résulte d'un accord entre le roi et une assemblée plus ou moins représentative[22]. Ainsi dans ce procédé, il y a une collaboration, une transaction, un compromis entre le roi et les assemblées[23]. C'est pourquoi, le pacte n'est pas l'oeuvre unilatérale du monarque, mais un acte bilatéral. Par conséquent, la constitution est considérée comme un véritable contrat entre le roi et le peuple[24].

Dans ce contrat, les forces des parties sont à peu près égales. L'établissement de la constitution est l'oeuvre commune des parties. Pourtant il peut arriver que certaines prépondérances appartiennent encore au monarque. Par contre en vacance du trône, c'est le parlement qui appelle à régner un nouveau souverain, mais bien sûr, en soumettant son accession à des conditions que celui-ci déclare accepter[25]. Ainsi en l'appelant au trône le parlement lui dicte ses conditions[26].

Le procédé du pacte est historiquement un procédé de transition. Le principe monarchique s'est affaibli, et en revanche le principe de la souveraineté nationale commence à s'affirmer, mais sans être encore arrivé à son plein développement[27]. Le pacte est un système libéral et proche de la démocratie. « Une assemblée élue est beaucoup plus méfiante que le peuple lui-même à l'égard d'un homme doté d'un grand pouvoir. Par suite, sa collaboration avec ce personnage qui lui propose un texte constitutionnel permettra d'établir un véritable dialogue entre eux et, finalement, la constitution devra presque toujours libérale sinon démocratique... Ce procédé est au total beaucoup plus tempéré, libéral et démocratique que celui du prétendu accord entre un homme et le peuple. Il peut même être tout à fait démocratique dans ses résultats et il annonce en tout cas les procédés pleinement démocratiques d'élaboration des constitutions »[28]. En bref, avec le procédé du pacte, la monarchie se démocratise[29] ; tout au moins elle s'engage dans la voie démocratique[30].

On rencontre le procédé du pacte à la suite d'une révolution ou lors d'un changement de dynastie ou bien lors de l'accession d'un nouveau monarque au trône[31]. « Cette technique a été abondamment employée au XIXe siècle en Europe par des souverains désireux de consolider un trône peu solide ou nouveau, en modernisant leur système politique dans de nombreux Etats d'Europe centrale et orientale »[32]. On peut citer plusieurs exemples : la Charte de 1830 en France, la Constitution prussienne de 1850, la Constitution belge de 1831, les Chartes grecque de 1844, roumaine de 1864 et bulgare de 1879. D'ailleurs, notons que certains éléments écrits de la constitution anglaise ont été établis selon ce procédé, comme la Charte de 1215, le Bill of Rights de 1689 et l'Acte d'Etablissement de 1700[33].

En dernier lieu, notons que le pacte lie le monarque. Le roi ne pourra pas revenir sur les dispositions du pacte. Car le pacte est de nature contractuelle et un contrat ne peut être révoqué que d'un commun accord entre les contractants[34].

B. Les modes démocratiques

Dans une démocratie, la souveraineté ne peut appartenir qu'au peuple ou à la nation. Par conséquent, il y a deux réponses possibles au problème d'établissement des constitutions suivant les théories de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire.

Comme on le sait, selon la théorie de la souveraineté nationale, la souveraineté appartient à la nation. La nation est une véritable personne juridique qui dépasse les citoyens vivant dans le pays au moment présent, à un moment donné. Puisque le titulaire de la souveraineté est la nation, les citoyens ne peuvent pas exercer la souveraineté. En d'autres termes, la nation, être abstrait, a besoin de personnes chargées d'exercer la souveraineté en son nom. C'est-à-dire que la volonté de la nation ne peut être dégagée que par ses représentants. Par conséquent, le principe de la souveraineté nationale impose la démocratie représentative[35]. En vertu de cette théorie, le régime représentative doit être appliqué aussi dans l'établissement des constitutions comme celui des lois ordinaires. Autrement dit, l'application du principe de la souveraineté nationale au domaine de l'établissement des constitutions produit le procédé de l'assemblée constituante.

2. Par contre, selon la théorie de la souveraineté populaire, la souveraineté appartient au peuple. Le peuple est la masse des citoyens vivant dans le pays au moment présent, à un moment donné[36]. Par conséquent, le pouvoir de faire la constitution doit appartenir au peuple, c'est‑à‑dire à la « masse de citoyens ». Mais comment le peuple va-t-il utiliser ce pouvoir ? Avant de donner une réponse à cette question, voyons de plus près la théorie de la souveraineté populaire.

La théorie de la souveraineté populaire trouve son fondement dans la doctrine du Contrat social de Rousseau. Selon lui, la souveraineté réside dans le peuple. Et elle « ne peut pas être représentée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté générale ne se représente pas... Les députés du peuple ne sont ni ne peuvent être ses représentants. Ils ne sont que ses commissaires. Ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple n'a pas ratifiée est nulle. Ce n'est point une loi »[37]. En conséquence, la théorie de la souveraineté populaire impose la démocratie directe, tout au moins semi-directe.

Maintenant nous pouvons répondre à la question ci-dessus. Le peuple fait sa constitution par les techniques de la démocratie directe ou semi-directe. Aujourd'hui, l'établissement des constitutions par le mode de la démocratie directe parait à peu près irréalisable à cause des difficultés techniques. De ce fait, il nous reste les techniques de la démocratie semi-directe, plus précisément le référendum. En conséquence, on peut dire que selon le principe de la souveraineté populaire, la constitution doit être ratifiée par la voie du référendum. Ce procédé, en droit constitutionnel, prend le nom de Référendum constituant.

On peut ainsi schématiser ces explications comme suit :

1. Le principe de la souveraineté nationale La démocratie représentative L'assemblée constituante

2. Le principe de la souveraineté populaire La démocratie semi-directe Le référendum constituant.

1. L'assemblée constituante

Comme nous venons de l'expliquer, le principe de la souveraineté nationale est à l'origine du procédé de l'assemblée constituante. C'est aussi l'application à l'élaboration des constitutions du système de la démocratie représentative.

L'assemblée constituante ou autrement dit, la convention, est une assemblée spécialement élue pour élaborer une constitution[38]. Le mot convention et son institution est d'origine américaine[39]. « Dans la langue constitutionnelle des Etats-Unis, une ‘Convention’ est une assemblée spécialement élue par le peuple pour exercer le pouvoir constituant. La plupart des constitutions particulières que les colonies révoltées se donnèrent à partir de 1776 furent rédigées par des conventions. La Constitution fédérale de 1787 fut l'oeuvre de la Convention de Philadelphie »[40]. Après la Révolution française, l'expression est passée dans la langue française. Ce procédé a été utilisé pour l'établissement des Constitutions de 1791, de 1848 et de 1875 « avec cette seule différence que le terme ’Assemblée constituante’ a remplacé celui de ‘Convention’ »[41].

Les assemblées constituantes sont généralement maîtresses de leur procédure, puisque ces assemblées utilisent le pouvoir constituant originaire et de ce fait, ne sont liées par aucune norme[42].

Du point de vue de la forme, il y a deux types d'assemblée constituante[43].

a) L'assemblée constituante de type américain. - C'est une assemblée exclusivement constituante. Elle a pour unique attribution la rédaction de la constitution. Elle n'a aucune autre compétence, en particulier elle ne peut pas exercer le pouvoir législatif[44]. En d'autres termes, c'est une assemblée constituante ad hoc[45].

Ce système a un avantage. Il évite la concentration des pouvoirs entre les mains d'une seule assemblée[46].

b) L'assemblée constituante de type français. - Ce type d'assemblée constituante a une double vocation. D'une part elle prépare la Constitution, d'autre part elle assure le travail législatif habituel et contrôle le gouvernement. Ce type d'assemblée a été adopté traditionnellement en France[47].

L'assemblée constituante à double fonction a deux inconvénients. D'une part le second rôle de l'assemblée peut retarder l'adoption de la constitution. D'autre part, le cumul des pouvoirs législatif et constituant entre les mains des mêmes hommes peut aboutir à la dictature d'une assemblée[48].

Les assemblées constituantes sont des assemblées temporaires. Elles disparaissent une fois l'oeuvre constituante accomplie[49].

Quelle différence sépare une assemblée constituante d'une assemblée législative ordinaire ? Dans la pratique, les structures de ces assemblées peuvent être identiques. Toutes les deux assemblées sont élues au suffrage universel direct. Mais en réalité une assemblée constituante se distingue d'une assemblée législative par l'étendue de la mission que les électeurs lui ont confiée au moment de l'élection[50]. Comme le remarque Carré de Malberg, « le Corps législatif ordinaire n'a reçu de ses électeurs qu'un simple mandat de législation : il n'a point de délégation d'ordre constituant. Le peuple, en nommant ses députés, ne leur a conféré que sa puissance législative, il a gardé par dévers lui son pouvoir constituant »[51]. Par contre dans les élections de l'assemblée constituante, l'électeur confie à ses représentants une mission de faire la constitution, autrement dit, il leur délègue son pouvoir constituant originaire.

Comme on l'a déjà indiqué, le procédé de l'assemblée constituante est l'application à l'élaboration des constitutions du régime représentatif. Dans ce procédé la nation a délégué l'exercice de son pouvoir constituant à ses représentants. Par conséquent, les représentants dans l'assemblée constituante « ne sont pas des délégués, des mandataires du peuple, mais ils statuent à sa place, librement comme il le ferait lui-même. L'assemblée veut pour la nation, ce qui signifie que sa volonté est tenue juridiquement pour celle de la nation »[52]. Par conséquent, la constitution faite par une assemblée constituante n'a pas besoin de la ratification du peuple[53].

Nous allons plus tard examiner le procédé de l'assemblée constituante du point de vue de la démocratie. Mais notons d'avance que ce procédé est considéré en général comme démocratique[54]. Car, d'une part, il repose sur un principe démocratique, c'est‑à‑dire sur celui de la souveraineté nationale. D'autre part, l'assemblée constituante est élue par le peuple. Et enfin, elle permet une large discussion sur les dispositions constitutionnelles.

Dernièrement il faut distinguer l'assemblée constituante d'une commission ou d'un conseil chargé de préparer le projet de constitution. Dans la pratique, on voit souvent que les détenteurs du pouvoir constituant originaire, après un coup d'Etat, confient la tâche de préparer un projet de constitution à une commission qu'ils ont nommée. De plus cette commission peut prendre officiellement le nom d'« assemblée constituante ». Mais en réalité elle n'est point une assemblée constituante. car, cette commission est nommée par les auteurs du coup d'Etat, elle ne détient point de pouvoir propre. Elle prépare un simple projet de travail. Le texte qu'elle a préparé n'a aucune force, ni juridique, ni politique. Car en tout état de cause, ce sont les auteurs du coup d'Etat qui vont rédiger la constitution. En dernière analyse, la constitution est l'oeuvre des détenteurs de fait du pouvoir, non pas de ces commissions.

Par contre une assemblée constituante proprement dite dispose du pouvoir de rédiger la constitution. Elle prépare et l'adopte elle-même, sans avoir l'approbation des auteurs du coup d'Etat, ni du peuple. Car elle reçoit d'avance sa puissance du peuple.

Alors pour que l'on puisse parler d'une assemblée constituante, il faut qu'elle soit conforme à quelques conditions.

a) D'abord, cette assemblée constituante doit être élue par le peuple, et non pas nommé par les auteurs du coup d'Etat. D'ailleurs, il n'existe aucun mécanisme qui pourrait se substituer à celui d'élection. La prise d'opinion des intéressés par les enquête et par d'autres moyens ne suffit pas à la rendre démocratique.

b) Deuxièmement, l'élection doit être démocratique. C'est-à-dire, elle doit se dérouler selon les principes du suffrage libre, égal, secret, à un seul degré, universel, moyennant recensement et dépouillement public du scrutin, et sous le contrôle judiciaire.

c) Troisièmement pour que la libre élection ait un sens, il faut qu'il existe des alternatives claires devant les électeurs. dans les démocraties, les alternatives sont constituées essentiellement par des partis politiques. C'est pourquoi, tous les partis doivent pouvoir participer aux élections de l'assemblée constituante.

d) Quatrièmement les libertés publiques doivent être reconnues et garanties dans le pays. Au contraire, la participation de plusieurs partis aux élections n'aura pas beaucoup de sens. Parce que les élections se seront déroulées dans un milieu de libertés limitées.

e) Par ailleurs, une telle assemblée constituante qui remplit toutes ces conditions doit travailler à l'abri de toutes les pressions politiques.

En dernière lieu, notons que le travail de faire démocratiquement une constitution n'est pas un travail scientifique, mais politique. C'est pourquoi, la tâche de préparer une constitution appartient aux politiciennes, non pas aux scientifiques. Bien sur, ceci n'empêche pas que l'on bénéficie des aides des spécialistes.

Ainsi dans une telle assemblée on peut faire démocratiquement une constitution. Mais si l'on n'arrive pas à un compromis, qu'est-ce qu'on va faire ? A vrai dire ceci n'est pas un grand problème. Car, si l'on n'arrive pas à une solution l'effort de faire démocratiquement une constitution perd de soi-même son sens. Le désaccord dans l'assemblée constituante ne mène pas le processus dans une impasse. Puisque le vide juridique ne peut pas durer éternellement, la constitution sera faite par un autre procédé en renonçant à celui de l'assemblée constituante. Les procédés démocratiques ne sont pas les seuls modes d'établissement des constitutions. Avec d'autres procédés, on peut faire une constitution aussi juridique qu'avec les procédés démocratiques.

2. Le référendum constituant

Comme on l'a expliqué plus haut, le procédé du référendum constituant est l'application en matière de l'élaboration des constitutions de la démocratie semi-directe.

Dans ce procédé le projet de constitution est élaboré par un organe ou par un individu, et ensuite il est soumis au vote du peuple pour être ratifié[55].

Dans ce mode, la constitution prend sa force juridique du vote populaire, non pas de l'organe ou de l'individu qui l'a préparée. La constitution ne sera juridiquement parfaite qu'après avoir été acceptée par le peuple[56].

Le projet qui est soumis au référendum peut avoir des origines diverses. Il peut être élaboré par une assemblée constituante, par une commission spéciale, par le gouvernement, par un monarque ou bien par un dictateur[57].

Plusieurs auteurs soulignent que le référendum constituant est le procédé le plus démocratique d'établissement des constitutions[58]. Parce que « l'idée démocratique exige que le peuple exerce lui-même sa souveraineté »[59]. Nous allons discuter ce problème plus loin. Cependant précisons toute de suite que ce procédé présente indiscutablement une idée démocratique. De plus ce mode est apparu à la suite de l'idée d'insuffisance du procédé de l'assemblée constituante. Comme l'a bien indiqué Jacques Cadart, la technique de l'assemblée constituante « est maintenant considéré dans beaucoup de pays comme insuffisante : il semble aujourd'hui anormal qu'une constitution soit adoptée sans l'accorde du peuple s'exprimant au moyen du référendum »[60]. Selon Georges Burdeau, dans le procédé de l'assemblée constituante il s'agit de la souveraineté nominale, tandis qu'il s'agit de la souveraineté réelle dans celui du référendum constituant. La pratique du référendum est une « exigence inséparable de la souveraineté réelle du peuple ». « Pour éviter, par ce détour, le peuple n'en soit à nouveau réduit à une souveraineté nominale, pour assurer aussi plus d'exactitude à l'expression de ses voeux on peut recourir aux institutions de la démocratie directe »[61].

3. Une dérive du référendum constituant : le plébiscite constituant

Georges Burdeau souligne la force sociale de l'idée démocratique. « Mis à part quelques philosophes dont l'audience fut limitée, affirme l'auteur, elle n'a jamais été ouvertement attaquée : on réclame une ‘vraie’ démocratie, on oppose la démocratie de masse à la démocratie individualiste, la démocratie sociale à la démocratie politique, on parle de démocratie réelle, on compare les mérites respectifs de la démocratie parlementaire et de la démocratie directe, mais l'abondance et la rivalité des qualificatifs ne fait que rendre plus sensible la permanence du nom, l'attachement au mot de démocratie dont chacun veut exploiter les vertus tonifiantes. Les régimes césariens du XIXe siècle, autoritaires du XXe siècle n'ont pas entendu se priver des séductions qu'exerce l'idée démocratique, ne fut-elle que verbalement affirme et, se réclamer du peuple en qui ils affectaient de placer l'origine de tout pouvoir, ils ont organisé le plébiscite constituant »[62].

Le plébiscite est « un référendum organisé sur une question précise, en fait, sur un homme qui réclame un pouvoir tout puissant, sans qu'aucun adversaire ne puisse s'opposer à lui et, le plus souvent sans qu'il y ait de liberté de propagande contre lui... Au total, le plébiscite se définit essentiellement du point de vue politique. C'est un référendum d'initiative non populaire détourné de son but organisé par un homme pour conserver ou amplifier le pouvoir qu'il détient, pour donner le pouvoir à un homme sans qu'aucun concurrent ne puisse s'opposer à lui »[63].

Dans le plébiscite le peuple est simplement appelé à se prononcer sur un projet élaboré par les détenteurs effectifs du pouvoir, qui ne laisse pratiquement aucune liberté au peuple[64].

Comme on le sait, le plébiscite semble au fond un référendum. C'est pourquoi, il faut bien distinguer le plébiscite du référendum. Le référendum porte sur une question ou un texte, alors que le plébiscite sur un homme[65]. Le plébiscite se présente comme un vote du peuple affirmant sa confiance dans un homme qui a pris le pouvoir et approuvant un acte de cet homme »[66]. En d'autres termes, le référendum permet au peuple de s'exprimer librement, par contre le plébiscite permet à une personne de se légitimer en posant au peuple une question qui appelle une réponse positive[67]. C'est‑à‑dire, derrière la question posée, un homme demande confiance pour sa politique[68].

Une autre différence entre le référendum et le plébiscite apparaît du point de vue de la démocratie . Le référendum est un procédé démocratique : le peuple est actif ; il participe au processus de la prise de décision. Par contre le plébiscite est un procédé anti-démocratique : le peuple est passif ; il ne participe qu'à la fin du processus. Le référendum est déclenché par le peuple ou par ses représentants et la question posée est préparée par eux, tandis que le plébiscite est déclenché par les détenteurs effectifs du pouvoir et le texte soumis au plébiscite est préparé sans la participation du peuple Avec les termes de Georges Burdeau, dans le plébiscite « la souveraineté populaire n'est plus active, elle est passive ; elle ne décide pas, elle accepte dans des conditions où il lui est d'ailleurs souvent bien difficile de faire autrement »[69].

Les auteurs qualifient le plébiscite de mots très graves : « l'altération systématique de la volonté populaire »[70], « un appel hypocrite »[71], « un des pièces maîtresses du césarisme démocratique », « une combinaison monocratie-démocratie »[72], « le détournement du but du référendum »[73], « la séduction de la démocratie », « la confiscation de la légitimité », « la souveraineté captée »[74].

Comme l'indique Jacques Cadart, « le plébiscite repose sur un détournement de pouvoir des autorités, qui prennent l'initiative du référendum et qui cherchent à se faire donner, par le biais apparent de l'approbation ou du rejet, par le peuple, d'une loi ou d'une question, des pouvoirs illimités, des pouvoirs exorbitants, des pouvoirs détruisant l'équilibre constitutionnel. Il s'agit surtout de la technique qu'utilise un dictateur pour se faire donner ou confirmer un pouvoir autoritaire par le peuple en le trompant sur ses buts »[75].

Dans le plébiscite, « le peuple a l'aire d'approuver un texte, mais en réalité, il donne le pouvoir de manière illimitée à un homme sans même qu'il y ait d'élection : il s'agit, en somme, de la désignation pour l'exercice d'un pouvoir extrêmement étendu d'un homme devant lequel ne se présente aucun adversaire. Il s'agit d'une d'élection sans adversaire »[76].

Dans ce procédé, le projet de la constitution est préparé sans participation du peuple, en général, par une commission nommée par les détenteurs du pouvoir[77]. De plus, le projet est soumis au vote populaire dans un milieu aux libertés limitées. Tous les moyens du pouvoir sont mobilisés en faveur du « oui » et les opposants sont éliminés, persécutés ou privés de tout moyen d'expression[78]. Le peuple se trouve sous la pression. Une atmosphère de peur règne[79]. Tout au moins l'on exploite la peur de l'inconnu et du retour au désordre chez les électeurs[80].

Mais dire que le plébiscite repose sur la peur, cela ne traduit pas toujours la vérité. sans doute la première technique du plébiscite est celle de la peur ; mais les méthodes de mobilisation des régimes totalitaires du XXe siècle nous ont bien montré que la peur n'est pas l'unique technique du plébiscite. Le plébiscite repose aussi sur l'exploitation de la sensibilité des masses[81]. On hausse d'abord la sensibilité du peuple jusqu'à la frénésie. En conséquence, le peuple approuve le texte posé, non seulement par la crainte, mais aussi par l'enthousiasme.

D'ailleurs dans ce procédé, le projet doit être voté en bloc. On ne laisse pas au peuple d'autre choix que d'accepter ou de rejeter l'ensemble du texte[82]. « C'est dire que le vote n'est pas libre puisqu'il place les citoyens dans l'alternative, soit de rejeter la constitution dans son ensemble parce qu'elle lui déplaît sur un point quelconque, soit de l'adopter dans sa totalité[83].

Les plébiscites aboutissent toujours par la voix du « oui »[84], autrement dit, « on ne perd pas un plébiscite »[85]. Le peuple accepte toujours[86]. De plus le taux des voix « oui » passe souvent les 90 % des voix exprimées. Ce n'est pas une surprise si l'on rend compte du climat et des circonstances dans lesquelles la votation s'est déroulée. Ces majorités énormes n'enlèvent « rien au caractère forcé de l'acceptation : cela prouve seulement qu'ayant à choisir entre la continuation de l'incertitude et la menace d'un accroissement du désordre politique d'une part et d'autre part, la ratification du texte qui lui est soumis, les peuple s'est résigné à cette seconde solution »[87].

Ce procédé a été pratiqué en France plusieurs fois. D'abord par Bonaparte pour imposer la Constitution du 7 février 1800), puis le consulat à vie (plébiscite du 10 mai 1802) et enfin l'Empire (plébiscite de mai-juin 1804). D'autre part, par le Prince Louis-Napoléon pour se faire déléguer le pouvoir de rédiger lui-même une nouvelle constitution (plébiscite 20-21 décembre 1851) et obtenir ensuite l'approbation du rétablissement de la dignité impériale à son profit[88]. C'est pourquoi, ce procédé s'appelle aussi le mode « bonapartiste » de l'établissement des constitutions.

Et plus tard, la plupart des régimes autoritaires à habillage démocratique[89] ont appliqué ce procédé. On peut dire que le plébiscite constituant est le mode normal d'établissement des constitutions autoritaires. Les dirigeants des régimes autoritaires attribuent un sens démocratique au plébiscite[90].

Notons qu'il y a une petite différence entre organiser le plébiscite et ne pas l'organiser. car, le plébiscite malgré ses inconvénients pourrait favoriser l'institutionnalisation du pouvoir. Avant le plébiscite, étant entre les mains des détenteurs de fait, le pouvoir pourrait devenir plus moins institutionnalisé. Mais il ne faut pas oublier que le pouvoir, à cause des vices dont nous avons parlé plus haut, peut continuer à rester entre les mêmes mains.

La forme normale du plébiscite est, comme on vient de l'expliquer, la soumission du projet de la constitution au vote populaire. Pourtant il y a une deuxième forme encore plus anti-démocratique. Dans cette forme du plébiscite, on ne soumet même pas de projet au peuple pour l'approbation. mais on annonce seulement quelques principes constitutionnels. Et on demande au peuple de les approuver. Ensuite on prépare une constitution dans le cadre de ces principes, sans la moindre participation du peuple. Et cette constitution est adoptée sans le vote du peuple. Par exemple, la Constitution de 1852 a été faite ainsi[91]. Il est clair que ce type de plébiscite est plus anti-démocratique que le précédent. Dans ce procédé, le peuple donne une autorisation préalable, un véritable blanc-seing[92].

En résumé, le plébiscite est entaché de vices très graves.

II. Quel mode est le plus démocratique ?

Nous venons d'examiner les divers modes d'établissements des constitutions, comme l'octroi, le pacte, le référendum et l'assemblée constituante. Maintenant nous allons apprécier ces modes du point de vue de la démocratie.

Au début de ce chapitre, nous avons dit qu'il est impossible de déterminer juridiquement les modes d'établissement des constitutions ; autrement dit on ne peut pas donner une réponse à la question de savoir quel mode est le plus juridique. Selon cette conséquence, une constitution peut être faite par les modes monarchiques comme démocratiques. C'est-à-dire, le fait qu'une constitution est faite par voie de référendum, au lieu de celle de l'octroi, ne rend pas cette constitution plus juridique, mais peut-être qu'il la rend plus démocratique. Ainsi sous ce titre; nous allons rechercher ce problème.

On a dit que la question de savoir que mode est plus juridique est une question à laquelle on ne peut pas de réponse. Le fait que cette constitution n'ait pas réponse résulte de l'hypothèse de la non-juridicité du pouvoir constituant originaire que nous avons admise. Par contre, dans notre travail, il n'y a pas d'hypothèse selon laquelle le pouvoir constituant est non-démocratique. Par conséquent, on peut apprécier les modes d'établissement du point de vue démocratique. Ainsi, on va faire ici une telle recherche.

Notons tout d'abord que le plébiscite est un procédé anti-démocratique. Car comme on l'a expliqué plus haut, le plébiscite est entaché de vices très graves du point de vue de la démocratie. C'est pourquoi, nous avons a priori exclu ce procédé de notre discussion.

A notre avis, les modes d'établissement des constitutions peuvent être appréciés de deux points de vue différents. Le premier est l'appréciation de principe : on peut prendre ces modes et on peut discuter leur conformité aux principes démocratiques. L'autre est l'appréciation fonctionnelle : en laissant de côté les principes, on peut rechercher les avantages et les inconvénients respectifs de ces modes dans la pratique.

A. L'appréciation de principe

Pour pouvoir faire une appréciation de principe sur une institution, il faut d'abord relever son fondement théorique, c'est‑à‑dire les principes sur lesquels elle repose.

1. L'appréciation des modes monarchiques : le principe providentiel

Plus haut nous avons expliqué que dans le procédé de l'octroi, la souveraineté appartient au monarque, et dans celui du pacte, elle est partagée entre le monarque et une assemblée. Ces deux procédés sont des modes monarchiques. Les procédés de l'octroi et du pacte en tant que modes monarchiques reposent sur le principe théocratique de la souveraineté. selon ce principe, le pouvoir a un fondement divin, et surtout, selon celui du droit divin surnaturel, c'est la Providence qui a conféré le pouvoir à un roi sacré[93]. Par conséquent le roi peut octroyer une constitution. Il est évident qu'un tel fondement n'est pas compatible avec l'idée démocratique, en conséquence ces modes ne sont pas démocratiques par principe même.

2. L'appréciation des modes du référendum et de l'assemblée constituante

Ces modes reposent, d'une part, sur les principes de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire, et d'autre part, sur ceux de la démocratie représentative et de la démocratie semi-directe.

a. Les principes de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire

Comme on l'a expliqué plus haut, le procédé de l'assemblée constituante repose sur le principe de la souveraineté nationale, et celui du référendum constituant sur la souveraineté populaire. dans ce cas le problème du choix entre les procédés de l'assemblée constituante et du référendum constituant se réduit en celui du choix entre les principes de la souveraineté nationale et ceux de la souveraineté populaire.

Les publicistes examinent les théories de la souveraineté nationale, de la souveraineté populaire et leurs conséquences logiques[94]. Ce débat reste en dehors de notre sujet. Pourtant notons que cette discussion n'a plus d'intérêt pratique. Aujourd'hui on peut généralement dire que la notion de souveraineté a perdu son sens et son importance. Et le débat, lui aussi, nous semble-t-il, s'est fermé sans avoir déterminé laquelle, entre la souveraineté nationale et la souveraineté populaire est la plus démocratique.

D'ailleurs il est logiquement impossible d'avoir une préférence entre les principes de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire[95]. Car la théorie de la souveraineté nationale et celle de la souveraineté populaire sont toutes deux des théories démocratiques, étant le contraire des théories théocratiques de la souveraineté, et par cela elles ont la même valeur démocratique. En conséquence, il n'existe pas de différence entre les procédés du référendum et ceux de l'assemblée constituante. Tous deux reposent sur le principe démocratique de la souveraineté, et de ce fait, ont la même valeur démocratique.

b. Les principes de la démocratie représentative de la démocratie semi-directe

On peut deuxièmement faire l'appréciation de principe de ces procédés dans la perspective de la démocratie représentative et de la démocratie semi-directe. car comme on l'a déjà indiqué au début de ce chapitre, le procédé de l'assemblée constituante est l'application au domaine de l'élaboration des constitutions du système de la démocratie représentative et le référendum constituant est celui de la démocratie semi-directe. dans ce cas, le problème de l'appréciation des modes de l'assemblée constituante et du référendum constituant se réduit en celui de l'appréciation de la démocratie représentative et de la démocratie semi-directe.

Ce problème aussi est très discuté. Plusieurs auteurs ont développe des arguments pour ou contre la démocratie représentative et semi-directe[96]. Ces discussions elles aussi restent en dehors de notre étude. Pourtant nous pensons que la démocratie représentative et la démocratie semi-directe ont la même démocratique, car toutes deux sont une forme de l'application de la démocratie du point de vue de l'exercice de la souveraineté. Par conséquent, le mode de l'assemblée constituante reposent sur la démocratie représentative et celui du référendum constituant basé sur la démocratie semi-directe sont également des modes démocratiques.

En conséquence, on peut dire que le référendum et l'assemblée constituants sont deux procédés démocratiques et entre eux, on ne peut pas avoir de préférence du point de vue du principe démocratique. Alors il ne nous reste qu'à faire l'appréciation fonctionnelle.

B. L'appréciation fonctionnelle

Nous venons de voir que les procédés du référendum et de l'assemblée constituante sont deux procédés théoriquement démocratiques, car ils reposent sur des principes démocratiques. Cependant ces procédés dans la pratique peuvent présenter indépendamment de leur base démocratique des inconvénients et des avantages. Alors on va examiner ici ces avantages et inconvénients. D'abord ceux de l'assemblée constituante, ensuite ceux du référendum constituant. On va remarquer que ces avantages et inconvénients sont respectifs. En d'autres termes, dans la plupart des cas, les avantages d'un procédé sont les inconvénients de l'autre et inversement. C'est pourquoi, nous sommes devant le risque de répéter deux fois le même phénomène avec les différents mots.

1. L'appréciation de l'assemblée constituante

On va voir d'abord les avantages, ensuite les inconvénients de ce procédé.

a. Les avantages de l'assemblée constituante

Dans une assemblée constituante, le projet de constitution est préparé dans un processus de discussion. Il y a toujours la possibilité de compromis entre les diverses opinions. Les décisions sont prises suivant les procédures de délibération. Dans un tel processus, les minorités, elles aussi ont le droit de parole et de critique. Les minorités peuvent influencer les décisions de la majorité, soit par leurs critiques, soit par leur puissance de marchandage. par contre, dans le procédé du référendum constituant, il n'existe pas de telle possibilité. Le projet de référendum soumis au référendum doit être entre voté en bloc. Par conséquent, le procédé de l'assemblée constituante est moins dangereux que celui du point de vue des droits des minorités.

D'autre part, les assemblées constituantes sont des institutions qui assument une grande responsabilité. Elles se trouvent devant une tache historique. Et elles sentent cette responsabilité. Par contre, on ne peut pas parler d'une telle responsabilité pour le peuple. Tout au moins il est impossible d'identifier cette responsabilité dans une foule anonyme. Le peuple pourrait utiliser son pouvoir d'une façon irresponsable. C'est pourquoi, Maurice Battelli qualifie le référendum d'un pouvoir aveugle[97]. Dans ce contexte on peut dire que l'assemblée constituante est un procédé plus raisonnable que le référendum constituant.

Enfin, l'idée démocratique ne nécessite pas seulement de voter une décision, mais aussi d'influencer le contenu même de cette décision. Pour que l'établissement de la constitution soit démocratique, il ne suffit seulement pas que sa dernière forme soit approuvée par le peuple, mais aussi son contenu même doit être déterminé avec la participation du peuple. Ainsi la procédé de l'assemblée constituante permet au peuple de participer à l'élaboration de la constitution.

b. Les inconvénients de l'assemblée constituante

Le procédé de l'assemblée constituante peut comporter un danger de despotisme. car, comme on l'a expliqué dans le chapitre précédent, le pouvoir constituant originaire apparaît dans les circonstances de vide juridique, comme la révolution, comme le coup d'Etat; comme la guerre. Il est évident que ces circonstances dans lesquelles l'assemblée constituante travaille sont extrêmement susceptibles de dégénérer des pouvoirs de l'assemblée constituante. Le référendum est un obstacle à ce danger.

D'autre part, l'adoption de la constitution par l'assemblée constituante elle-même, sans l'approbation par voie du référendum, pourrait comporter quelques inconvénients. Il est vrai que l'assemblée constituante est élue par le peuple, cependant on ne peut pas affirmer qu'elle va agir conformément à la volonté du peuple. car, dans le cas contraire, il faut accepter que le peuple a donné un « seing blanc » à ses représentants, dans une matière très importante, comme celle du pouvoir constituant originaire.

D'ailleurs comme on l'a noté plus haut, le référendum constituant est apparu à la suite de la naissance de l'idée qui déclare l'insuffisance de l'assemblée constituante. La technique de l'assemblée constituante « est maintenant considéré dans beaucoup de pays comme insuffisante : il semble aujourd'hui anormal qu'une constitution soit adopté sans l'accord du peuple s'exprimant au moyen du référendum »[98].

En conséquence le procédé de l'assemblée constituante est un procédé essentiellement démocratique, et présente beaucoup d'avantages aussi. Pourtant il pourrait comporter quelques inconvénients. De plus il est considéré aujourd'hui comme insuffisant.

2. L'appréciation du référendum constituant

On ve voir d'abord les avantages, ensuite les inconvénients de ce procédé.

a. Les avantages du référendum constituant

L'institution du référendum présente beaucoup d'avantages[99]. Sans entrer dans le détail, précisons que les auteurs même qui voient beaucoup de dangers dans le référendum, admettent que cette institution est « une garantie très importante contre les textes et les révisions arbitraires. Il empêche d'abord la mise en vigueur rapide d'une constitution dangereuse pour la liberté »[100].

D'autre part, puisqu'il s'agit de la participation directe du peuple, le référendum est conçu psychologiquement comme le procédé le plus démocratique et on suppose que le texte adopté par le peuple assure une grande légitimité.

b. Les inconvénients du référendum constituant

Le référendum présente quelques inconvénients.

D'abord le référendum contient un danger dans sa structure. Il a tendance à se transformer en plébiscite. Tout référendum a quelque signification plébiscitaire, car il comporte une approbation d'initiatives humaines. Une votation de confiance se cache dans chaque référendum. Car on ne peut pas facilement dissocier dire « oui » ou « non » à un texte de dire « oui » ou « non » à son auteur. De plus on voit souvent les menaces de démission qui renforcent le sens plébiscitaire du référendum. En bref, un référendum peut facilement conduire au plébiscite[101].

Le deuxième inconvénient du référendum tient à la nécessité de vote bloqué. On ne laisse pas au peuple d'autre choix que d'accepter ou de rejeter l'ensemble du texte[102]. En d'autres termes, le référendum ne permet pas au peuple de faire connaître son sentiment. Que signifie dire « oui » ou « non » à un texte de 100 à 200 articles[103] ?

D'autre part, cette nécessité de voter en bloc empêche la possibilité de compromis entre les diverses opinions. Par exemple, dans le procédé de l'assemblée constituante, la constitution est préparée dans un processus de délibération, dans un tel milieu de débat, on peut trouver toujours une conciliation entre les opinions contradictoires.

Enfin le référendum se heurte à une troisième objection. Il faut avouer que cette objection s'inspire des idées anti-démocratiques. Selon cette objection, le référendum constituant repose sur une idée un peu « naïve » selon laquelle le peuple comprend très bien les constitutions. En réalité, le peuple ne comprend pas les détails et les équilibres subtiles des constitutions. Par exemple, selon Barthélemy et Duez, n'est qu'« un appel au vulgaire » et « un citoyen de culture et d'intelligence moyenne » ne peut pas « comprendre et résoudre des questions extrêmement complexes »[104]. Esmein aussi estime qu'« il est vicieux dans le fond, en ce que la très grande majorité des citoyens... est incapable d'apprécier les lois ou projets de lois qui lui seraient soumis »[105]. Sieyès aussi affirme que « la très grande pluralité de nos concitoyens n'a ni d'instruction, ni assez de loisir pour vouloir s'occuper directement des lois »[106].

En développant ces idées, on peut ajouter que les membres de l'assemblée constituante sont plus cultivés que le peuple et ils peuvent faire la constitution mieux que lui.

Si l'on laisse la dernière critique qui s'inspire des idées anti-démocratiques, les deux premières restent pertinentes. Car, d'une part, le référendum d'initiative non populaire a tendance à se transformer en plébiscite, et d'autre part, la nécessité de vote bloqué fait affaiblir la valeur démocratique du référendum.

* * *

En conséquence, on peut dire que les procédés du référendum et de l'assemblée constituante sont des procédés démocratiques et présentent beaucoup d'avantages, cependant dans la pratique, ils peuvent comporter quelques inconvénients que nous avons expliqués plus haut. A cause de ces inconvénients, ni le référendum ni l'assemblée constituante pris séparément ne peut rendre démocratique l'établissement de la constitution. Par conséquent, l'un séparé de l'autre reste insuffisant.

D'autre part, comme on l'a déjà expliqué, les inconvénients et les avantages de ces procédés sont respectifs. En d'autres termes, dans la plupart des cas, les avantages d'un procédé correspondent aux inconvénients de l'autre, et inversement. Cela veut dire que les avantages d'un procédé compensent les inconvénients de l'autre. Par exemple, le danger de despotisme possible de l'assemblée constituante est compensé par le référendum. Le référendum est une arme contre l'arbitraire de l'assemblée constituante. Et parallèlement, les avantages de l'assemblée constituante compensent les inconvénients du référendum constituant. Par exemple, le danger plébiscitaire du référendum disparaît quand le texte soumis au référendum est élaboré par l'assemblée constituante. Car ce texte est préparé par un collège élu par le peuple, non pas par un homme de puissance. Dans ce cas, l'inconvénient qui tient à la nécessité de vote bloqué disparaît, car le texte soumis au référendum est élaboré par l'assemblée constituante dans le processus de discussion et de marchandage.

En conclusion la soumission au référendum d'un texte préparé par l'assemblée constituante ne présente aucun danger. Il faut alors unifier ces modes. En d'autres termes, le projet de constitution doit être préparé par l'assemblée constituante, ensuite il doit être adopté par voie de référendum. Ceci est le mode le plus démocratique de l'établissement des constitutions. car le peuple participe deux fois : premièrement en élisant les membres de l'assemblée constituante, deuxièmement en adoptant le texte préparé par cette assemblée.

C. Une note sur le caractère démocratique des établissements des constitutions

Comme on le voit, établissement d'une constitution par voie démocratique n'est pas une affaire facile. De même il est très difficile pour un tel pouvoir extra-juridique et illimité. Cependant cette difficulté ne mène pas dans l'impasse l'établissement de la constitution. Puisque le vide juridique ne peut pas durer éternellement , la constitution sera faite par une autre voie en renonçant à la voie démocratique. Avec d'autres voie également, on peut faire une constitution aussi juridique qu'avec la voie démocratique. D'ailleurs le pouvoir constituant originaire n'est pas obligé de suivre une voie démocratique. Il peut être non démocratique comme il peut être démocratique. De plus l'éventualité d'être non démocratique est plus que celle d'être démocratique.

Cependant les pouvoirs constituants originaires, même s'ils sont non démocratiques, se déclarent démocratiques, et ils utilisent en apparence les institutions démocratiques, comme le référendum. Ainsi ils exploitent le mot « démocratie » en profitant de son effet séductif. Pour empêcher, cette exploitation, au moins pour ne pas en préparer le terrain, il faut admettre que dans la plupart des cas, les pouvoirs constituants originaires ne sont pas démocratiques, et de plus, ils ne sont pas obligés d'être démocratiques.

Par ailleurs on ne peut pas affirmer qu'une constitution qui a été établie démocratiquement ouvrira la voie à un régime démocratique, ni qu'une constitution qui a été faite d'une façon non démocratique engendre un régime non démocratique. Car, le mode d'établissement d'une constitution et le régime créé par cette constitution sont deux choses séparées. Une constitution préparée par les modes démocratiques pourrait ouvrir la voie à un régime non démocratique, comme elle pourrait entraîner un régime démocratique. Parallèlement une constitution préparée par les modes non démocratiques pourrait aboutir à un régime démocratique comme elle pourrait produire un régime non démocratique[107].

Il est possible de prouver cette opinion. On peut remarquer qu'il y a quatre énoncés plus haut. On peut exprimer ces énoncés dans la logique des prédicats comme suit :

1. Les constitutions de quelques régimes démocraties ont été établies par les modes démocratiques.

2. Les constitutions de quelques régimes non démocratiques ont été établies par les modes démocratiques.

3. Les constitutions de quelques régimes non démocratiques ont été établies par les modes non démocratiques.

4. Les constitutions de quelques régimes démocratiques ont été établies par les modes non démocratiques.

Comme on le voit, ces énoncés appartiennent à la logique de la quantification. Ils sont des énoncés existentiels, non pas des énoncés universels. En d'autres termes, dans ces énoncés, on utilise le quantificateur existentiel (exprimé par le mot « quelqu'un« , symbolisé par le signe «  »), non pas le quantificateur universel (exprimé par les mots « chacun », « tout le monde », symbolisé par le signe «  »[108].

Pour prouver la vérité d'un énoncé universel, l'énoncé doit être vrai pour toutes ses valeurs. Par contre pour prouver la vérité d'un énoncé existentiel, l'énoncé doit être vrai pour au moins l'une de ses valeurs. Autrement dit, la proposition est vraie, s'il existe au moins un objet satisfaisant les conditions de l'énoncé[109].

En conséquence, puisque les énoncés ci-dessus sont des énoncés existentiels, pour prouver leur vérité, il nous suffit de donner un seul exemple à chacun. Maintenant faisons-le.

Pour le premier énoncé, nous pouvons donner l'exemple des Etats-Unis. La Constitution fédérale a été faite en 1787 par un mode démocratique (la convention de Philadelphie). cette Constitution démocratiquement établie a ouvert la voie à un régime démocratique[110].

Pour la deuxième énoncé, la Constitution de Weimar peut servir d'exemple. Cette Constitution a été établie démocratiquement en 1919, mais comme on le sait, sous son empire le régime nazi est apparu.

Pour le troisième énoncé, il y a beaucoup d'exemples. Citons de la Constitution de l'U.R.S.S. de 1936. Cette Constitution a été faite par les modes non démocratiques, et elle a coïncidé avec un régime non démocratique.

Pour le quatrième procédé, on peut montrer l'exemple de la Constitution allemande de 1949. Cette Constitution a été élaborée sous la tutelle des forces d'occupation, c'est‑à‑dire dans les conditions non démocratiques, et n'a pas été préparée par une assemblée constituante élue par le peuple, ni adoptée par le référendum. cependant cette Constitution a produit un régime démocratique.

 

I. EXPOSE DES MODES...........................................................................................

A. LES MODES MONARCHIQUES...............................................................

1. L'octroi.................................................................................................

2. Le pacte................................................................................................

B. LES MODES DEMOCRATIQUES.............................................................

1. L'assemblée constituante....................................................................

2. Le référendum constituant..................................................................

3. Une dérive du référendum constituant : le plébiscite constituant...

II. QUEL MODE EST LE PLUS DEMOCRATIQUE ?............................................

A. L'APPRECIATION DE PRINCIPE.............................................................

1. L'appréciation des modes monarchiques : le principe providentiel

2. L'appréciation des modes du référendum et de l'assemblée constituante        

B. L'APPRECIATION FONCTIONNELLE.....................................................

1. L'appréciation de l'assemblée constituante.......................................

2. L'appréciation du référendum constituant.........................................

C. UNE NOTE SUR LE CARACTERE DEMOCRATIQUE DES ETABLISSEMENTS DES CONSTITUTIONS.......................................................................................

 


 

[1]. Cette conséquence est aussi affirmée par Sieyès sur une base différente. Sieyès arrive à la conclusion selon laquelle le pouvoir constituant originaire n'est lié par aucune forme, en partant de la conception du titulaire de ce pouvoir. Comme on l'a déjà noté plus haut, selon Sieyès, le titulaire du pouvoir constituant originaire est la nation. Et la nation n'est liée par aucune forme. « Une nation, disait Sieyès, ne doit pas se remettre dans les entraves d'une forme positive... L'exercice [de la volonté de la nation] est libre et indépendante de toutes formes civiles... De quelque manière qu'une nation veille, il suffit qu'elle veuille ; toutes les formes sont bonnes, et sa volonté est toujours la loi suprême... Une nation est indépendante de toute forme ; et de quelque manière qu'elle veuille, il suffit que sa volonté paraisse... » (Qu'est-ce que le Tiers Etat?, ch.V, édition de Zapperi, op. cit., p.182-183).

[2]. Laferrière, op. cit., p.274.

[3]Ibid., p.275.

[4]. Marcel Prélot et Jean Boulouis, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 14e édition, 1990, p.221.

[5]. Pactet, op. cit., p.70.

[6]. Vedel, op. cit., p.114.

[7]. Dictionnaire Petit Robert, art. « octroyer ».

[8]. L'expression appartient à Chantebout, op. cit., p.33.

[9]. Cité par Laferrière, op. cit., p.276.

[10]. Georges Burdeau, Droit constitutionnel, Paris, L.G.D.J., 21e édition par Francis Hamon et Michel Troper, 1988, p.73

[11]. Laferrière, op. cit., p.275.

[12]Ibid.

[13]Ibid.

[14]. Philippe Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, L.G.D.J., 2e éd., 1990, p.68.

[15]. Georges Liet-Veaux, Droit constitutionnel, Paris, Editions Rousseau, 1949, p.142.

[16]. La remarque de la Commission de révision de 1830, cité par A. de Lapradelle, Cour de droit constitutionnel, Paris A. Pedone, 1912, p.102.

[17]. Cadoux, op. cit., t.I, p.147. Par exemple, « dans la dernière phase de la période coloniale française, à Madagascar et ailleurs, de nombreuses réformes décidées par la métropole ont été en fait repoussées par les leaders politiques autochtones parce que' ’octroyées’ par la France » (Ibid.).

[18]. 18. De Lapradelle, op. cit., p.102.

[19]. Laferrière, op. cit., p.275.

[20]. Vedel, op. cit., p.114 ; Cadoux, op. cit., t.I, p.147.

[21]. Ardant, op. cit., p.69.

[22]. Charles Debbasch et alii, Droit constitutionnel et constitutions politiques, Paris, Economica, 3e édition, 1990, p.72.

[23]. Gicquel, op. cit., p.197.

[24]. Prélot et Boulouis, op. cit., p.222 ; Vedel, op. cit., p.114.

[25]. Laferrière, op. cit., p.276.

[26]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.79.

[27]. Laferrière, op. cit., p.276.

[28]. Jacques Cadart, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Economica, 3e édition, 1990, t.I, p.134-135.

[29]. Liet-Veaux, Droit constitutionnel, op. cit., p.143.

[30]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.79.

[31]. Ardant, op. cit., p.69.

[32]. Cadart, op. cit., t.I, p.134-135.

[33]. Laferrière, op. cit., p.276 ; Gicquel, op. cit., p.197.

[34]. Vedel, op. cit., p.75.

[35]. Dmitri Georges Lavroff, Le système politique français, Paris, Dalloz, 5e édition, 1991, p.171-172.

[36]. Lavroff, op. cit., p.172 ; Cadart, op. cit., t.I, p.190 ; Cadoux, op. cit., t.I, p.291.

[37]. Rousseau, Du contrat social, livre III, Chapitre XV. C'est nous qui soulignons.

[38]. Ardant, op. cit., p.69.

[39]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.79.

[40]. Laferrière, op. cit., p.277.

[41]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.79.

[42]. Pactet, op. cit., p.70.

[43]. A vrai dire, il y a d'autres modalités aussi. Par exemple du point de vue de l'étendue de ses pouvoirs, l'assemblées constituante se présente sous les deux modalités : a) L'assemblée constituante souveraine. - Elle dispose d'une maîtrise totale au regard de la constitution, non seulement elle l'élabore, mais aussi elle l'approuve (Gicquel, op. cit., p.198). b) L'assemblée constituante non souverain.- Elle prépare un projet de constitution qui est soumis ensuite à la ratification populaire (Ibid.).

Notons que nous entendons ici par assemblée constituante seulement l'assemblée constituante de type souveraine. Parce que nous allons aborder plus tard la question de savoir quel mode est plus démocratique. Il est évident que pour une telle discussion, nous avons besoin des types purs, des modèles idéaux. Or, l'assemblée constituante de type non souveraine, en réalité est un mélange des procédés de l'assemblée constituante et du référendum constituant.

[44]. Ardant, op. cit., p.70.

[45]. Gicquel, op. cit., p.197.

[46]Ibid.

[47]. Pactet, op. cit., p.70 ; Gicquel, op. cit., p.198.

[48]. Ardant, op. cit., p.147.

[49]. Cadoux, op. cit., p.147.

[50]. M. de Laubadère, Cours de droit constitutionnel et d'institutions politiques, Paris, Les cours de droit, 1955-1956, p.113.

[51]. Carré de Malberg, op. cit., t.II, p.536.

[52]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.213.

[53]. Laferrière, op. cit., p.279.

[54]. Cadoux, op. cit., t.I, p.147 ; Chantebout, op. cit., p.34 ; Pactet, op. cit., p.70 ; Cadart, t.I, p.136.

[55]. Ardant, op. cit., p.71 ; Cadart, op. cit., t.I, p.136.

[56]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.79 ; Laferrière, p.279 ; Vedel, op. cit., p.115.

[57]. Ardant, op. cit., p.71 ; Vedel, op. cit., p.115.

[58]. Turpin, op. cit., p.82 ; Cadart, op. cit., t.I, p.136 ; Cadoux, op. cit., p.147 ; Chantebout, op. cit., p.34 ; Debbasch et alii, op. cit., p.73 ; Vedel, op. cit., p.115.

[59]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.79.

[60]. Cadart, op. cit., t.I, p.136.

[61]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.213.

[62]Ibid., p.215.

[63]. Cadart, op. cit., t.I, p.211.

[64]. Ardant, op. cit., p.71 ; Chantebout, op. cit., p.32.

[65]. Jacques Robert, « L'aventure référendaire », Recueil Dalloz Sirey, 1984, 41e Cahier, Chronique XL, p.245.

[66]. Claude Leclercq, Droit constitutionnel et institutions politiques, paris, Litec, 7e éd., 1990, p.181.

[67]. Michèle Guillaume-Hofnung, Le référendum, Paris, P.U.F., Coll. Que sais-je ?, 1987, p.14.

[68]. Ardant, op. cit., p.71.

[69]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., p.21e éd., p.80. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.215.

[70]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.215.

[71]. Pactet, op. cit., p.70.

[72]. Prélot et Boulouis, op. cit., p.222.

[73]. Cadart, op. cit., t.I, p.210.

[74]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.215.

[75]. Cadart, op. cit., t.I, p.210.

[76]Ibid.

[77]. Pactet, op. cit., p.70.

[78]. Ardant, op. cit., p.71.

[79]. Jean-Marie Denquin, Référendum et plébiscite, Thèse, Paris, L.G.D.J., 1976, p.249-256.

[80]. Benoît Jeanneau, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Dalloz, 8e édition, 1991, p.92.

[81]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.217. 

[82]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.216 ; Ardant, op. cit., p.71.

[83]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.216.

[84]. Par contre, tout résultat négatif démontre spectaculairement qu'il y a un référendum (Robert, op. cit., p.246). A cet égard, l'échec du Général Pinochet au Chili dans la votation du 5 octobre 1988 est significatif et montre que son régime n'était pas totalement dictatorial (Voir Ardant, op. cit., p.179).

[85]. Ardant, op. cit., p.178.

[86]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.80.

[87]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., 3e éd., t.IV, p.216.

[88]. Jeanneau, op. cit., p.91.

[89]. Chantebout, op. cit., p.34.

[90]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.80.

[91]. Cadart, op. cit., p.217.

[92]. Pactet, op. cit., p.70 ; Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.80.

[93]. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.96 ; Debbasch et alii, op. cit., p.38.

[94]. Par exemple voir Cadart, op. cit., t.I, p.188-193 ; Cadoux, op. cit., t.I, p.290-292 ; Chantebout, op. cit., p.219-225 ; Debbasch et alii, op. cit., p.3841 ; Lavroff, op. cit., p.170-174 ; Pactet, op. cit., p.88-89.

[95]Contra voir Lavroff, op. cit., p.173. Selon le professeur Lavroff, « la théorie de la souveraineté populaire est généralement considérée comme plus démocratique que la souveraineté nationale, car elle fonde le droit de participation du citoyen réel à la prise des décisions politiques » (Ibid.).

[96]. Voir par exemple, Joseph Barthélemy et Paul Duez, Traité de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1993 (réédition par Economica, 1985), p.123-137 ; B. Mirkine-Guetzévitch, Les nouvelles tendances du droit constitutionnel, Paris, L.G.D.J., 2e éd., 1936, p.117-165 ; Maurice Battelli, Les institutions de la démocratie semi-directe en droit suisse et comparé moderne, (Thèse, Université de Genève), Paris, Sirey, 1932, p.161-247 ; Michel Henry Fabre, Principes républicaines de droit constitutionnel, Paris, L.G.D.J., 1970, p.226-228 ; Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.101-102 ; Cadart, op. cit., t.I, p.206-209 ; Debbasch et alii, op. cit., p.50-51 ; Leclercq, op. cit., p.185-185 ; Vedel, op. cit., p.139-140.

[97]. Battelli, op. cit., p.175.

[98]. Cadart, op. cit., t.I, p.136.

[99]. Barthélemy et Duez, op. cit., p. 123-137 ; Battelli, op. cit., p.162-170 ; Mirkine-Guetzévitch, op. cit., p.117-165 ; Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit., 21e éd., p.101-102 ; Cadart, op. cit., t.I, p.206-209 ; Debbasch et alii, op. cit., p.50-51 ; Fabre, op. cit., p.225-228 ; Leclercq, op. cit., p.184-185 ; Vedel, op. cit., p.139-140.

[100]. Cadart, op. cit., t.I, p.136.

[101]. Pour ce danger du référendum, voir Cadart, op. cit., t.I, p.210-213. Voir également, même auteur, « Les inconvénients et les dangers plébiscitaire du référendum d'initiative présidentielle et gouvernementale en France depuis 1958 et les remèdes gouvernementales désirables », Revue international du droit comparé, 1976, p.287-290 ; Jean-Louis Quermonne, « Le référendum : essai de typologie prospective », Revue du droit public, 1985, p.587-589 ; Robert, op. cit., p.246.

[102]. Ardant, op. cit., p.71 ; Denquin, op. cit., p.275-283.

[103]. Liet-Veaux, Droit constitutionnel, op. cit., p.147.

[104]. Barthélemy et Duez, op. cit., p.127.

[105]. A. Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, paris, Sirey, 8e édition revue par H. Nézard, 1927, t.I, p.442.

[106]. Archives parlementaires, 1re série, t.VII, p.592, cité par Esmein, op. cit., t.I, p.441.

[107]. Sans doute, cette opinion a besoin d'avoir être prouvée empiriquement. Dans e but, in peut envisager une recherche empirique. dans une telle recherche, on peut d'abord grouper les pays suivant les modes par lesquelles leurs constitutions ont été établies. Par exemple, les pays dont les constitutions ont été établies par les modes démocratiques 'le référendum et l'assemblée constituante), et les pays dans les constitutions ont été établies par les modes non démocratiques. Puis, on peut regrouper ces pays comme démocratiques et non démocratiques. Enfin, en faisant la comparaison entre ces deux catégories, on peut rechercher s'il y a une corrélation entre elles.

Nous avons tenté de faire une telle recherche. Cependant nous n'avons pas pu la réussir. Car, c'est un travail qui nécessite, pour chaque pays, de savoir d'une part par quels modes, la constitution du pays a été établie, et d'autre part si le régime de ce pays et démocratique ou non. Il est évident que sans avoir les analyses profondes pour un pays, on ne peut pas dire que sa constitution a été élaborée démocratiquement et si ce pays est démocratique ou non. D'ailleurs un tel travail dépasse largement le cadre limité d'un mémoire.

C'est pourquoi nous avons renoncé à prouver empiriquement notre opinion ci-dessus, et nous avons préféré la prouver en partant de la logique des prédicats.

[108]. Pour ces notions voir, Bernard Ruyer, Logique, Paris, P.U.F., 1990, p.115-117 ; Villard V. O. Quine, Méthodes de la logique, trad. par M. Clavelin, Paris, Armand Colin, 1973, p.123-129 ; François Rivenc, Introduction à la logique, Paris, Payot, 1989, p.144-151 ; Denis Vernant, Introduction à la philosophie de la logique, Bruxelles, Pierre Mordaga, 1986, p.22-23.

[109]. Ruyer, op. cit., p.115-116 ; Rivenc, op. cit., p.145-146.

[110]. Bien entendu, on peut naturellement se demander ici quel régime est démocratique et lequel non démocratique ? A vrai dire, le critère de la démocratie lui-même est objet de discussion. A ce propos, nous partons d'abord de la théorie empirique de la démocratie, non pas de la théorie normative. C'est‑à‑dire nous nous intéressons à la démocratie réelle, non pas à la démocratie idéale. Dans ce cadre, nous acceptons les critères de R. Dahl. Et plus précisément, nous considérons comme démocratiques les 21 pays qu'Arend Lijphart admet comme démocratiques. A. Lijphart propose deux critères : l'un est celui de R. Dahl et l'autre est la continuité de la démocratie depuis la Deuxième Guerre mondiale, (Arend Lijphart, Democracies : Patterns of Majoritarian and Concensus Government in Twenty-One Countries, Nev Haven, Yale University Press, 1984, p.1-2 et 37-39). Les Etats-Unis et l'Allemagne que nous donnons ici comme exemples sont des régimes démocratiques selon ces critères.

 

 

Conclusion

 

Le pouvoir constituant se définit comme le pouvoir d'établir et de réviser la constitution. Ce pouvoir se divise en deux : le pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant dérivé. Le pouvoir constituant originaire est la pouvoir de faire une nouvelle constitution et le pouvoir constituant dérivé est celui de modifier la Constitution par le mode prévu par la constitution elle-même. A coté du pouvoir constituant, se trouvent des pouvoirs constitués. Ils sont les pouvoirs d'Etat dont l'organisation et le fonctionnement sont définis par la constitution. On rencontre la première fois l'idée d'un pouvoir constituant distinct et supérieur aux pouvoirs constitués chez Sieyès.

I. La nature juridique du pouvoir constituant originaire est un problème très discuté.

Selon les positivistes, le pouvoir constituant originaire est un pouvoir non juridique. L'examen de ce pouvoir n'est pas du ressort des juristes. Car il est impossible de faire une interprétation des événements et des actes qui ont déterminé la première organisation de l'Etat. En effet pour qu'une telle interprétation soit possible, il faudrait que le droit soit antérieur à l'Etat. Or comme on le sait, les positivistes ne l'acceptent jamais.

Par contre les jusnaturalistes défendent que le pouvoir constituant originaire est juridique dans la mesure où il est conforme à la justice. Car, d'après leur conception, un acte, pour être juridique doit être juste. A notre avis, cette conception n'est pas fondée, car il n'existe pas de critère objectif et universel qui permet de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui est injuste ».

D'autre part, il y a divers auteurs qui voient un pouvoir juridique dans le pouvoir constituant originaire sur les différents fondements.

Par exemple, Georges Burdeau affirme le caractère juridique du pouvoir constituant originaire. Selon lui, les révolutions ne sont pas des purs faits de force. La réussite d'une révolution dépend de l'« idée de droit » dominante dans la société. Et le pouvoir est au premier chef un pouvoir juridique, puisqu'il incarne l'idée de droit qui vient de triompher.

A notre avis, la thèse de Georges Burdeau n'est pas fondée, car d'une part, le fait qu'il lie la réussite d'une révolution au changement de l'idée de droit est en contradiction avec les réalités sociologiques. D'autre part, cette notion de l'idée de droit est une notion objectivement indéfinissable.

Un autre auteur qui essaye d'expliquer le caractère juridique du pouvoir constituant originaire sur une différente base, est Maurice Duverger. La thèse de Maurice Duverger peut être considérée au fond comme une théorie d'auto-limitation du pouvoir constituant originaire. D'après lui, les gouvernements de fait déclarent un certain nombre de principes juridiques et philosophiques dès la prise du pouvoir. Ces principes constituent le fondement de la future constitution du pays, et par conséquent ils ont une valeur, embryonnaire sans doute, mais déjà positive. En les affirmant, un gouvernement de fait s'engage, se lie, se limite lui-même. Aussi un gouvernement de fait est juridique dans la mesure où il se conforme à ces principes.

A notre avis, la thèse de Maurice Duverger n'est pas fondée. Ces principes ne lient pas les gouvernements de fait. Car, d'une part, il n'existe pas dans cette phase d'organes qui va constater la violation de ces principes et par la suite qui va appliquer les sanctions. D'ailleurs il est logiquement impossible de lier les gouvernements de fait par ces principes. ca un sujet qui pose un principe est capable aussi de le réviser à tout moment en respectant les règles de forme. Puisqu'il n'existe pas de règles de forme dans cette phase, le gouvernement de fait se trouve dans l'incapacité de violer les principes qu'il a posés lui-même.

D'après nous ma divergence des doctrines sur la nature juridique du pouvoir constituant originaire résulte du confit entre les écoles du droit naturel et du positivisme juridique. C'est‑à‑dire que la nature du pouvoir constituant originaire dépend des conceptions du droit. De ce fait, le problème de la nature juridique du pouvoir constituant originaire se transforme en celui du sens  de la nation de juridicité. En d'autres termes, celui qui veut savoir la nature juridique du pouvoir constituant originaire doit raisonner sur le sens du droit, non pas directement sur ce pouvoir, et doit se poser les questions « qu'est-ce que le droit ? », « que signifie la juridicité » au lieu de celle « quelle est la nature juridique du pouvoir constituant originaire ».

Nous pensons qu'une norme peut être appréciée selon trois points de vue différents. Ce sont la justice, l'efficacité et la validité. a notre avis, le critère de la juridicité est celui de validité, non la justice, ni l'efficacité. Car, le critère de validité nécessite une recherche de type empirique et rationnel (la comparaison d'une nationale avec une autre), tandis que le critère de justice nécessite une recherche déontologique (la comparaison de la norme avec un idéal, avec une valeur morale) et celui d'efficacité une recherche phénoménologique (la comparaison de la nationale avec une conduite humaine effectivement appliquée) ces deux dernières restent en dehors de la science du droit. Selon le critère de validité un acte est juridique dans la mesure où il repose sur une règle juridique préalable. selon cette solution, le pouvoir constituant originaire est non juridique. Car, d'une part, l'abolition d'une constitution n'est pas prévue par cette constitution même. D'autre part, l'établissement d'une nouvelle constitution ne repose sur aucune règle juridique préalable. Ainsi nous arrivons à la thèse positiviste qui voit dans le pouvoir constituant originaire un pur fait.

II. Le problème du titulaire du pouvoir constituant originaire lui aussi suscite beaucoup de discussion.

Les théoriciennes de la souveraineté attribuent le pouvoir constituant originaire à un titulaire selon leur conception. Par exemple, d'après la théorie du droit divin, le pouvoir constituant originaire appartient au roi sacré. Par contre selon la théorie de la souveraineté nationale, le titulaire du pouvoir constituant originaire ne peut être que la nation. Parallèlement, les théoriciens de la souveraineté populaire défendent que ce pouvoir doit appartenir au peuple.

Pour nous, le problème du titulaire  du pouvoir constituant originaire dépend logiquement de sa nature juridique. Nous sommes alors obligés de résoudre le problème du titulaire  de ce pouvoir conformément à notre conclusion sur sa nature juridique. Comme nous avons admis qu'il n'est qu'un pur fait, le problème de son titulaire lui aussi demeure en dehors du droit. Par conséquent, la question de savoir qui est le titulaire du pouvoir constituant originaire est une question à laquelle on ne peut pas donner de réponse juridique. En d'autres termes, le problème du titulaire du pouvoir constituant originaire est un problème, peut-être sociologique, mais en tout cas non juridique.

III. Le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire est encore un problème très controversé. Pour les uns ce pouvoir est limité, pour d'autres, illimité. par exemple, selon une thèse, le pouvoir constituant est limité par les droits de l'homme. A notre avis, cette thèse repose sur une erreur fondamentale : elle confond « ce qui est » avec « ce qui doit être ». Car dire que le pouvoir constituant originaire est limité, c'est autre chose que dire qu'il doit être limité. A cet égard, la thèse de la limitation du pouvoir constituant originaire exprime « ce qui doit être », non « ce qui est ».

Pour nous, le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire doit être résolu en partant de sa nature juridique. Car il y a une corrélation logique entre les le caractère juridique d'un pouvoir et sa limitation. Il est évident que si un pouvoir est juridique, il sera nécessairement limité. Alors le problème de la limitation du pouvoir constituant originaire dépend logiquement de sa nature juridique. Comme nous avons admis que le pouvoir constituant originaire est un pouvoir non juridique, nous sommes obligé aussi d'admettre que ce pouvoir est illimité.

IV. En ce qui concerne les circonstances de l'apparition du pouvoir constituant originaire, on peut dire qu'il y a pouvoir constituant originaire dans toutes les circonstances où l'on fait une nouvelle constitution ou si l'on change une règle constitutionnelle en dehors des formes prévues par cette constitution elle-même. En pratique, ces circonstances peuvent se produire de façons très différentes. Mais en tout état de cause dans le vide juridique. A notre avis, il peut y avoir deux types de vide juridique : le vide juridique déjà existant et le vide juridique créé. Le vide juridique déjà existant se produit dans la naissance d'un nouvel Etat. Dans ce cas, le pouvoir constituant originaire pour fonder un nouvel Etat, pour établir une nouvelle constitution, ne détruit pas un Etat, n'abroge pas une constitution, il construit seulement. L'Etat que le pouvoir constituant originaire fonde ainsi est un Etat neuf qui n'existait pas du tout avant, et la Constitution que ce pouvoir établit est aussi la toute première constitution de l'Etat. Le deuxième type de vide juridique, c'est‑à‑dire le vide juridique créé apparaît dans le changement de régime d'un Etat déjà existant. Dans ce cas, le pouvoir constituant originaire d'abord en abrogeant la constitution existante, crée un vide juridique, ensuite en faisant une nouvelle constitution, il le comble. Dans cette hypothèse, on ne crée pas un Etat nouveau. Il s'agit simplement du renouvellement de la fondation de l'Etat.

V. Le problème des formes du pouvoir constituant originaire peut être résolu en partant de sa nature. Puisque le pouvoir constituant originaire est un pouvoir non juridique, ses formes aussi sont des formes non juridiques. Autrement dit, les modes d'établissement des constitutions sont des modes purs, non susceptibles de la qualification juridique. C'est‑à‑dire que les formes que le pouvoir constituant originaire va utiliser pour établir une nouvelle constitution ne peuvent pas être juridiquement déterminées.

Il est cependant traditionnel de classifier les modes d'établissement des constitutions suivant les théories de la souveraineté. Si la souveraineté appartient à un monarque, la constitution est faite par la forme de l'octroi ; si elle est partagée entre un monarque et une assemblée constituante, la constitution est faite par la forme de pacte. Ce sont les  procédés monarchiques d'établissement des constitutions. Il y a également les procédés démocratiques d'établissement des constitutions. Il y a aussi les procédés démocratiques. Car dans une démocratie, la souveraineté ne peut appartenir qu'à la nation ou au peuple. Si la souveraineté appartient à la nation, la constitution est faite par le mode de l'assemblée constituante, si elle appartient au peuple, la constitution est faite par le mode du référendum constituant.

En résumé, le pouvoir constituant originaire est le pouvoir de faire une nouvelle constitution. Ce pouvoir est de nature non juridique et illimitée. Il apparaît dans le vide juridique. Son titulaire et ses formes ne peuvent pas être juridiquement déterminés.

 

 

 

Bibliographie

 

 

 

I. Ouvrages

 

 

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Chantebout (Bernard), Droit constitutionnel et science politique, Paris, Armand Colin, 9e édition, 1989.

Debbasch (Charles), PONTIER (Jean-Marie), BOURDON (Jacques) et RICCI (Jean-Claude), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Economica, 3e édition, 1990.

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Fabre (Michel Henry), Principes républicains de droit constitutionnel, 4e édition, Paris, L.G.D.J., 1984.

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Sieyès (Emmanuel) Qu'est-ce que le Tiers Etat (Edition critique avec une introduction et des notes par Roberto ZAPPERI, Genève, Librairie Droz, 1970).

Turpin (Dominique), Droit constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992.

Vedel (Georges), Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, (réimpression, 1989).

 

II. Thèses

 

Battelli (Maurice), Les institutions de la démocratie semi-directe en droit suisse et comparé moderne, (Thèse, Université de Genève), Paris, Sirey, 1932.

Burdeau (Georges), Essai d'une théorie de la révision des lois constitutionnelles en droit français, (Thèse, Faculté de droit de Paris), Paris, Macon, 1930.

Denquin (Jean-Marie), Référendum et plébiscite, Thèse, Paris, L.G.D.J., 1976, p.249-256

Héraud (Guy), L'ordre juridique et le pouvoir originaire, (Thèse, Faculté de droit de Toulouse), Paris, Sirey, 1946.

Leisner (Walter), Le pouvoir constituant, (Thèse, Université de Paris, Faculté de droit, mai 1956, dactyl.).

Liet-VEAUX (Georges), La continuité du droit interne : essai d'une théorie juridique des révolutions, (Thèse, Faculté de droit de Rennes), Paris, Sirey, 1942.

Martin (Paul), Portée juridique des révolutions en droit interne, (Thèse, Université de Montpellier, Faculté de droit), Montpellier, Imprimerie Mari-Lavit, 1938.

SHAWI (Mundhir el), Contribution à l'étude du pouvoir constituant, (Thèse, Faculté de droit de Toulouse, Multigraphiée par le Centre d'éditions universitaires de l'A.G.E.T., Juin 1961).

 

III. Articles

 

Berlia (Georges), « De la compétence des assemblées constituantes », Revue du droit public, 1945, p.353-365.

Bonnard (Roger), « Les actes constitutionnels de 1940 », Revue du droit public, 1942, p.47‑90.

Cadart (Jacques), « Les inconvénients et les dangers plébiscitaire du référendum d'initiative présidentielle et gouvernementale en France depuis 1958 et les remèdes gouvernementales désirables », Revue international du droit comparé, 1976, p..287-290.

Duverger (Maurice), « Contribution à l'étude de la légitimité des gouvernements de faits », Revue du droit public, 1945, p.73-100.

Quermonne (Jean-Louis), « Le référendum : essai de typologie prospective », Revue du droit public, 1985, p.575-589.

Robert (Jacques), « L'aventure référendaire », Recueil Dalloz Sirey, 1984, 41e Cahier, Chronique XL, p.243-252.

 

 

 

Table des matières

Introduction............................................................................................................................ 1

Chapitre préliminaire
Le pouvoir constituant en général

I. La définition du pouvoir constituant............................................................................... 2

II. La distinction du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé.... 3

III. La distinction du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués.............................. 5

IV. L'origine doctrinale de l'idée du pouvoir constituant................................................. 6

A. Rousseau................................................................................................................. 8

B. Montesquieu........................................................................................................... 9

C. Sieyès...................................................................................................................... 10

 

Chapitre premier
La question de La nature juridique du pouvoir constituant originaire

I. Les thèses selon lesquelles le pouvoir constituant originaire est un pouvoir constituant de nature extra-juridique........................................................................................................................ 10

A. La thèse de Carré de Malberg............................................................................... 11

B. La doctrine de Georges Burdeau dans sa thèse de doctorat............................... 13

C. La thèse de Mundhir el Shawi............................................................................... 14

II. Les thèses selon lesquelles le pouvoir constituant originaire est un pouvoir juridique 15

A. La thèse de Georges Burdeau............................................................................... 15

1. Exposé........................................................................................................... 15

2. Critique.......................................................................................................... 16

a. La critique de sens des révolutions.................................................... 17

b. La critique de la notion de l'idée de droit.......................................... 18

B. La thèse de Guy Héraud........................................................................................ 22

1. Exposé........................................................................................................... 22

2. Critique.......................................................................................................... 23

C. La thèse de Maurice Duverger.............................................................................. 23

1. Exposé........................................................................................................... 24

2. Critique.......................................................................................................... 27

III. L'appréciation générale du problème........................................................................... 29

A. Le critère de justice : l'Ecole du droit naturel.................................................... 30

B. Le critère d'Efficacité : l'école sociologique et la doctrine réaliste américaine 32

C. Le critère de validité : l'Ecole positiviste........................................................... 33

 

Deuxieme chapitre
le titulaire du pouvoir constituant originaire
Troisieme chapitre
Les limites du pouvoir constituant originaire

I. La thèse selon laquelle le pouvoir constituant originaire est limité............................ 39

A. La limitation du pouvoir constituant originaire par les droits de l'homme...... 39

B. La limitation du pouvoir constituant originaire par le droit international........ 41

II. La thèse selon laquelle le pouvoir constituant originaire est illimité............... 42

III. Notre opinion................................................................................................................. 43

IV. Une note sur les limites sociologiques du pouvoir constituant originaire............... 43

 

Quatrieme chapitre
Les circonstances de l'apparition du pouvoir constituant originaire    45

I. Le vide juridique déjà existant : la naissance d'un nouvel Etat...................................... 46

A. Le passage de la féodalité du moyen-age aux monarchies absolues................. 46

B. La guerre................................................................................................................. 47

C. L'accession à l'indépendance................................................................................ 47

1. La guerre d'indépendance............................................................................. 47

2. La sécession pacifique ................................................................................ 47

D. La fédération des Etats indépendants................................................................... 48

E. Le démembrement d'un Etat.................................................................................. 48

II. Le droit vide juridique créé : le changement de régime dans un Etat déjà existant... 48

A. La révolution et les coups d'Etat.......................................................................... 50

B. La guerre................................................................................................................. 50

 

Cinquième chapitre
Les formes du pouvoir constituant originaire :
Les modes d'établissements des constitutions

 

I. Expose des modes............................................................................................................

A. Les modes monarchiques......................................................................................

1. L'octroi..........................................................................................................

2. Le pacte.........................................................................................................

B. Les modes democratiques....................................................................................

1. L'assemblée constituante.............................................................................

2. Le référendum constituant...........................................................................

3. Une dérive du référendum constituant : le plébiscite constituant............

Ii. Quel mode est le plus democratique ?...........................................................................

A. L'appreciation de principe.....................................................................................

1. L'appréciation des modes monarchiques : le principe providentiel.........

2. L'appréciation des modes du référendum et de l'assemblée constituante..

B. L'appreciation fonctionnelle.................................................................................

1. L'appréciation de l'assemblée constituante................................................

2. L'appréciation du référendum constituant..................................................

C. Une note sur le caractere democratique des etablissements des constitutions  

 

Le pouvoir constituant originaire - Kemal Gözler

Kemal Gözler, Le pouvoir constituant originaire, Mémoire du D.E.A. de Droit public,  Directeur de recherches : Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université de Bordeaux I, Faculté de droit, des sciences sociales et politiques, 1992, 93 p. (www.anayasa.gen.tr/gozler/memoire.htm; 20.04.2004).

 


 

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Kemal Gözler, Le pouvoir constituant originaire, Mémoire du D.E.A. de Droit public,  Directeur de recherches : Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université de Bordeaux I, Faculté de droit, des sciences sociales et politiques, 1992, 93 p. (www.anayasa.gen.tr/memoire.htm; 20.04.2004).

 

 


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